Pouvoirs
Processus Justice : Vers une deuxième génération de réformes
Dans l’attente d’un cadre légal global, la digitalisation du système judiciaire est déjà en marche. C’est un processus long et fastidieux, mais qui pourrait aboutir dans quatre ans.

La réforme du système judiciaire est un chantier qui a été ouvert depuis l’adoption de la Constitution de 2011. Sur le plan institutionnel, c’est une réalité. L’indépendance du pouvoir judiciaire est désormais un acquis. Aujourd’hui, nous sommes passés à une deuxième génération de réformes. L’heure est, en effet, à la mise en place des principes fondamentaux de la justice numérique qui constitue l’un des piliers de la réforme globale et profonde du système judiciaire. L’objectif principal étant de renforcer l’infrastructure des systèmes d’information des tribunaux, fournir des programmes sûrs liés à la gestion des procédures judiciaires, et à améliorer la performance des tribunaux. La digitalisation constitue, il est vrai, pour les pouvoirs publics la pierre angulaire de l’amélioration de la qualité des services de la justice, du renforcement de l’efficacité judiciaire, la réduction des délais des procédures, la simplification de leurs démarches et de la facilitation d’accès à la justice pour les usagers. La numérisation contribue également à renforcer les valeurs d’intégrité et de transparence, et à améliorer le climat des affaires. Disposer d’un système numérique de gestion des procès et des plaintes et d’accès aux décisions de justice est, en ce sens, un élément fondamental pour accélérer le rythme des investissements. D’une manière sommaire, le tribunal numérique que le Maroc aspire à mettre en place est un tribunal qui permet aux avocats et aux justiciables d’entreprendre toutes les démarches nécessaires à distance. Mais de la théorie à la pratique, c’est une autre paire de manches. De l’avis du ministre, la justice marocaine ne peut se développer qu’à travers la digitalisation. Il faut limiter les rapports interpersonnels directs, certes, mais, nuance-t-il, on ne peut pas non plus tout digitaliser d’un seul coup. C’est un processus qui se déploie progressivement et en plusieurs étapes. Pour commencer, le ministère a entrepris de mettre en place d’une direction centrale dédiée avec des ressources humaines en grand nombre, soit près de 250 fonctionnaires dont des ingénieurs. C’est, pour ainsi dire, une fourmilière de laquelle l’on attend du concret. Et du concret, il y en a justement. Le dernier service en date qu’elle a pu mettre en place c’est le paiement par smartphone des amendes relatives aux infractions du code de la route. Ce n’est pas rien. Le Registre national électronique des sûretés mobilières, la plateforme du suivi de l’évolution des procès, entre autres, sont des services déjà en place. Le portail de l’avocat également fonctionnel fera, lui, prochainement l’objet d’une révision de manière à en améliorer les prestations. C’est un début. D’ici quatre ans, explique le ministre, le gouvernement espère que tout le processus judiciaire soit digitalisé et que l’avocat, par exemple, n’ait plus besoin de se déplacer au tribunal pour accomplir les démarches judiciaires, ni même pour plaider. Pour commencer, une plateforme de communication directe avec les avocats a été également développée avec la contribution de la DGSN. Le ministère travaille, en outre, sur trois autres plateformes numériques qui verront le jour dans les quelques semaines à venir. Encore une fois, pour reprendre les termes du ministre, tout cela ne peut pas se faire d’un seul coup. Pour plus d’illustration, le ministère cherche actuellement à mettre en place une plateforme des contrats de mariage, une sorte de registre national des personnes mariées. C’est une initiative qui va mettre fin à d’énormes problèmes sociaux : polygamie, abandon de la famille, héritage… Eh bien, ce n’est pas évident. Là encore le ministère compte sans doute sur la précieuse aide de la DGSN. En effet, parmi les pièces demandées pour renouveler la carte nationale figure justement une copie de l’acte de mariage et de la carte nationale du conjoint. Une base de données du foncier non titré est également en cours. C’est pour dire que cela nécessite un gros budget, notamment pour recruter des ressources humaines qualifiées. Pour ce qui est du cadre légal, un projet de loi sur la digitalisation de la justice est en phase finale d’élaboration, il sera déposé au Parlement après son adoption par le gouvernement dans le mois prochain. En attendant, aussi impératif qu’il soit, la réforme de la justice, dans sa deuxième phase, ne se limite pas à ce processus de digitalisation. Il est en effet, des petites réformes qu’il faut mener ici et là qui ne nécessitent certainement pas autant de moyens et dont le résultat est immédiatement ressenti chez les justiciables. La problématique du casier judiciaire en est une. Dans l’état actuel il ne n’encourage pas la réinsertion sociale des anciens détenus. Et de l’avis du ministre, cela ne peut plus durer. L’idée c’est d’encourager les anciens détenus à se réintégrer dans le milieu du travail et dans la société en général. C’est d’ailleurs l’objet d’un débat dans le cadre du projet du code pénal et du code de la procédure pénale. L’objectif est donc de revoir de manière drastique ce système du casier judiciaire. Le modèle 3 pour les initiés sera supprimé d’une manière définitive. Dans le même registre et pour ce qui est de la «réhabilitation», il est de plus en plus question d’en simplifier les procédures d’obtention ou même de la rendre automatique avec un programme informatique. Autre question qui nécessite une véritable réforme, l’exécution des jugements. C’est une grande problématique. C’est un sujet complexe dans le sens où, aujourd’hui avec la consécration sur le terrain de l’indépendance de la justice, on ne sait plus quelle partie est compétente pour suivre et s’assurer de l’exécution des jugements prononcés par les tribunaux, lorsqu’il s’agit des affaires de droit civil (les conflits du travail en sont un exemple). On ne sait pas si c’est le pouvoir judiciaire, chapeauté par le Conseil supérieur qui est compétent dans ce cas ou l’administration judiciaire qui relève du ministère. La question n’est pas encore tranchée. D’une manière plus globale, les compétences et les champs d’intervention de chacune des deux parties dans le processus judiciaire ne sont pas encore clairement et définitivement délimités.
Bref, actuellement, un certain nombre de textes dont le projet du code de la procédure civile sont entre les mains du SGG. Un projet de loi sur les prisons, un autre sur la saisie sur les biens de l’Etat, entre autres, sont également en consultation interministérielle. Le code de la procédure pénale est finalisé, il ne reste plus qu’à y incorporer les observations du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Pour ce qui est du code pénal c’est un grand problème. On veut revoir sa vision en général et en même temps préserver un équilibre entre les tendances conservatrice et moderniste de la société. Certaines peines jugées démesurées seront sans doute revues. C’est, en effet, et ce n’est qu’un exemple, une aberration que de retrouver encore dans notre code pénal de peines d’emprisonnement de cinq à dix ans ou même de cinq à trente ans. Cela revient à donner au juge une marge de dix, vingt, voire 25 ans pour le même crime. Naturellement, il y aura de nouvelles peines alternatives et pécuniaires. Sur ce registre, l’actuel ministre ne cache pas sa préférence pour les peines pécuniaires. D’autres types de délit et crimes vont, de même, retrouver leur place dans le nouveau code pénal, notamment les crimes informatiques. Il faut aussi revoir les délits de diffamation sur internet : la liberté d’expression a des limites. Injures, diffamation, fausses accusations ou autres ne peuvent être considérées comme relevant de la liberté d’expression.
