Pouvoirs
Fin de l’année législative : riche bilan d’une session mémorable
• Une nouvelle loi pour la carte nationale et un futur registre social unifié, les deux textes de loi y afférents sont définitivement adoptés.
• Après le vote d’une loi sur le sujet, le Maroc peut désormais installer les bases d’une industrie militaire et de défense.
• Face au vide juridique en la matière, le législateur a vite fait d’installer un nouveau cadre pour l’état d’urgence sanitaire.

Une expérience inédite. C’est le cas de le dire, puisque les deux Chambres du Parlement n’ont jamais connu de pareilles conditions de travail. La session du printemps, clôturée jeudi 23 juillet, aura été exceptionnelle à plus d’un titre. La situation sanitaire a certes obligé les deux Chambres de réduire la présence, à leurs travaux, à un nombre limité de parlementaires, ce qui a d’ailleurs soulevé un débat constitutionnel, mais en même temps elle a fait en sorte que les travaux des commissions soient ouverts au public. Du coup, le sérieux et la richesse du débat et surtout l’implication des ministres et la qualité des échanges ont permis aux Marocains de découvrir un nouvel aspect de l’action parlementaire. Cela nous change, et c’est le cas de le dire, des habituelles séances hebdomadaires des questions orales. L’actuelle session d’avril a démarré sous le signe de l’état d’urgence sanitaire, et les élus ont été appelés à adopter une série de lois spécifiques à cette situation, enrichissant par la même occasion le corpus juridique national. Et peu avant sa clôture, les parlementaires ont renoué avec un exercice que le Maroc n’a plus connu depuis le début des années 90, examiner, amender et adopter un projet de Loi de finances rectificative. En parlant justement de l’amendement de ce projet de loi, il y en a un qui a suscité une polémique qui se poursuit et ne cesse d’enfler sur les réseaux sociaux. Il s’agit du fameux article 247 bis, relatif à la déductibilité de l’impôt des dons effectués au profit du Fonds Covid-19, introduit en amendement par la Chambre des conseillers et validé avec l’approbation du gouvernement, puis entériné par la première chambre qui venait, quelques jours auparavant, d’abroger un article portant, à peu de choses près, la même mesure. Comme les députés ont mal expliqué leur motivation en abrogeant cet article, et pas du tout leur volte-face, nous nous retrouvons avec une opinion publique abusée par les «influenceurs» des réseaux sociaux. Ces derniers, au même titre d’ailleurs que certains politiciens en quête du buzz, ont vite perverti une disposition tout à fait légale en vigueur, de surcroît, depuis longtemps, et un acte citoyen de solidarité dont ont fait montre beaucoup d’entreprises en une manifestation de «cupidité». Bref, la session parlementaire qui touche à sa fin n’est pas que le PLFR et les quelques textes ayant trait à la pandémie, lesquels textes ont d’ailleurs porté sur l’instauration et la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, le relèvement du plafond autorisé de l’endettement public (projet de loi 26-20), et des dispositions liées à l’organisation des réunions des instances délibérantes des entreprises (projet de loi 27-20) ainsi qu’un texte portant sur la CNSS (projet de loi 25-20), édictant des mesures exceptionnelles au profit des employeurs affiliés à la caisse, notamment la gestion des aides directes accordées aux employés en arrêt temporaire du travail.
CCG, nouvelle mue
Il faut préciser au passage que le projet de loi 26-20 a été porté devant la Cour constitutionnelle sur initiative du groupe parlementaire du PAM. Le parti a laissé entendre que ce projet de loi avait été adopté dans des conditions non conformes à la Constitution. Ce qui n’est pas de l’avis de la Cour constitutionnelle. Le Parlement a également adopté une série de projets de loi de portée stratégique et de grande importance aussi bien dans les domaines militaire et sécuritaire qu’économique et social. C’est ainsi que la Chambre des représentants a adopté, il y a quelques jours, une demi-douzaine de projets de loi relatifs au secteur financier et bancaire, à la défense nationale, et à la sécurité informatique. Il s’agit des projets de loi 36.20 relatif à la transformation de la Caisse centrale de garantie (CCG) en société anonyme (SA), du projet de loi 44.20 modifiant et complétant la loi 103.12 relative aux établissements de crédit et organismes assimilés, et du projet de loi 05.20 relative à la cybersécurité. C’est le cas également du projet de loi 10.20 relatif aux matériels et équipements de défense et de sécurité, aux armes et aux munitions, du projet de loi 29.20 complétant la loi 5.99 relative à la réserve des Forces Armées Royales et du projet de loi 42.18 relatif au contrôle des exportations des biens à double usage civil et militaire et des services qui leur sont liés. Dans les détails, l’augmentation significative du recours aux services de la caisse, en particulier à la lumière de la pandémie du Coronavirus, nécessite la réforme du cadre juridique de la CCG, particulièrement le système de gouvernance et le système de gestion des risques, faisant observer que cette réforme marque le début d’une nouvelle phase de politiques publiques visant à faciliter l’accès au financement. Cette loi entrera en vigueur à la date de la transformation effective de la Caisse centrale de garantie en une SA et de l’installation de ses organes d’administration et de direction. Naturellement, pour des raisons de mise en conformité, ce changement entraîne un amendement de certaines dispositions de la loi bancaire.
Sécuriser les réseaux et les systèmes d’information
Une attention particulière a été accordée aux trois textes relatifs à la défense nationale, adoptés en conseil des ministres tenu le 6 juillet. Et pour cause, l’un de ces textes permet au Maroc de disposer, pour la première fois, d’une industrie de défense. Un grand pas pour le Maroc, puisque sur hautes instructions royales, le Royaume va se doter d’un noyau d’industrie militaire et de défense. C’est ainsi que le projet de loi 10.20, adopté à la première Chambre, entend le regroupement et la modernisation des législations relatives à l’opération d’import export et de transport de matériels et équipements militaires et de sécurité, et combler le vide juridique par de nouvelles dispositions concernant l’industrie de la défense sur le territoire national. En d’autres termes, ce projet de loi vise à encadrer les activités de fabrication, de commerce, d’importation, d’exportation, de transport et de transit de ces matériels et équipements, à travers la mise en place d’un système d’autorisation pour la pratique de ces activités et un dispositif de traçabilité et de contrôle des documents, en vérifiant d’une manière immédiate les titulaires des autorisations dans ce domaine. Quant au projet de loi 29.20 complétant la loi 5.99 relative à la réserve des Forces Armées Royales, également voté, il prévoit l’intégration du personnel des établissements et entreprises publics, les personnes morales de droit public ou de droit privé ayant reçu une formation militaire au sein d’un établissement relevant des Forces Armées Royales, parmi les officiers de réserve. En ce qui concerne le projet de loi 42.18, lui aussi validé par les députés, il s’inscrit dans le cadre de la mise en application par le Maroc de ses engagements internationaux concernant le contrôle des exportations et des importations de biens à double usage, prévus dans les conventions internationales en la matière.
Dans ce même ordre d’idées, un projet de loi relatif à la cybersécurité a également été adopté. C’est le projet de loi 05.20 qui a pour objectifs de renforcer les capacités nationales dans le domaine de la cybersécurité et d’élargir le champ de sécurité des systèmes d’information en intégrant d’autres catégories actives comme les exploitants de réseaux publics de télécommunications, les fournisseurs de services de cybersécurité, et fournisseurs de services numériques. Ce texte a également pour vocation de contribuer à sécuriser la transformation numérique dans notre pays, et de mettre en place d’un cadre de coopération et d’échanges de données entre l’autorité nationale de cybersécurité et les services compétents de lutte contre la cybercriminalité et le mauvais usage des données à caractère personnel.
Aides directes, la refonte dans deux ans
Un autre texte et non des moindres, qui n’est d’ailleurs pas étranger à cette volonté de transformation numérique dans notre pays, avec toutes les garanties de sécurité et de fiabilité, porte justement sur la carte d’identité nationale électronique dans une nouvelle version. Le projet de loi n° 04.20 relative à la Carte d’identité nationale électronique (CINE), qui vient d’être adopté au Parlement, vise à mettre en place une nouvelle génération de cartes d’identité nationales électroniques répondant aux normes de sécurité avancées et garantissant la protection des citoyens. Ces cartes seront, en effet, davantage développées afin de réduire les cas de fraude et d’usurpation d’identité, tout en intégrant de nouvelles fonctionnalités conformes à la vision du Royaume en matière de développement numérique. Le ministre de l’intérieur a souligné, en présentant ce projet devant la commission à la Chambre des conseillers, qu’il intègre de nouveaux éléments de sécurité matérielle et immatérielle, conformément aux recommandations en vigueur en la matière, de même que des solutions permettant l’usage de ce document d’identité dans les services électroniques. La CINE, a-t-il souligné, constituera un «pont rapide et sûr» vers les services numériques, a-t-il affirmé, précisant que cette dernière garantira aux citoyens marocains la possibilité d’un accès sûr aux services numériques des établissements publics et privés, tout en assurant la protection de leurs données à caractère personnel. C’est un texte attendu depuis le début de l’année, le projet de loi a été adopté en mars en conseil de gouvernement alors que le ministère de l’intérieur avait déjà présenté aux Marocains le projet de la nouvelle CINE. Notons au passage qu’en parallèle avec son examen au Parlement, le projet de loi n’a pas manqué de soulever un tollé, notamment dans le milieu associatif. L’opposition a d’ailleurs sollicité l’avis du CNDH et de la CNDP. C’est le cas d’un autre texte, mais pour des raisons tout à fait différentes. Il s’agit du projet de loi instaurant, entre autres, le registre social unifié. Le Parlement a même demandé également un avis consultatif des deux institutions. Au final, ce projet de loi (n°72-18) a été adopté, mais son entrée en vigueur, dans sa phase pilote, a été reportée à 2022 et sera généralisé d’ici 2025, l’année prochaine étant une année éminemment électorale. Concrètement, pour le registre national de la population, les études ont été menées et les appels d’offres lancés. Pour le registre national unifié, les appels d’offres ont été élaborés. Le registre social unifié (RSU) entrera en vigueur en 2022 dans la région de Rabat-Salé-Kénitra, tandis que la généralisation du registre national de la population et du registre social unifié se fera entre 2023 et 2025 dans l’ensemble des régions du Royaume.
Chambres de commerce, artisanat et environnement
Adopté en première lecture, le projet de loi N°49.17 relatif à l’évaluation environnementale est en instance d’examen en deuxième lecture après sa validation, il y a une dizaine de jours par la Chambre des conseillers. Ce projet de loi soumet à l’évaluation stratégique environnementale les politiques, les stratégies, les programmes, les plans et les schémas de développement sectoriel ou régional qui sont susceptibles d’avoir des impacts sur l’environnement. Le texte institue l’audit environnemental et entend surmonter certaines lacunes relevées suite à l’application de la loi N° 12-03 relative aux études d’impact sur l’environnement. Pour sa part, validé en conseil de gouvernement, début décembre de l’année dernière, le projet de loi 08-19 vient à peine de boucler l’étape de l’examen en commission. Ce texte qui modifie et complète la loi n°38-12 relative au statut des Chambres de commerce, d’industrie et de services, intervient, rappelons-le, en exécution des clauses de l’accord-cadre signé, le 02 avril 2014, entre le gouvernement et la Fédération des Chambres de commerce. Ce texte a pour objectif d’améliorer la prestation et la productivité des Chambres pour en faire des forces de proposition et des acteurs économiques à l’échelle régionale. Et ce, à travers le renforcement de leurs missions et de leurs métiers, leur adhésion à leur environnement socioéconomique et la facilitation du fonctionnement de leurs mécanismes de gouvernance. Par ailleurs, les principales dispositions de ce projet de loi consistent en l’introduction de la possibilité de conclure un cadre-contractuel avec le Conseil de la région comme partenaire dans la mise en œuvre du programme de développement régional, ainsi que des partenariats avec les Communes, afin de réaliser des projets ou des activités à valeur ajoutée commune. Contrairement à ces deux premiers textes qui ont sont pratiquement arrivés au bout du circuit d’adoption, le projet de loi 50-17 relative à l’exercice des activités de l’artisanat, adopté le 30 juin (www.lavieeco.com), s’inscrit dans le cadre d’un processus de réforme initié par le ministère de tutelle visant à restructurer ce secteur. Les dispositions de ce projet de loi visent, principalement, à définir les activités du secteur de l’artisanat et de ses différentes catégories d’acteurs (artisan, maître artisan, entreprise et coopérative d’artisanat) et à organiser le tissu associatif du secteur par l’institution des ordres professionnels locaux, régionaux et nationaux représentant les différentes activités de l’artisanat.
