Pouvoirs
Des communales marquées par le 16 mai et l’assainissement
Les attentats du 16 mai et la campagne anti-drogue ont pesé sur la constitution
des listes.
Grosse surprise de ces élections : le PJD adopte un profil bas.
La liste des 200 élus indésirables suscite des réactions
contradictoires.
Seules 5% des listes sont présidées par des femmes !
Un chiffre dérisoire.

Pendant que nos concitoyens se prélassaient sur les plages, les politiques étaient engagés dans des combats homériques pour les têtes de listes des communales. Une «guerre civile» intense qui a fait rage au sein des partis tout au long des mois de juillet et d’août. Transhumances, défections, repêchages, parachutages, règlements de compte politiques… On aura tout vu. Des semaines éprouvantes pour les formations politiques qui laisseront certainement des traces, tant dans ces guerres de positions tout était pratiquement permis.
Toujours est-il que les élections communales du 12 septembre ont fait florès. 122 658 candidats sont en lice pour les 23 689 sièges à pourvoir.
Pour les 104 communes urbaines et rurales dont les membres sont élus au scrutin de liste, le nombre des listes présentées est de 1 767, regroupant 52 379 candidats, pour l’élection de 2 978 conseillers communaux, soit une moyenne de 17 candidats par siège ! En ce qui concerne les 19 451 circonscriptions électorales où le scrutin uninominal sera appliqué, le nombre des déclarations individuelles de candidatures s’est élevé à 48.801, soit une moyenne de plus de 2 candidats par siège.
Le PJD onzième en nombre de candidats !
La répartition par tendance politique de l’ensemble des candidats a été pratiquement la même que celle qui a prévalu lors des élections professionnelles du 25 juillet 2003. Le Parti de l’Istiqlal se classe premier avec 12.904 candidats, suivi par l’USFP (11 925 candidats) et par le RNI (9 105) et le MP (7 880). Quant au PPS, il confirme sa montée en puissance et son implantation nationale, puisqu’il arrive en cinquième position, avec 6 561 candidats.
Quant au PJD, il se classe curieusement en bas du tableau, à la onzième position, avec seulement 4 268 candidats ! Ce profil bas adopté par les islamistes du PJD est la plus grosse surprise de ces communales et l’un de ses traits majeurs. La classe politique, et sa frange moderniste et de gauche en particulier, exprimait des craintes depuis la percée du PJD aux législatives du 27 septembre 2002 quant à l’éventualité «cauchemardesque» de voir les plus grandes villes du pays tomber dans l’escarcelle de ce parti au lendemain des communales. Simple épouvantail politicien ou hypothèse parfaitement réaliste ?
Sans parler du mode de scrutin proportionnel de liste en vigueur dans toutes les communes comptant plus de 25 000 habitants, qui rend pratiquement impossible un raz-de-marée islamiste, il est indéniable que les attentats du 16 mai ont mis le PJD dans une situation intenable, tant les doigts accusateurs se sont multipliés quant à sa responsabilité indirecte ou morale dans ces événements.
Question alors : le profil bas adopté par ce parti serait-il le résultat d’une décision tactique de sa direction de montrer patte blanche et de laisser passer la tempête ou le fruit d’un accord avec l’Etat ? La vérité se situe probablement entre ces deux termes. D’ailleurs, même les dirigeants du PJD qui se sont exprimés à ce sujet l’ont laissé clairement entendre.
Les leaders de l’islamisme légaliste marocain ont toujours mis l’accent sur l’importance cardinale du principe de progressivité dans l’intégration du PJD dans la vie politique institutionnelle nationale, d’autant plus que cela intervient dans un contexte international difficile. Une stratégie largement partagée par les décideurs du parti.
Mais, de toute évidence, il y a autre chose. Interrogé à ce sujet, le secrétaire général adjoint du PJD, Saâdeddine Elotmani, en convient sans détours dans une interview accordée à l’hebdomadaire de son parti Al Aâsr, daté du 22 au 24 août 2003 : «La participation limitée du PJD aux communales est une décision propre et responsable de notre parti. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas eu d’échanges ou des discussions avec des acteurs politiques et des responsables étatiques sur l’importance et la qualité de cette participation».
La liste par laquellele scandale arrive
Participation limitée ? Il ne serait pas exagéré de parler même d’une participation symbolique. En effet, le PJD est totalement absent des deux villes touristiques : Tanger et Agadir. Officiellement en raison de problèmes organisationnels internes aux sections du parti dans ces deux villes.
Mais cela ne s’arrête pas là. Sans parler d’une absence quasi totale dans les communes rurales, le parti de Abdelkrim Khatib ne fait guère mieux dans les grandes villes du pays. Ainsi, à Casablanca, il a présenté des listes dans seulement 8 arrondissements sur 16; à Rabat dans 3 arrondissements sur 5; et de même à Marrakech et Fès.
Et il y a plus remarquable encore. Aucun dirigeant de premier plan du PJD ne s’est porté candidat pour les élections communales. L’analyse attentive des noms des têtes de listes du parti ne fait ressortir que deux cadres peu médiatisés. Il s’agit de Aziz Rebbah, membre du secrétariat général du parti et secrétaire général de son organisation de jeunesse, qui se présente à Kénitra et de Jamaâ Mouâtassim, secrétaire général adjoint de l’UNTM (centrale syndicale proche du PJD).
Le spectre du raz-de-marée islamiste s’estompe ainsi… provisoirement. Mais le problème se posera de nouveau lors des prochaines élections et les mêmes craintes s’exprimeront tant que le PJD n’aura pas fait sa révolution culturelle pour se transformer en parti démocrate musulman abandonnant toute velléité totalitaire.
Une autre question a suscité des commentaires satisfaits ou des réactions indignées. Elle concerne la fameuse liste des 200 élus indésirables à ces élections communales. Cette liste a en effet été transmise par l’administration centrale aux walis et gouverneurs qui ont rencontré les personnes concernées pour les dissuader, de manière tout à fait informelle, de se présenter aux communales.
Les noms les plus médiatisés de cette liste noire furent ceux de la ville du Détroit. Mais cette liste concerne aussi des élus dans des villes aussi diverses que Nador, Al Hoceima, Taza, Casablanca, Ouarzazate…
Certains ont un peu hâtivement applaudi à cette mesure qui, certes, débarrasserait les institutions élues de gens sur lesquels pèseraient de fortes suspicions de corruption, d’implication dans le trafic de drogue ou de contrebande.
Mais une telle démarche constitue une violation de la logique de l’Etat de droit et du respect des droits de l’Homme. Si des faits avérés sont reprochés à ces gens-là, ils devraient être traduits en justice, pour qu’ils rendent compte de leurs méfaits. Autrement, l’on n’a pas le droit de les empêcher d’exercer un droit constitutionnellement garanti à tous.
Une méthode qualifiée de «cavalière et peu orthodoxe vis-à-vis de la loi qui seule peut priver un citoyen de ses droits civiques», affirme Mostafa Miftah, membre du Comité central de la GSU. Le président de l’AMDH, Abdelhamid Amine, enfonce le clou : «C’est une démarche contraire à l’Etat de droit et qui encourage l’impunité. On n’a pas le droit d’empêcher quiconque, sauf de par la loi, de se porter candidat. Ceux qui, par ailleurs, ont obtempéré à ces pressions pactisent pratiquement à la destruction des fondements de la démocratie».
Enfin, une dernière caractéristique de ces communales mérite l’attention : elle concerne le taux dérisoire de têtes de listes féminines. Au-delà de la liste folklorique
exclusivement féminine conduite par Arrifia Khammar (Parti marocain libéral de Mohamed Ziane) à Settat, les partis politiques ont déçu en ne confiant que très rarement à des femmes le soin de mener leurs listes. Un chiffre significatif résume toute cette situation : seules 5% des listes sont présidées par des femmes ! Espérons que celles-là au moins l’emporteront
