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Plan d’aménagement de Rabat : Les vraies problématiques occultées par la polémique

Le projet de plan d’aménagement de Rabat, élaboré par les services de l’urbanisme et mis en consultation publique depuis le 24 août dernier suscite un tollé, et pas qu’un ! Mais, le problème est ailleurs.

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Alors que le dernier plan d’aménagement est arrivé à échéance en 1996, la capitale a attendu près de 27 ans pour voir enfin son corpus de règles d’urbanisme sorties du tiroir. Elle a fonctionné alors à base de dérogations accordées ci et là, tantôt pour ouvrir des commerces, pour installer des agences bancaires, pour implanter un hôtel, des résidences…, à tel point que cette exception urbanistique est devenue une règle de fonctionnement quotidienne.

Dès qu’il est arrivé et alors que les spécialistes en urbanisme s’attendaient à une révolution, il est directement critiqué. « Ce projet de plan d’aménagement n’a fait qu’harmoniser le zonage des espaces qui avaient bénéficié de dérogations auparavant » explique Rachid Boufous, architecte urbaniste, et accessoirement militant du Mouvement populaire qui fait partie de la majorité dirigeante du conseil de la ville. Le document, qui n’est pas encore définitif, a donc pris acte des différentes évolutions dans lesquelles s’est inscrite Rabat depuis des années. Ainsi, il est devenu possible par exemple d’installer des commerces aux quartiers Souissi, Hay Riad, sur le Boulevard Mohammed VI… ou encore tout le long de la corniche, alors qu’ils existaient avant, par ce système de dérogation. Autrement dit, dorénavant (après adoption par le Conseil de la ville du PA), ouvrir une activité commerciale nécessitera une autorisation tout ce qu’il y a d’ordinaire et non une dérogation. Mais à côté, ce PA n’a pas prévu de places de stationnement, encore moins de parkings, même souterrains. Ce qui pourrait aller à contre-sens d’une évolution positive de la ville. « Il existe une disproportion importante entre le zonage précisé dans le plan d’aménagement et les services apportés en matière d’urbanisme et d’accueil des habitants » estime Boufous.

Douar L’hajja, Doum, Lkoura… un avenir incertain

Un autre professionnel de l’urbanisme explique que l’un des problèmes supplémentaires de ce plan d’aménagement est bien l’avenir de certains quartiers comme Douar L’hajja, Douar Lkoura, Douar Doum… Ce sont des zones de recasement de bidonvillois dont la prise en compte reste floue dans le plan d’aménagement. « Ce dernier prévoit une réhabilitation de ces quartiers alors qu’il faudrait prévoir une requalification » explique cet urbaniste, qui ajoute : « ce sont des centaines de milliers de personnes et de familles qui habitent dans ces quartiers et qui ne connaissent par leur sort, ni celui de leur habitation ».  Rappelons tout de même que la plupart de ces habitations sont construites de manière anarchique et ne disposent pas de titres fonciers. Pour les besoins de l’histoire, Douar Lhajja était une décharge dans les années 50. Après son déplacement, des constructions de bidonvilles ont poussé en tôle et en plastique et se sont transformées en béton, pour aboutir par la suite à des maisons individuelles ou de petits logements collectifs de R+2. Le sol n’y est alors pas stable, les fondations ne répondant certainement pas aux normes, encore moins les constructions en dur. D’où, l’intérêt de réhabiliter l’ensemble de ces quartiers. Comment procéder ? le plan d’aménagement n’apporte pas de réponses claires.

Plateau Akrach, comme s’il n’existait pas

Le plateau Akrach, ces 1200 ha qui n’attendent qu’un plan d’aménagement pour s’épanouir, est laissé pour compte dans ce nouveau projet du document de l’urbanisme. « Le premier plan d’aménagement d’une première tranche de 400 ha, dit plan d’aménagement sectoriel, a été réalisé en 2012, révisé en 2017 et est sorti en 2019, sans pour autant qu’il soit publié dans le bulletin officiel » se rappelle Boufous qui a contribué à sa réalisation. Lui aussi, les autorités tardent à le sortir du tiroir, alors qu’il pourrait désengorger la pression urbanistique exercée sur la ville de Rabat. C’est une zone bien connectée, que ce soit à l’aéroport Rabat-Salé, à l’autoroute, ou à la Rocade. D’autant qu’il est proche de nombre de quartiers comme les ambassadeurs, Hay Riad, Agdal, Soussi… « Tout le centre-ville de Rabat pourrait être déplacé vers le plateau Akrach » estime Boufous. Pourquoi pas !

La verticalité, une réticence encore et toujours

Le plan d’aménagement ne dispose d’aucune initiative, à même de faire baisser l’incidence du foncier sur le prix du mètre carré. Le niveau exorbitant des prix d’acquisition atteint dans la ville, n’ont aucune justification si ce n’est la spéculation liée à la rareté du foncier. La ville n’est pas à caractère industrielle, encore moins économique. Un m2 à 25.000 DH ne trouve aucune explication derrière. Et pourtant, le PA ne prévoit pas plus de R+5 ou 6 dans certains quartiers, même dans les nouveaux, comme celui d’Al Boustane, en face de Marjane. Le boulevard de la victoire, lui, est toujours limité à R+2. « On ne comprend pas cette réticence qu’ont les autorités à permettre davantage de verticalité, alors que cela ne serait que bénéfique tant pour la ville que pour ses habitants qui la désertent de plus en plus, vers les périphéries. A raison d’ailleurs, vu le prix devenu inaccessible de l’immobilier » se demande notre urbaniste.

En attendant la version finale de ce plan d’aménagement, les professionnels espèrent une prise en compte plus réfléchie du dynamisme de la ville et souhaitent un urbanisme novateur et concerté.