Pouvoirs
En France des imams s’initient à la laïcité
L’unique institut de formation des imams en Europe exige que les enseignants
aient des notions de démocratie et de laïcité.
Les futurs imams sont formés pendant huit ans au prix de 2 500 euros par
an.
Les femmes sont acceptées bien qu’elles ne puissent pas dispenser
le prêche.

Hadj Amor Boubakeur est président de l’Association de l’Institut européen des sciences humaines. Ce nom générique désigne en fait l’unique centre de formation des imams en Europe, qui a été créé par l’UOIF (Union des organisations islamiques de France) en 1992. Situé dans le département de la Nièvre, cet institut accueille chaque année près de 170 élèves, dont 50% de femmes, pour un cursus de huit ans.
A l’heure où une commission chargée de la formation des imams en France au sein du tout nouveau Conseil français du culte musulman (CFCM) est en phase d’être créée, l’institut de la Nièvre pourrait connaître quelques changements. Eclairages.
La Vie éco : Le Conseil français du culte musulman va dorénavant se charger de la formation des imams. Est-ce une façon pour le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, de contrôler le contenu des prêches et la qualité des imams?
Hadj Amor Boubakeur : L’Etat français n’a pas vocation à s’immiscer dans l’exercice du culte et encore moins à diriger, de quelque façon que ce soit, le contenu des prêches, même si c’est une volonté affichée de la part du ministère de l’Intérieur. Il peut émettre des souhaits. Par exemple, vouloir qu’il n’y ait plus d’imams étrangers qui viennent sur le territoire français et qui exercent sans tenir compte du contexte français, notamment les préceptes de la République.
Quant au CFCM, je ne sais s’il a les moyens d’organiser la formation des imams. Le parcours universitaire est très long. Il faut près de huit ans pour former un véritable imam. C’est un projet lourd et je ne crois pas que le Conseil en ait les moyens. À la limite, il peut mettre en place une norme qui énumère les caractéristiques nécessaires pour être apte à exercer. Sans plus.
L’Institut européen des sciences humaines a été créé par l’UOIF que beaucoup considèrent comme un courant fondamentaliste… Quid de vos imams ?
D’abord, si certains jugent l’UOIF comme fondamentaliste, c’est uniquement parce qu’aujourd’hui il y a politisation du dossier. Quant à la tendance, on s’essaie à un islam du juste milieu. En termes de pratique, ce n’est pas le laxisme, ni l’intégrisme. Nous enseignons les différents rites (malékite, hanbalite…).
Les élèves apprennent durant deux ans la langue arabe, suivis par deux ans de théologie. Des modules de sociologie et de sunna sont également enseignées selon les différents rites. Et c’est là qu’intervient le choix des enseignants. Ils sont recrutés selon des critères très stricts. Nous exigeons d’eux une maîtrise ou un master d’une université arabe. Celles de Médine et d’Al Azhar étant les plus prestigieuses. Mais cela ne suffit pas. Il faut qu’ils aient suivi également un cursus ou un complément sur le continent européen, pour être sûrs qu’ils ont une connaissance des notions de laïcité et de démocratie.
50% de l’effectif des étudiants sont des femmes. Pourtant ces dernières ne pourront jamais exercer…
Il est vrai que les femmes ne feront jamais de prêches. En fait, elles sont destinées à jouer un autre rôle. Notamment auprès des enfants et des femmes. Il y a une réelle demande à ce niveau-là. Les femmes ont besoin d’approfondir leurs notions en islam et celles qui ont suivi le cursus peuvent les aider dans ce sens. Certaines d’entre elles travaillent ainsi dans les mosquées en tant qu’éducatrices ou animatrices. Les mosquées, aujourd’hui, sont devenues de véritables centres de vie. Ce ne sont plus uniquement des lieux de prière. Le besoin en recrutement se fera grandissant dans les années à venir.
Sur quels critères acceptez-vous les candidates ?
Pour toutes les candidatures, nous exigeons une lettre de motivation et surtout une lettre de recommandation d’un imam. Suite à cela, l’étudiante subit un entretien individuel qui nous permet d’évaluer son degré de pratique et de persévérance. Nous refusons les femmes qui fument par exemple. Et puis, si elles viennent à l’institut sans hijab, elles finissent de toute façon par le mettre. Elles s’y mettent très vite. Le rythme de vie et la promiscuité les y obligent de toute façon. Certaines abandonnent en cours de route car elles imaginaient les choses autrement. Leur vie, durant huit ans, est rythmée par la religion. Et puis, indépendamment de tout cela, il faut des garanties financières. Une année coûte environ 2 500 euros.
n Huit ans de cursus nécessitent des moyens conséquents. D’où proviennent les ressources de l’institut ?
Le financement de l’institut se fait par trois biais. L’inscription annuelle coûte 2 500 euros pour les 170 inscrits. 300 autres étudiants suivent des cours par correspondance à raison de 1 000 euros par an. Chaque été, nous organisons des activités annexes comme les colonies de vacances ou des formations. Enfin, il y a les collectes en France mais aussi à l’étranger, notamment dans les pays du Golfe. A l’occasion de la zakat, ou durant le mois de Ramadan, l’institut envoie plusieurs personnes, en Arabie Saoudite par exemple, pour solliciter des aides.
Vous êtes installés dans un petit village (Saint-Léger). Comment avez-vous été perçus, à votre arrivée, par les élus et la population locale ?
À notre arrivée, beaucoup se sont posé des questions. Notamment celle de savoir si nous n’étions pas une secte. Une manifestation a même été organisée par le Front national à l’époque et les manifestants criaient à l’invasion par les Arabes. On nous regardait de travers. Mais les choses ont évolué au fil du temps. Aujourd’hui, le contact est tout à fait normal. Nous organisons chaque année des journées portes ouvertes. Les Français non musulmans viennent prendre le thé, discuter et aussi se promener sur les onze hectares de notre propriété
