Pouvoirs
On veut récupérer nos terres collectives
Je suis une femme ayant droit à une terre collective soulaliyates. Après le décès de mon père, la jamaâ qui gère et organise nos terres collectives a donné la jouissance de ces terres, d’une superficie de 30 ha, à mon oncle. Mes sœurs et moi (mon père n’a pas de garçon) avons porté cette affaire devant le conseil de tutelle pour lui demander de nous rendre ces terres que cultivait mon père depuis presque 25 ans. A notre grande surprise, le conseil de tutelle qui était déjà saisi par la jamaâ n’a fait que confirmer cette décision. Que pouvons-nous faire, sachant qu’au niveau de la direction de ce conseil, c’est-à-dire au ministère de l’intérieur, on nous a répété, texte à l’appui, que les décisions prises par cette instance ne sont susceptibles d’aucun recours.

Les terres collectives ou Jmouâ sont des terrains appartenant aux tribus qui y exercent un droit d’usage. Inaliénables et imprescriptibles, ces terres restent soumises à la tutelle du ministre de l’intérieur qui préside en effet le conseil de tutelle pour toute opération juridique comme la location, la cession, etc. Localement, ces terres sont exploitées par les membres de la jamaâ et gérées sous la supervision des délégués choisis parmi les habitants de la collectivité dits «nouwabes».
Historiquement, les terres collectives sont régies par un texte principal complété par une quarantaine d’autres, dahir, arrêtés, circulaires et autres. Il s’agit du dahir du 27 avril 1919 dont l’article 12 prévoit effectivement que les décisions de ce conseil sont irrévocables et définitives et inattaquables. Cependant, il faut souligner que les circonstances où ce dahir a été élaboré ne sont plus et les intérêts ne sont plus les mêmes, et, partant, il est nécessaire de revoir sa lecture, si ce n’est le texte en entier. Aujourd’hui, il y a plusieurs facteurs juridiques qui font que cet article ne soit plus appliqué, et que les décisions qui émanent du conseil de tutelle présidé par le ministre de l’intérieur restent susceptibles de recours en annulation pour excès de pouvoir à l’instar de toutes les autres décisions prises par l’administration publique.
Il y a tout d’abord l’article 8 de la loi 41/90 instituant les tribunaux administratifs au Maroc, qui donne compétence à cette juridiction de juger, en premier ressort, les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des autorités administratives, et le conseil de tutelle en est un, selon une jurisprudence constante.
Par ailleurs, l’article 118 de la Constitution, comme loi suprême, pose un principe sacré et très important qui est la soumission de tout acte administratif au contrôle juridictionnel.
En effet, cet article dispose : «L’accès à la justice est garanti à toute personne pour la défense de ses droits et de ses intérêts protégés par la loi. Tout acte juridique, de nature réglementaire ou individuelle, pris en matière administrative, peut faire l’objet de recours devant la juridiction administrative compétente». Etant donné la supériorité de la Constitution sur le dahir du 27/04/1919, en l’occurrence son article 12, c’est l’article 118 de la Constitution qui l’emporte. Les arrêts de la Cour de cassation versent presque tous et d’une façon constante dans la possibilité d’exercer le recours en annulation pour excès de pouvoir à l’égard des décisions du conseil de tutelle en matière de terres collectives.
La décision du conseil de tutelle est donc attaquable auprès du tribunal administratif compétent, et, comme le veut la loi, au plus tard 60 jours à compter de sa notification.
