Pouvoirs
Les faux pas de l’USFP
Arrivé en deuxième position en nombre de sièges, l’USFP est le grand perdant de ces élections !
Comme pour les législatives, sa rivalité avec l’Istiqlal lui a été fatale.
Même avec une participation limitée, le PJD a pesé de tout son poids pour lui barrer le chemin.
La tension entre les deux courants de l’USFP a démobilisé les militants.

L’annonce des résultats officiels des élections communales, samedi 13 septembre 2003, a été le point de départ d’une agitation fébrile au sein des partis politiques, toutes tendances confondues. Ils ont alors entamé une première série de contacts préliminaires pour sonder les intentions de leurs alliés respectifs. Des rencontres, parfois publiques, mais très souvent confidentielles, qui se sont intensifiées au cours des derniers jours.
Il n’est donc point étonnant que dès dimanche 14 septembre, le Premier ministre, Driss Jettou, ait réuni les représentants des partis de la coalition gouvernementale pour les inciter à circonscrire leurs alliances dans le cadre de la majorité. Un vœu qui a été globalement respecté… sauf que le problème était ailleurs. Il résidait dans la difficulté à trouver des accords au sein même de cette majorité, et particulièrement entre l’USFP et l’Istiqlal.
Les réunions bilatérales (entre le PI et l’USFP), tripartites entre les trois principaux partis de la majorité (USFP, PI, RNI) ou multilatérales (partis de la Koutla), se sont succédé sans succès notable. La dernière en date a été celle qui a réuni Abderrahmane Youssoufi, Abbès El Fassi et Ahmed Osman, mercredi 17 septembre dans la soirée. Le problème est resté entier. Et pour cause.
Le politologue Mohamed Tozy a raison de dire que le succès électoral de l’USFP, arrivé en deuxième position avec 3 373 sièges, est plus de l’ordre du quantitatif que du qualitatif. Non seulement ce parti a sérieusement reculé dans ses fiefs électoraux (Agadir, Fès et Rabat), mais ses performances ont été médiocres dans les deux villes qu’il espérait investir: Marrakech et surtout Casablanca.
Le coût exorbitant d’une mésalliance
Certes, les socialistes se sont classés premiers à Agadir et à Rabat. Mais ils n’ont pas mobilisé pleinement leur potentiel électoral, puisque le taux de participation a été de 45% dans la capitale du Souss et de moins de 40% à Rabat. De plus, leur score ne leur permettait pas de diriger, seuls, les deux villes en question : 14 sièges sur 47 à Agadir et seulement 17 sièges sur 81 à Rabat.
A Agadir, la personnalité et le dynamisme du chef de file de l’USFP, Tariq Kabbage, lui ont permis de réunir une très large majorité. Reconnaissant la difficulté de la tâche et refusant de recourir à des moyens peu orthodoxes pour constituer une majorité municipale, la tête de file du parti à Rabat, Driss Lachgar, a fini par jeter l’éponge, mercredi 17 septembre, et se retirer de la course pour la mairie.
A Fès, l’USFP, miné par les divisions internes, par les séquelles de la «guerre civile» qui a fait rage lors de la constitution des listes pour les communales et usé par le pouvoir local, a perdu une bonne partie de son électorat au profit de l’Istiqlal et du PJD.
Khalid Alioua n’a pas été apprécié par les militants casablancais
A Marrakech, il est difficile de comprendre comment les socialistes ont pu rater la victoire électorale. Tout les y prédestinait : un score électoral remarquable lors des législatives, des bases sereines et un appareil unifié à la veille des élections et des personnalités de premier plan à la tête de ses listes.
Mais la véritable gifle, l’USFP l’a reçue à Casablanca. «Alors que notre parti avait récolté 17 sièges en 1997, uniquement à la commune du Maârif, il n’a pu obtenir que 17 sièges dans les 16 arrondissements de Casablanca le 12 septembre. Ce n’est pas un recul. C’est une cuisante défaite», s’indigne Mohamed Karam, membre du bureau politique et personnalité socialiste de Casablanca. Imposée aux socialistes casablancais, la candidature de Khalid Alioua a eu pour effet de démobiliser les militants ittihadis, voire de pousser certains d’entre eux à faire campagne contre M. Alioua.
L’USFP a aggravé sa situation par une gestion maximaliste de son alliance – il faudrait plutôt parler de mésalliance – avec son rival de toujours, le Parti de l’Istiqlal. «L’usage ou la règle démocratique veut que la gestion d’une ville revienne au parti arrivé en tête du scrutin. Ce parti doit normalement compter sur le soutien des partis alliés… Telle est la norme observée dans les pays à tradition démocratique. Malheureusement, nos frères de l’USFP n’en ont pas voulu», explique Mohamed Saâd Alami, membre du Comité exécutif de l’Istiqlal.
Sur le principe, ce critère est inattaquable. Mais dans les faits, une telle option aurait fait la part belle à l’Istiqlal, qui est justement arrivé en tête à Fès, Marrakech et Casablanca. Or, l’USFP, dans toutes ses rencontres avec l’Istiqlal ou avec d’autres partis de la Koutla ou de la majorité, affirmait que Rabat, Agadir et Casablanca n’étaient pas négociables. Si on pouvait comprendre cette intransigeance pour ce qui est des deux premières villes, puisque l’USFP y est arrivé en tête ; pour Casablanca, ce n’était pas le cas.
En fait, ce parti était piégé par les exigences internes de ses deux principaux courants. Le courant yazghiste qui ne voulait pas lâcher Rabat et le courant youssoufiste qui n’aurait accepté à aucun prix de voir Casablanca lui échapper ! Il va de soi que sans le soutien de l’Istiqlal et des autres partis de la Koutla et de la majorité, l’USFP n’avait aucune chance de l’emporter.
L’entrée en scène d’un troisième larron a creusé davantage le fossé entre les éternels frères rivaux. Omar Bahraoui, chef de file du Mouvement populaire (MP) et probable futur maire de Rabat, avait fait au PI une offre qui ne se refuse pas : la présidence des cinq conseils d’arrondissement contre un soutien pour le poste de maire.
Résultat : cinq des plus grandes villes du pays risquent fort d’échapper au parti qui s’est classé premier lors des législatives de 2002. Les faux pas de l’USFP, additionnés aux stratégies individuelles, aux calculs partisans étroits et au refus de conclure un accord global et national d’alliance avec les partis alliés et amis ont été fatals aux ambitions municipales du parti. Pire, il risque de se retrouver confronté à une crise interne et une rupture fracassante avec l’Istiqlal, ce qui ne manquerait pas d’affaiblir la coalition gouvernementale.
Le PJD se positionne dans les petites et moyennes villes
Toutefois, le cas de l’USFP n’est pas isolé. Résultat : l’élection des maires et des présidents de conseils communaux risque de tourner à la foire d’empoigne, sur fond d’alliances contre-nature et de transhumance. Ce qui est en flagrante contradiction avec les résultats des communales et des bonnes conditions de transparence dans lesquelles elles se sont déroulées.
Il faut aussi noter le rôle central joué par le PJD malgré sa participation limitée.Là où il le pouvait, il a empêché l’USFP de remporter la gestion des grandes villes en apportant son soutien à ses adversaires ou à ses supposés alliés… C’est le cas à Fès, mais surtout à Rabat et Casablanca. De ce fait, il a joué un rôle d’arbitre dans ces villes et influé sur les alliances dans d’autres. Mais il ne se limitera pas uniquement à ce rôle. Il dirigera probablement un certain nombre de villes où il est arrivé en première position, comme à Kénitra, Meknès, Safi, Kasr El Kébir, Beni Mellal et Khouribga.
On ne peut donc qu’abonder dans le sens du politologue Mohamed Tozy (voir pages suivantes). Selon lui, «le PJD n’a pas reculé et continue à peser d’une façon significative sur les élections. Cela ne veut pas dire qu’il aurait fait un raz-de-marée s’il était présent dans toutes les circonscriptions. Il aura gagné certainement le double de ce qu’il a gagné maintenant, mais je ne crois pas que les Marocains auraient tout remis entre ses mains».
Faible taux de participation dans les grandes villes (autour de 37%), mésalliance entre l’USFP et l’Istiqlal, influence électorale confirmée des islamistes, divisions internes entraînant une certaine démobilisation des militants usfpéistes, et, cerise sur le gâteau, un mode de scrutin favorisant l’émiettement de la carte politique. Tel est le constat de ces communales.
Des raisons qui toutes, à des degrés divers, expliquent ce paradoxe : arrivé en deuxième position en nombre de sièges obtenus, l’USFP réussit le tour de force d’être le grand perdant de ces élections !
