Pouvoirs
Ce que Baker propose, c’est une indépendance déguisée du Sahara
Le revirement du Polisario qui a accepté le Plan Baker II a eu pour conséquence
des pressions de l’ONU sur le Maroc.
Branle-bas de combat dans les couloirs du ministère des Affaires étrangères
et offensive diplomatique tous azimuts.

L’heure est grave. Alors que le Maroc avait opposé de sérieuses réserves aux propositions du Plan Baker II dans sa réponse officielle, transmise le 10 mars 2003 à l’envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU, les Etats-Unis tentent aujourd’hui de lui imposer ce plan, en l’état.
À l’origine de cette attitude américaine, il y a le revirement spectaculaire dans la position du Front Polisario. Cédant aux pressions conjuguées de l’Espagne et de l’Algérie, ce dernier a annoncé, jeudi 3 juillet, qu’il acceptait les propositions Baker, alors qu’il y était farouchement opposé jusque-là.
Conséquence : dès le lendemain, la machine onusienne s’est subitement emballée. L’ambassadeur permanent des Etats-Unis à l’ONU, John Negroponte, soutenu par la présidence espagnole, soumettait au Conseil de sécurité un projet de résolution imposant le Plan Baker II comme solution définitive au conflit du Sahara.
La balle est désormais dans le camp marocain. Résultat : branle-bas de combat dans les rangs de la diplomatie marocaine. L’alarme est donnée. Des contacts tous azimuts sont pris avec les pays amis et, comme il est de coutume, la France, allié traditionnel, est sollicitée pour bloquer le processus d’adoption du projet de résolution américaine. Toujours est-il qu’une réunion du Conseil de sécurité, au niveau des experts, s’est tenue mercredi 16 juillet pour rédiger le projet de résolution et préciser les conditions de sa mise en œuvre… Et déjà, ce projet semble avoir acquis le soutien de huit pays sur les neuf nécessaires pour son adoption !
Mais dès lundi 14 juillet, le Souverain était monté au créneau et avait multiplié les démarches diplomatiques. Il a ainsi eu des entretiens téléphoniques avec Georges W. Bush, Jacques Chirac et José Maria Aznar pour rappeler l’essentiel de la position marocaine sur la question du Sahara.
Ni l’intégration pure et simple, ni l’indépendance
En quoi consiste donc fondamentalement la position marocaine ? A cette question, Taïeb Fassi Fihri, ministre délégué aux Affaires étrangères et à la coopération, répond de manière claire et concise dans une déclaration à La Vie éco : «Le Maroc avait accepté le principe d’une solution politique. C’est-à-dire l’autonomie du Sahara, mais dans le cadre de la souveraineté marocaine. En d’autres termes, le statut futur du Sahara devait être une formule intermédiaire entre l’intégration pure et simple et l’indépendance. Tout en restant ouvert sur les modalités d’application et l’étendue de cette autonomie, nous n’avons jamais transigé sur la souveraineté marocaine sur le Sahara».
En clair, le Maroc rejette toute idée de référendum d’autodétermination débouchant sur l’indépendance du Sahara. Si référendum il devait y avoir, il ne porterait que sur l’approbation ou le rejet du statut d’autonomie. Le texte de la réponse marocaine au Plan Baker II ne dit pas autre chose : « En réalité, une fois que les parties se seraient mises d’accord sur une telle solution politique, celle-ci pourrait être soumise immédiatement à la population du territoire qui serait appelée à l’approuver ou la rejeter. L’approbation entraînerait la mise en œuvre du statut du territoire, avec les garanties internationales appropriées, alors que le rejet, bien improbable, signifierait le retour à la table des négociations».
L’autre élément clé de la position marocaine est la riposte à l’initiative américaine cherchant à lui imposer l’application du Plan Baker II par le vote d’une résolution au Conseil de sécurité. Cependant, comme la résolution du conflit du Sahara se situe dans le cadre juridique du règlement pacifique des conflits, aucune solution ne peut être adoptée et mise en œuvre sans l’accord préalable du Maroc et des autres parties concernées. Le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Mohamed Benaïssa, l’a réaffirmé samedi 12 juillet, à Rabat : «Tout règlement politique de la question du Sahara ne doit en aucun cas porter atteinte à notre intégrité territoriale et à la souveraineté nationale du Maroc sur l’ensemble de son territoire».
ASO : les institutions d’un Etat sahraoui en gestation
La réserve marocaine majeure sur le Plan Baker II, c’est qu’il ouvre la voie à l’indépendance, via le référendum d’autodétermination. En le rejetant, le Maroc reste conséquent avec lui-même, puisque la solution politique préconisée par le Plan Baker I était celle d’une large autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine.
Ce qui n’est plus le cas avec le Plan Baker II.
Or, faut-il le rappeler, le Maroc avait accepté dès 1981 le principe du recours au référendum d’autodétermination comme voie de résolution du conflit du Sahara. Les expériences internationales en la matière montrent à l’envi que ce genre de consultations peut parfaitement conduire à l’indépendance du territoire concerné. Le Maroc, estimant légitimement que la Sahara faisait partie intégrante de son territoire, ne voulait entendre parler que d’un référendum confirmatif. Le plan de règlement fondé sur le référendum a finalement fait long feu, butant sur des difficultés insurmontables relatives au corps électoral habilité à participer à la consultation référendaire. On avait alors exploré d’autres voies, dont la «solution politique».
Lorsqu’on étudie d’un peu plus près cette solution politique nouvelle formule (prévue par le Plan Baker II), et plus particulièrement l’architecture institutionnelle de la période d’autonomie intérimaire de cinq ans précédant le référendum, on se rend rapidement compte que ce que le Plan appelle « l’Autorité du Sahara occidental» (ASO) correspond en fait aux institutions d’un Etat sahraoui indépendant en gestation.
Retour à la case départ du référendum
Jugeons-en. L’ASO sera dotée des institutions suivantes : un chef de l’exécutif (président) élu au suffrage universel direct, une assemblée législative (Parlement) élue dans les mêmes conditions, une Cour suprême chapeautant un système judiciaire totalement indépendant du système judiciaire national, une police armée pour le maintien de l’ordre public et une participation des représentants de l’ASO dans les délégations diplomatiques marocaines lorsqu’il est question du Sahara. Sans parler des compétences exclusives de l’ASO en matière économique, culturelle et sociale (voir extraits du Plan Baker II ci-contre).
Certains n’ont pas hésité à franchir le pas pour affirmer que les concepteurs du plan Baker II ont poussé les choses un peu trop loin en prévoyant pratiquement la mise en place d’un régime républicain en puissance au sein même d’un régime monarchique ! À moins que la logique sous-jacente à ce plan ne soit celle d’un futur Etat fédéral. Ne serait-ce pas là la véritable voie de résolution du conflit du Sahara suggérée par ce Plan : un Etat fédéral réunissant le Maroc et le territoire du Sahara?
Comme si les choses ne l’étaient pas suffisamment, un autre élément vient compliquer davantage le problème : celui du référendum organisé à l’issue de la période d’autonomie intérimaire de cinq ans. Une vraie bombe à retardement. La réponse officielle marocaine à ce plan le dit de façon explicite : «On peut se demander quel est l’intérêt de mettre en place toute une solution politique complexe pendant quelques années pour qu’au bout du chemin, on se retrouve dans le cas de figure qui a mené à l’impasse».
Il s’agit de l’accord introuvable entre les parties sur les électeurs habilités à participer aux consultations référendaires. Un problème qui a été fatal au Plan de règlement précédent et qui risque de l’être tout autant pour le Plan Baker II. D’autant plus que le corps électoral prévu par ce dernier est très largement en défaveur du Maroc (voir extraits ci-contre). Ce serait incontestablement le retour à la case départ.
Cette focalisation momentanée et cette agitation ponctuelle à l’ONU autour du conflit du Sahara pousseront peut-être à des compromis féconds à même de conduire à des solutions durables. Mais, la hâte américaine à imposer une solution rapide sent trop le pétrole de Hassi Messaoud pour être totalement désintéressée. Quant à la précipitation de l’Espagne à faire forcer le pas aux parties concernées, elle vise à marquer la présidence espagnole du Conseil de sécurité (du 1er au 31 juillet) du sceau de l’efficacité dans la résolution des conflits régionaux.
Quant au peuple marocain, il a consenti depuis vingt-huit ans des sacrifices tellement lourds en vies humaines et en ressources financières pour le Sahara qu’il jugerait indécent de songer à brader le moindre arpent de terre de nos provinces du Sud. Mais le conflit ne pourra éternellement durer. Une solution devra être trouvée. Dans ce dessein, mettons notre imagination et notre créativité au travail. Tout le monde y gagnera
