Pouvoirs
Cinq questions autour du scrutin
Elections transparentes, impact faible du mode de scrutin sur l’émiettement
de la carte politique, avis partagé sur le vainqueur, faux recul du PJD
sont les grands enseignements de ces communales.
Quelles leçons tirer des communales du 12 septembre? Nous avons posé cinq questions aux politologues Mohamed Tozy, Omar Bendourou, Khalid Naciri et Mohamed Madani. Beaucoup de conclusions convergentes mais une lecture différente parfois, notamment sur les alliances à entreprendre.
Des élections transparentes ?
Mohamed Tozy : La transparence ou la non-transparence sont des mots moralisateurs qui n’ont pas leur place ici. Le niveau de contestation a-t-il été bas pendant ces élections ? Oui, on peut l’affirmer. Des décisions ont été prises comme la suspension d’agents d’autorité, la mise à l’écart de certaines personnes pour cause de conflit d’intérêt. Mais il y a aussi des points noirs comme la divulgation de cette liste «hors-la-loi» de candidats indésirables en contradiction avec la norme démocratique, ou l’utilisation de l’argent. Globalement ces élections ont été peu contestables. On n’est plus dans ce système où le processus électoral était systématiquement pourri. Il n’y a pas d’ententes préalables et si, désormais, on continue de tirer les ficelles, c’est d’une façon plus «légale».
Omar Bendourou : A croire les différents responsables de partis, on peut dire que ces élections ont été, dans une large mesure, transparentes. Les enquêtes effectuées montrent toutefois que l’utilisation de l’argent, les campagnes d’orientation voire des pressions sur les citoyens n’ont pas manqué. Y a-t-il eu manipulation des résultats ? Difficile de soutenir qu’elle a complètement disparu.
Khalid Naciri : Oui, incontestablement transparentes. En tout cas, au niveau de leur gestion par les pouvoirs publics. Nous nous trouvons dans une rupture par rapport au passé.
De même, des efforts louables ont été entrepris par l’Etat pour barrer la route aux candidats malhonnêtes. Mais des efforts substantiels restent à faire par l’Etat et les partis pour éradiquer la falsification par l’argent.
Mohamed Madani : Si transparence veut dire sincérité et absence de trucage, adéquation entre ce qu’a choisi la majorité des électeurs et le résultat proclamé du scrutin, on peut dire, que, malgré la persistance des dysfonctionnements et des pratiques frauduleuses, le scrutin a été transparent. Mais la transparence ne peut se limiter au scrutin proprement dit. Elle est pré-conditionnée par les autres étapes du processus, à commencer par la constitution des listes électorales, la distribution des cartes d’électeurs, le découpage, jusqu’au contentieux. Le contexte général dans lequel se déroule la consultation est aussi déterminant. Et sur ce plan, l’agenda judiciaire et les directives électorales orales, pour ne citer que ces deux exemples, ont nui à la transparence.
À Qui est le vainqueur de ces élections ?
M. Tozy : Je ne crois pas qu’il y ait un grand vainqueur dans ces élections, vu la faiblesse du taux de participation. On est tenté de dire que c’est le jeu démocratique qui est sorti vainqueur. Mais il faut le reconnaître, et c’est tant mieux, ces élections ont été vécues comme une péripétie d’un processus démocratique encore long et complexe. Cela dit, je pense que les gens ont peut-être compris que le jeu est politique et commencent à faire la part des choses.
K. Naciri : Le principal vainqueur est le processus de mise à niveau et de démocratisation du pays. Au-delà, le grand vainqueur reste la coalition majoritaire soutenant le gouvernement, qui confirme que la société marocaine est majoritairement favorable à la poursuite de l’orientation réformatrice qui s’exprime au plus haut niveau de l’Etat et qui s’articule au niveau institutionnel.
M. Madani : Sur le terrain politique, le vainqueur est certainement l’administration territoriale qui aura comme interlocuteur des assemblées hétérogènes et faibles. Si l’on part d’un point de vue sociologique, le grand vainqueur de ces élections est sans conteste la caste des notables ruraux, désignée par l’Intérieur sous la nomenclature vague d’ «agriculteurs». 7 233 sièges ont été remportés par eux, alors que l’on s’attendait à ce que la nouvelle charte suscite le remplacement de cette caste par une élite plus compétente et surtout mieux instruite.
La balkanisation des assemblées communales est-elle le résultat direct du mode de scrutin par liste ?
M. Tozy : A mon avis, la balkanisation ne pose pas problème au système politique marocain. Elle est l’expression des désirs des populations. Notons que ce n’est qu’une étape d’un processus qui commence. Ce qui est en jeu maintenant, c’est la nature des ententes pour l’élection des futurs maires et présidents des arrondissements. Se feront-elles sur la base d’intérêts particuliers (satisfaction des intérêts individuels ou de circonscription selon les désirs des électeurs) ou sur la base de programmes politiques pour toute la ville ou tout l’arrondissement?
O. Bendourou : L’introduction du scrutin proportionnel dans ces élections n’a concerné que 3 494 sièges sur un total de 22 944, c’est-à-dire que 19 450 des sièges ont été distribués, comme par le passé, sur la base du scrutin majoritaire à un tour. Ce qu’il faut relever, c’est que les consultations n’ont pas été précédées d’alliances politiques qui contribuent normalement à la régulation de la consultation et facilitent le choix des citoyens. En tout cas, l’émiettement de la carte politique n’est pas un phénomène nouveau, mais une constante des élections au Maroc et dépend de la nature du régime politique.
K. Naciri : Les constitutionnalistes savent qu’en théorie le mode de scrutin proportionnel favorise plutôt l’émiettement de la carte politique. Mais il a aussi le gros avantage de permettre une représentation fidèle de la carte politique nationale. Au Maroc, je ne crois pas que la balkanisation des assemblées soit due à ce mode de scrutin ; la preuve en est que dans les nombreuses circonscriptions où le mode majoritaire uninominal a fonctionné, nous assistons au même émiettement. Les raisons doivent donc être recherchées dans la sociologie politique du pays et dans son cheminement historique.
Faut-il changer ce mode ? Il est trop tôt pour y répondre de façon péremptoire.
M. Madani : La «balkanisation» est antérieure à la mise en place de la représentation proportionnelle (RP) et celle-ci ne fonctionne pas seule, mais coexiste avec le scrutin uninominal majoritaire.
On accorde à mon avis au mode de scrutin une puissance causale qu’il n’a pas. Même si l’on suppose que la RP favorise l’émiettement des votes, le problème n’est pas celui de la «balkanisation» en soi mais celui de la balkanisation sans représentativité. Pour que la démocratie locale ait de très solides bases sociales, il faudrait parvenir à une correspondance entre demande sociale et offre politique.
Sur quelles bases se feront les alliances pour l’élection des maires ?
M. Tozy : Les communales sont des élections locales et les intérêts sont d’abord locaux. Ce serait une trahison pour les électeurs que de reconduire des alliances politiques. Les électeurs seraient les grands perdants. S’ils sont intelligents, les partis politiques doivent faire des alliances sur la base de programmes politiques. Là on peut parler de transparence et de visibilité puisqu’il y aura des tractations qui devraient être publiques, sur la base d’un contrat de ville.
O. Bendourou : Vu le résultat du scrutin (pas de majorité, même relative), les alliances seront nécessaires. La question qui se pose est de savoir si les deux principaux partis de la Koutla vont entrer en compétition ou rechercher des ententes pour s’assurer des présidences dans quelques grandes villes. Même dans ce dernier cas, les deux partis seraient obligés de négocier avec les autres partis et le résultat des négociations dépend de ces derniers. Autre question : sur quels critères se feront les alliances ? Seront-elles calquées sur l’actuelle coalition gouvernementale ou basées sur les alliances avortées avec la formation du gouvernement Jettou ?
K. Naciri : Normalement, les alliances doivent se structurer autour des pôles auxquels appartiennent les partis. Il y a une majorité et une opposition et les alliances contre-nature sont inadmissibles. La moralisation et la crédibilisation du processus politique supposent qu’à l’intérieur de la majorité gouvernementale, et en fonction des rapports de force locaux, il y ait des désistements réciproques, pour éviter les foires d’empoigne et les pratiques opportunistes.
M. Madani : En principe les présidences des six grandes agglomérations urbaines et des autres assemblées doivent refléter les résultats des élections. Mais dans la réalité, les tendances lourdes de la carte locale n’ont pas varié. Tout cela fait qu’on aura des maires qui ne reflètent pas la majorité locale comme on a eu un Premier ministre qui ne reflète pas la majorité parlementaire. Autrement dit, le parti qui a recueilli le plus de sièges (PI), n’est pas forcément celui qui obtiendra la majorité des présidences.
Le PJD a-t-il reculé pendant ces élections ?
M. Tozy : Le PJD, même s’il n’a pas beaucoup d’élus, a fait le plein des voix. Couvrant 45% des sièges à pourvoir, ses électeurs ont voté à 100 %. Donc il n’a pas reculé et continue à peser d’une façon significative sur les élections. Cela ne veut pas dire qu’il aurait fait un raz-de-marée s’il avait été présent dans toutes les circonscriptions. Il aurait gagné le double de ce qu’il a gagné maintenant, mais je ne crois pas que les Marocains auraient tout misé sur lui.
K. Naciri : En termes de potentiel électoral national, oui. Son positionnement à la 11e place ne laisse pas de doute. Mais on doit nuancer à cause des scores réalisés dans certaines grandes villes où il continue de cartonner dans les ceintures de la misère. J’en conclus que son noyau dur est demeuré invariable malgré le 16 mai, mais que son rayonnement au-delà du noyau s’est considérablement affaibli. Une réalité en demi-teinte qui continue d’interpeller les démocrates de ce pays.
M. Madani : Apparemment, il s’agit d’un recul. En fait, au vu de la stratégie d’auto-régulation électorale qu’il a adoptée (forcé ou contraint) et au vu de l’agenda judiciaire et des mesures pénales qui ne lui étaient pas favorables, il a pu relever le défi de l’après 16 mai. Sa force est visible dans les grands centres urbains comme Casablanca, dans les villes moyennes comme Beni Mellal et dans les petits centres comme Souk Es Sebt. Il est appelé à jouer un rôle d’arbitre dans nombre d’alliances
