Pouvoirs
Youssoufi-Elyazghi, une réconciliation de façade
La hache de guerre a été enterrée… en prévision
des échéances électorales.
Elyazghi, l’éternel numéro deux, a perdu ses appuis et son
influence au sein du parti.
Le plus déplorable est l’absence d’idées et de débat.
Il s’agit en fait d’une simple lutte de pouvoir.

Dimanche 6 juillet 2003, la réunion, à Rabat, de la Commission administrative de l’USFP aura permis à Abderrahmane Youssoufi, premier secrétaire du parti, et à Mohamed Elyazghi, éternel numéro deux, de signer l’armistice après une bataille à fleurets mouchetés qui a duré plusieurs mois et dont les médias se sont fait à la fois le support et l’écho. La hache de guerre a donc été enterrée… mais seulement pour permettre au parti de s’investir pleinement dans les prochaines consultations électorales.
Ce n’est que partie remise. Les deux frères ennemis, à la tête de l’USFP depuis plus d’une décennie, se livrent en effet une guerre sans merci pour le contrôle du parti. Et pourtant…
Après le départ retentissant des «amaouistes», des amis de Mohamed Sassi et de ceux de Fqih Basri, lors du VIe congrès national du parti, en avril 2001, on a bien voulu croire qu’un «véritable parti social-démocrate, moderniste et démocratique» était né. C’est M. Elyazghi lui-même qui s’exprimait en ces termes, il y a à peine un an.
Et pour cause. Tous ses adversaires, de gauche comme de droite, avaient fini par claquer la porte. Il devenait donc l’homme fort de l’USFP et le probable successeur de Abderrahmane Youssoufi. Mais ce dernier, à l’image du sphinx, renaissait de ses cendres et reprenait le gouvernail du bateau USFP, si tant est qu’il en ait un jour perdu le contrôle.
Le 25 juin, les échanges d’amabilité ont volé très bas
C’est sur cette toile de fond que la guerre des courants, ou plutôt des chefs de clans, s’est rallumée de plus belle et contre toute attente. Qu’est-ce qui a déclenché cette nouvelle bataille entre le numéro un et le numéro deux du parti ? En fait, l’étincelle qui a mis le feu aux poudres a eu pour origine un incident politico-médiatique.
Vendredi 20 juin 2003, le quotidien francophone de l’USFP, Libération, contrôlé par Mohamed Elyazghi, publie la transcription intégrale, et en arabe s’il vous plaît, de son intervention lors de l’émission Fil al wajiha du 4 juin 2003. Si Libération a été acculé à cette mesure extrême, c’est parce que le quotidien arabophone du parti, Al ittihad al ichtiraki, contrôlé par Abderrahmane Youssoufi, avait refusé de publier le texte de cette intervention dans ses colonnes. Il s’était contenté d’une dépêche de la MAP. Scandale et branle-bas de combat dans les rangs yazghistes !
Mercredi 25 juin. Jour de la réunion du bureau politique du parti, les esprits sont chauffés à blanc. Il n’est donc pas étonnant que les échanges d’amabilités aient volé bas. A tel point que Elyazghi en est arrivé à traiter Youssoufi de «lâche». Qu’était-il donc arrivé, depuis le VIe congrès, pour que le premier secrétaire adjoint de l’USFP soit censuré par l’organe de presse officiel de son propre parti et que l’on en vienne à ces extrémités ?
On ne peut comprendre ce renversement du rapport de force au sein de l’USFP sans remonter aux conditions dans lesquelles l’actuel premier secrétaire avait succédé à feu Abderrahim Bouabid en 1992. A l’époque, Abderrahmane Youssoufi, tout auréolé de sa légitimité historique, a été rappelé de son exil cannois pour présider aux destinées du parti. L’appareil de l’USFP étant contrôlé par Elayzghi, Youssoufi ne pouvait asseoir son pouvoir qu’en faisant alliance avec des forces usfpéistes de poids.
Il trouvera ces appuis dans le courant syndical (CDT), mené par Mohamed Noubir Amaoui ; la Jeunesse ittihadia, dirigée par Mohamed Sassi et Fqih Mohamed Basri. Mais au fil des années, ces trois forces allaient rompre avec Youssoufi, avant de se séparer du parti lui-même. Le point culminant dans ce divorce fut la décision du premier secrétaire d’accepter sa nomination au poste de Premier ministre, puis de pousser le parti à accepter la participation au gouvernement d’alternance. Un divorce consommé lors du VIe congrès national du parti, marqué par le boycott de Fidélité à la démocratie, le retrait du courant syndicaliste, qui devait ensuite créer sa propre formation politique, le Parti du congrès national ittihadi (PCNI) et l’éloignement de Fqih Basri et de ses amis.
Jamais l’emprise de Mohamed Elyazghi n’a été aussi prégnante sur l’USFP que pendant cette période. Il contrôlait l’appareil du parti, sa jeunesse, ce qui restait du courant syndical, et avait réussi à placer les siens en nombre à la commission administrative et au bureau politique. Pourtant, cette supériorité organisationnelle écrasante allait devenir inopérante et tourner à l’avantage de M. Youssoufi. Pourquoi ?
Elyazghi lâché par les siens car il n’a pas su négocier
La clé de ce retournement de situation nous est donnée par un membre du bureau politique du parti qui a, bien entendu, requis l’anonymat: «Si on devait dater le début de ce renversement spectaculaire de situation, ce serait le 7 novembre 2002, c’est-à-dire la date de l’annonce de la formation du gouvernement Jettou».
Mais encore ? Les choses seraient claires pour ce dirigeant usfpéiste : «Lors des négociations pour la formation du gouvernement, M. Youssoufi a marqué des points décisifs contre son éternel rival. Il a réussi à placer six des siens sur les huit ministres usfpéistes. La contre-performance de M. Elyazghi a été patente. A part Mohamed El Gahs, il n’a pu imposer aucune des figures de proue de son courant, mais il s’est battu pour se maintenir lui-même à la tête d’un ministère de l’Aménagement du territoire, amputé du secteur stratégique de l’habitat».
C’est à cause de cette faible capacité de négociation que les membres les plus influents du courant yazghiste auraient pris leurs distances. Ainsi en est-il de Driss Lachgar (président du groupe parlementaire de l’USFP), de Abdelhadi Khaïrat (membre du bureau politique et qui y a pratiquement gelé son activité), de Abderrahmane Chennaf (secrétaire général du puissant syndicat national de l’enseignement)… Sans parler des membres du «Groupe d’Al ahdath al maghribia» : Mohamed Karam, Abderafiî Jouahri, Badia Skalli…).
Cette autonomie grandissante a battu en brèche la discipline régnant au sein du courant. Chacun a repris sa liberté et a commencé à élaborer ses analyses en fonction de ses intérêts et ambitions. Ainsi, alors que M. Elyazghi a défendu une position farouchement anti-islamiste, voire éradicatrice, le représentant le plus médiatisé de son courant, Driss Lachgar, a été beaucoup plus nuancé, puisqu’il a dénoncé la thèse de l’islamisation de la société aussi bien que celle de l’éradication de l’islamisme comme étant étrangères à notre pays.
Les alliances «extra-conjugales» mises à l’index
Les prises de position tranchées de Mohamed Elyazghi au cours de l’émission Fi al wajiha ont suscité beaucoup d’interrogations : excuses publiques exigées du PJD en raison de sa responsabilité morale pour les attentats du 16 mai, affirmation de la transparence parfaite des élections législatives du 27 septembre, fin annoncée du Makhzen avec le limogeage de Driss Basri et mise en œuvre du nouveau concept d’autorité… Ce qui a poussé un membre de la commission administrative du parti à s’interroger : «S’agit-il d’une rencontre objective avec certains cercles «sécuritaires» ou plutôt d’une volonté de rapprochement, voire d’alignement sur la ligne politique du pouvoir afin de renforcer sa propre capacité de négociation ?».
Sachant cela, certaines questions se posent : les points de vue de Mohamed Elyazghi et du youssoufiste Khalid Alioua (très conciliateur, dans une interview accordée à Acharq al awsat le 9 juin) sur l’attitude envers l’islamisme expriment-ils de simples divergences ou plutôt des positionnements politiques motivés par des préoccupations organisationnelles voire électoralistes ? Les dirigeants de l’USFP interrogés penchent plutôt vers la seconde approche.
Seconde question de taille: s’agit-il d’un débat d’idées ou plutôt d’un combat de clans antagonistes fondé sur l’allégeance personnelle et le clientélisme ? Peut-on abonder dans le sens d’Ahmed Lahlimi Alami (Le Journal du 28 juin) quand il dit «qu’on ne peut pas parler de courants. Il y a seulement des gens qui considèrent le parti comme une raison sociale ou un fonds de commerce» ?
Il est malheureusement avéré que le débat d’idées a déserté la vie interne de ce parti, comme celle de beaucoup d’autres. Alors que reste-t-il ? Les ambitions et les intérêts.
Ali Sedjari (voir l’article dans la rubrique Débats) n’a pas tort d’en conclure que «ce qui réunit en général la quasi-totalité des dirigeants d’un même parti, ce sont surtout des affinités locales ou tribales, des servitudes partagées, des liens de parenté, le même réseau d’intérêts, de clientélisme, de népotisme et de clanisme. L’élite politique reste prisonnière des schémas traditionnels où dominent des relations de loyauté qui sont inextricablement liées aux stimulants matériels et aux récompenses»
