Pouvoirs
Sur le plan interne, retour de la guerre des clans
• Un mémorandum appelant à la tenue d’un congrès extraordinaire fait des ravages.
• Il donne lieu à un nouveau bras de fer entre les deux principaux clans du parti.

C’est comme une boule de neige. Des jeunes du PJD se présentent au siège du parti, quartier des orangers à Rabat, avec sous le bras un mémorandum à soumettre au secrétariat général. Entre autres revendications contenues dans ce document, un appel à la tenue d’un congrès extraordinaire. La direction du parti décide de les renvoyer. Abdelhak El Arabi, directeur du siège et conseiller aux affaires sociales du chef du gouvernement, reconnaît par la suite avoir agi de son propre initiative, estimant que les jeunes porteurs de cette requête n’avaient pas qualité de s’adresser ainsi au secrétariat général, puisque n’étant même pas membres du conseil national. Les choses auraient pu s’arrêter là. Sauf que ces mêmes personnes se sont adressées également au conseil national dont le président, Driss El Azami, réputé proche de l’ancien secrétaire général, s’empresse de les recevoir. Il réunit le bureau de l’organe décisionnel du parti et décide que la requête est acceptée et qu’elle allait être soumise à la commission concernée. Ce faisant, le conseil national passe outre la décision du secrétariat général et donne de l’appui, ne serait-ce que moral, aux détenteurs de cette feuille de route médiatisée par la suite sous l’appellation que l’on pourrait traduire approximativement par «critique et évaluation». Notons que le conseil national vient de réunir une session ordinaire le 18 septembre. Il faut donc attendre la prochaine session pour savoir si les différents points contenus dans ce mémorandum, dont l’appel à un congrès extraordinaire, seront retenus à l’ordre du jour de ses travaux. En attendant, le clivage entre les deux instances du parti qui représentent schématiquement les deux clans qui sont apparus depuis la veille du dernier congrès, s’accentue davantage. Entre-temps, la revendication d’un congrès extraordinaire gagne des voix. A l’écriture de ces lignes, plus de 300 militants, dont des membres du conseil national et de la jeunesse du parti, l’ont signée. En même temps, la jeunesse du parti (la JJD), elle-même, présidée par l’actuel ministre du travail, Mohamed Amekraz, entre en jeu. Sévèrement critiquée pour sa «mollesse» depuis que son patron est devenu ministre, la JJD approuve cette initiative qu’elle considère comme «positive». Il faut préciser que, statutairement, pour la tenue d’un congrès extraordinaire il faut réunir la signature d’au moins les deux tiers des membres du conseil national. Selon de nombreux observateurs, cette instance est certes majoritairement acquise au clan des partisans de l’ancien secrétaire général, mais pas au point de réunir facilement un tel nombre de signatures.
Implicitement, affirment plusieurs analystes, les militants du PJD ne s’en cachent d’ailleurs pas, cet appel à la tenue d’un congrès extraordinaire implique automatiquement la révocation de l’actuel secrétaire général et éventuellement le retour de l’ancien chef du gouvernement aux commandes du parti. L’objectif de la manœuvre, au demeurant difficile à mener sous l’état d’urgence sanitaire, est écarter l’actuelle direction du parti de la gestion des élections. Car pourquoi se donner tant d’effort pour révoquer un secrétaire général dont le mandat s’achève juste après les élections, en décembre 2021. En parlant justement des élections, cette initiative intervient alors que le parti est divisé, encore une fois, par un autre débat. Faut-il ou non réduire la couverture de la totalité des circonscriptions électorales aux échéances de 2021 ? La proposition aurait été mise sur la table lors d’une réunion du secrétariat général, mais cela n’a pas été confirmé officiellement. D’aucuns estiment que, vu la dégradation de la popularité du PJD, notamment par l’usure du pouvoir, sa direction aurait envisagé de réduire ses ambitions électorales au lieu de tabler sur une victoire difficile à décrocher dans les conditions actuelles. Eh bien, dans ce cas aussi le parti est divisé. Certains dirigeants estiment que l’idée est sinon envisageable, en tout cas sujette à débat, étant donné l’évolution du contexte aussi bien local qu’international et la nécessité de donner un nouvel élan au processus démocratique. D’autres la rejettent catégoriquement et accusent des parties extérieures de faire pression sur leur formation pour réduire son poids sur l’échiquier politique.
Mais alors que le débat n’est toujours pas tranché, une figure du parti, qui se présente comme penseur, lance une nouvelle initiative. S’adressant aux caciques du parti, les figures électorales connues qui se présentent pour certains depuis les élections de 1997 et pour la plupart depuis 2002, il leur suggère de se retirer, laissant la place aux jeunes cadres. Après quatre ou cinq mandats successifs certains parlementaires de carrière n’ont dû céder leurs sièges qu’en raison de l’incompatibilité entre certains mandats électifs et en raison de leur présence au gouvernement. Ceux qui n’ont pas eu leur chance veulent désormais que cela change. Et ce, quitte à réduire le nombre de mandats parlementaires à deux par candidat et inscrire cela dans les statuts du parti. Et même si la tradition, du moins en apparence, veut que les candidats soient choisis par la base, ces derniers sont invités à se désister, pour «donner l’exemple» et se consacrer plutôt à la diffusion de l’idéologie du parti et à la promotion de son projet de société. C’est un appel franc au renouvellement des élites lancé depuis les bases du parti. Le PJD est en effet l’exemple parfait de la concentration des mandats électifs. Il compte le plus grand nombre de cas où un parlementaire peut aussi être membre du bureau de la Chambre à laquelle il appartient et vice-président de région ou président d’un conseil communal ou d’arrondissement. Soit trois mandats rémunérés cumulés à la fois. Le phénomène est tellement flagrant que tous les maires des grandes villes dirigées par le PJD sont également parlementaires ou même, dans le cas de Kénitra, ministres.
