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Pouvoirs

Pourquoi le Brésil peut devenir un modèle

Le Maroc s’est en partie inspiré de ce pays pour sa politique de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. En serait-il ainsi pour son industrie de défense ? Là encore, ce géant d’Amérique du Sud fait montre d’une grande tradition.

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Rappelons-nous, en 2005, le Maroc lançait l’INDH. Trois ans plus tard, en 2008, une délégation a été envoyée au Brésil pour s’enquérir de l’expérience de ce pays en matière de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale. Cette mission d’étude a porté sur le suivi-évaluation participatif, la méthode des résultats rapides, les activités génératrices de revenus et les organes de la gouvernance au Brésil. Entre autres résultats concrets, cette visite a donné lieu au programme Tayssir. Un programme d’aides sociales calqué sur le modèle brésilien de la «Bolsa Familia», qui représente la distribution d’une aide directe aux parents à condition d’envoyer leurs enfants à l’école et de les faire vacciner. C’est un exemple parmi d’autres. Aujourd’hui, ce pays pourrait servir tout aussi bien comme modèle que comme partenaire dans notre industrie naissante de défense.
En effet, pendant les années 1980, le Brésil disposait déjà d’une industrie de défense relativement diversifiée et complexe. A cette époque, les entreprises fournissaient l’armée en produits de faible contenu technologique (munitions, armes légères, systèmes d’artillerie, véhicules militaires à roues et avions de transport, d’entraînement et de combat léger). Au milieu des années 1980, ses exportations se concentraient pour l’essentiel sur des produits de défense conventionnels à moyenne et faible intensité technologique, près de 90% des ventes brésiliennes à l’étranger se rapportant aux avions Xavante, aux véhicules blindés EE-9 Cascavel et EE-11 Urutu et au système d’artillerie Astro II. Outre différents pays de l’Amérique du Sud (28%), les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (46%) en étaient les principales destinations.

Partenariats diversifiés
Après un passage à vide de l’économie de ce pays, le secteur a connu une phase de décadence. Ce n’est qu’à l’arrivée au pouvoir de l’actuel Président, pour ses deux premiers mandats (2003-2011), qu’une nouvelle politique de défense a été lancée. L’industrie de défense a été érigée en première priorité dans les documents stratégiques du pays. Une série de programmes d’industrie d’armement a ainsi été engagée. Entre autres programmes, le projet de développement de sous-marins, le projet HX-BR (hélicoptères), le projet FX-2 (chasseurs), le projet Prosuper (bâtiments de surface) et le système intégré de surveillance des frontières (Sisfron) ou encore le Sisgaaz de surveillance des côtes.
Le projet du chasseur brésilien, à lui seul, est une autre illustration de ce que le modèle brésilien peut inspirer largement le Maroc, tout comme ce fut le cas dans la lutte contre la pauvreté et la précarité. Pour équiper ces avions, développés avec les suédois de le Saab JAS-39E/F Gripen, le constructeur brésilien FAB les a armés en missiles conçus par le Brésil en collaboration avec l’Afrique du Sud, en bombes d’origine israélienne et en un système de guidage également d’Israël, utilisés pour identifier et guider les bombes et la reconnaissance. D’une manière générale, et cela va pour tous ses projets de l’industrie de défense, le Brésil, et c’est encore une politique adoptée par le Maroc, a opté pour une diversification de ses partenaires. Le pays a ainsi conclu des partenariats stratégiques, dans le domaine de coopération-armement, avec une dizaine de pays dont notamment la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les états-Unis mais aussi Israël et bien sûr ses trois partenaires du BRICS (la Chine, la Russie et l’Afrique du Sud).
Nul doute que les partenariats internationaux, bilatéraux ou régionaux revêtent une importance particulière dans ce processus, soulignent les spécialistes. Et pour cause, ils peuvent faciliter et accélérer l’amélioration des capacités productives et technologiques essentielles pour le renforcement de la base industrielle de la défense. C’est une donne que le Maroc a largement assimilée. En atteste justement cette ouverture sur un pays, avec lequel il ne partage pas forcément le même espace géographique, ni bassin linguistique ou encore culturel. Il est cependant difficile de ne pas faire le parallèle entre les modèles choisis et les trajectoires empruntées par ces deux pays si éloignés géographiquement et que les intérêts ne cessent de rapprocher. L’ambition des deux pays va bien au-delà de leurs 3 milliards de dollars d’échanges économiques (en 2021), dominés par les exportations des phosphates du côté marocain et du sucre du côté brésilien. C’est d’un rapprochement politique et stratégique voulu à plus haut niveau dans les deux pays qu’il est désormais question.

Abderrazzak Zraidi, président de la Chambre de commerce maroco-brésilienne

«C’est une réalité que peu de Marocains connaissent. A l’image de ce qui s’est passé avec les états-Unis, le Maroc fut le premier pays à reconnaître l’indépendance du Brésil, il y a tout juste 200 ans. C’est également le premier en Afrique à avoir établi, dès 1884, des relations diplomatiques avec le Brésil. C’est un pays qui a un potentiel économique extraordinaire, l’Amérique du Sud est une zone stratégique pour le Royaume. Le Maroc et le Brésil sont deux pays atlantiques et font partie de l’Initiative de l’Atlantique Sud. Pourtant, les relations économiques entre les deux pays sont en deçà des relations politiques et géopolitiques. Il est aujourd’hui dommage que le Maroc et le Brésil ne soient pas encore liés par un accord de libre-échange, comme c’est le cas de l’Égypte et de la Jordanie par exemple. Le Brésil, il ne faut pas l’oublier, c’est aussi le point d’entrée au Mercosur. Ce problème d’absence d’ALE freine les échanges commerciaux entre les deux pays. Or, le Maroc pourrait bien devenir, à son tour, la porte d’entrée du Brésil à l’UE. Surtout que ce pays essaie depuis longtemps de signer un accord de libre-échange avec l’Union, mais il continue de faire face à un blocage de la France. Le Maroc doit prendre l’initiative pour cet ALE qui sera bénéfique, surtout qu’il fera du Royaume un hub pour l’Afrique. Cela dit, les relations entre le Maroc et le Brésil sont très étroites, il y a toujours des discussions entre les deux parties. L’objectif étant d’arriver à un accord stratégique global qui portera non pas sur cinq ou dix ans, mais sur le long terme. C’est un projet qui ne sera nullement impacté par l’arrivée au pouvoir de Lula da Silva. C’est d’ailleurs quelqu’un qui connaît très bien le Maroc. De toutes les manières, nous avons des relais et les canaux de discussions restent ouverts. De plus, à la signature de l’accord tripartite, le Maroc est désormais dans une situation très avantageuse. Cela d’autant plus que le Royaume a une réputation extraordinaire et jouit d’un profond respect, surtout de la classe politique.»