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Société

Violence à  la télé : aucune protection pour les enfants

L’enfant passe en moyenne 2 h 30 devant la télévision à l’âge de cinq ans ; il en passe quatre à l’âge de douze ans.
Aux Etats-Unis, un enfant de seize ans aura vu en moyenne 20 000 homicides sur le petit écran.
Au Maroc, la loi sur l’audiovisuel pénalise l’apologie de la violence, mais tout reste à faire de la part de la nouvelle HACA.

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Les images de violence les plus insoutenables entrent par effraction dans nos foyers par le biais de la petite lucarne. Les dernières en date ne sont pas les moins terribles : des dizaines de milliers de cadavres jonchant le sol, au milieu d’un paysage d’apocalypse. Des cadavres sur lesquels des hommes masqués pulvériseront, quelques jours plus tard, des produits désinfectants pour éviter la propagation d’épidémies… Ce sont les images du tremblement de terre survenu au large de Sumatra, le 26 décembre, et du raz-de-marée qui s’en est suivi, images qui portent l’horreur à son paroxysme.
Il y a quelques années, qui n’a regardé, en direct ou en différé, cette scène montrant des soldats israéliens criblant de balles le petit Mohamed Dorra, Palestinien de dix ans, et son père, le regard suppliant, tentant de le protéger de son corps ? En 1991, les caméras de l’armada américaine filmèrent en direct la nuée de chasseurs bombardiers dernier-cri survolant Bagdad et larguant des milliers de tonnes de bombes sur la capitale irakienne. La violence télévisuelle est notre lot quotidien, via l’information.

L’enfant n’analyse pas l’émotion dégagée par l’image et l’intériorise
Elle est également récurrente dans les scènes de fiction dont nous sommes abreuvés. Terminator, incarné par l’acteur américain Arnold Schwarzenegger (symbole de la force invincible), cette trilogie de science-fiction dont le dernier volet, Le soulèvement des machines, est le type même d’opus destiné aux adultes mais qu’affectionnent particulièrement les enfants. «Les cascades et les scènes de destruction sont réussies et impressionnantes. Truffé d’effets spéciaux, le film fait la part belle à l’action et aux armes», écrivit Le Parisien à la sortie du troisième volet, en 2003.
La violence envahit jusqu’aux émissions pour enfants. Il n’est pas rare de voir, dans les dessins animés, des personnages aplatis par des rouleaux compresseurs ou avalés par des bêtes sauvages, encore que, là, l’humour soit souvent au rendez-vous.
Toute cette violence affecte incontestablement le psychisme des enfants. C’est le constat unanimement établi par les chercheurs, qu’ils soient spécialistes de l’audiovisuel, philosophes, sociologues ou pédopsychiatres.
La conclusion s’impose avec d’autant plus d’évidence que les enfants passent de plus en plus de temps devant la télé. Selon une étude américaine, menée à la fin des années 1990, le temps que passe l’enfant devant le petit écran est en moyenne de deux heures et demie par jour, à l’âge de cinq ans. Il est de quatre heures par jour à l’âge de douze ans. «Vers la fin de l’adolescence, ajoute l’étude, le temps passé à regarder la télé se stabilise à deux ou trois heures par jour.»
Une autre étude de psychologie sociale révèle qu’«au moment où l’enfant américain normal atteint l’âge de 16 ans, il aura vu quelque 20 000 homicides.» Les Canadiens font le même constat: la plupart des enfants âgés de quatre ans regardent déjà des émissions pour adultes. Environ 30 % du temps qu’ils passent devant l’écran se situe entre 19 h et 23 heures.
Chakib Guessous, médecin radiologue et socio-anthropologue marocain, affirme : «Au Maroc, la télé devient un instrument de proximité incontournable, voire une nécessité, puisqu’elle est dans la quasi-totalité des foyers urbains et des dizaines de milliers de foyers ruraux». Et d’ajouter : «Il est révolu le temps où une famille se réunissait devant l’écran de télévision pour savourer dans le respect, le calme et une chaleureuse intimité des émissions qui arrachaient rires ou pleurs, en tout cas une émotion partagée, loin du fracas des revolvers et des images de crânes pulvérisés. Aujourd’hui, l’atmosphère entourant la télévision est souvent électrique, il y a une violence orale, de l’agressivité. Vous n’avez qu’à regarder des débats sur la chaîne Al Jazira, une véritable foire d’empoigne. Le téléspectateur enfant a l’impression, devant de tels spectacles, qu’il s’agit de comportements normaux et légitimes. La banalisation de la violence est à son comble».
Mais qu’entendons-nous par violence, d’abord, et quel est son impact sur le développement de la personnalité de l’enfant ?
Dans le rapport d’une commission chargée par le gouvernement français d’analyser la présence de représentations violentes à la télévision et de faire des propositions (le fameux rapport de Blandine Kriegel, professeur de philosophie morale et politique), on peut lire, à propos de la violence : «[c’est] la force déréglée qui porte atteinte à l’intégrité physique ou psychique pour mettre en cause, dans un but de domination ou de destruction, l’humanité de l’individu».
La violence n’est pas que physique, soutient M. Guessous. «Elle peut être aussi orale, par la parole, en usant de mots insultants et blessants, ou par des gestes ou des comportements. La négligence est aussi une forme de violence : c’est le cas, par exemple, d’une petite bonne sous-alimentée ou ne dormant pas à son aise. Il y a enfin la violence sexuelle.»
La télévision aura même transformé le rôle et l’image du père et de la mère dans le subconscient de l’enfant. Personnages modèles, pour ce dernier, il y a à peine une génération, ils sont de nos jours, explique M. Guessous, supplantés par d’autres modèles puisés dans la télévision : vedettes de cinéma, chanteurs ou professionnels du show-biz. Or, si l’adulte, devant ce degré de violence, peut faire la part des choses, l’enfant ne le peut pas puisqu’il l’intériorise facilement et peut reproduire, dans la réalité, sous forme de paroles ou d’attitudes violentes, ce que lui transmet le petit écran.

Il faut trouver un point d’équilibre entre liberté et responsabilité
Cette violence n’est effectivement pas contrôlée, confirme Bouchaïb Karoumi, pédopsychiatre exerçant à Casablanca, parce que «l’enfant est dépourvu de la capacité d’analyser, de faire face à l’émotion dégagée par l’image reçue dans un film. Son attitude est différente de celle de l’adulte qui va essayer de gérer la situation. Je constate cet impact durant mes consultations, où des parents signalent des phases d’excitation chez leurs enfants suite à un film ou à un dessin animé. Les parents confirment que l’enfant mime les gestes et attitudes de leur héros télévisuel. Surtout qu’au Maroc les enfants regardent la télé sans aucun contrôle ou surveillance des parents».
Quelle influence exerce la télévision sur le développement de la personnalité de l’enfant et sur son comportement ? Cette influence n’est plus à démontrer, si l’on en croit les psychologues. Comme l’éducation, le milieu familial, social et scolaire, la télé, ainsi que les jeux électroniques ou informatiques, font désormais partie de l’espace où se meut l’enfant dès son jeune âge. Par conséquent, ils participent, à leur façon, nous assure M. Karoumi , «au développement de sa personnalité. Un enfant qui évolue dans un milieu attentif à ses besoins, tant ludiques que ceux qui développent ses compétences et ses capacités relationnelles, est un enfant, qui, généralement, évolue bien. Mais si le milieu familial est rassuré du simple fait que l’enfant reste à la maison à regarder la télé, et se contente de cette assurance, évidemment l’enfant est alors amené à passer beaucoup de temps devant le petit écran, et donc à subir son effet nuisible.» Vu l’absence dans les quartiers de structures d’accueil des enfants, d’espaces verts et de loisir, de jeux récréatifs ou artistiques, les enfants n’ont, pour dépenser leur énergie débordante, d’autre alternative que la rue, ou la télévision, déplore le pédopsychiatre.
En même temps, accuser la télévision de tous les maux, lui imputer tous les comportements agressifs des enfants, serait aller vite en besogne. Certains enfants, disent les psys, sont plus vulnérables que d’autres. Enfants «à risques», ils pourraient plus facilement être touchés par cette violence télévisuelle et devenir agressifs. Mais tous les enfants ne se promènent pas avec des revolvers dans les cours des écoles. Ce groupe vulnérable soutient un psy, «ne représente certes qu’une minorité de téléspectateurs, mais il est susceptible de constituer la majorité des agresseurs.»
Toujours est-il que les vertus pédagogiques de cet outil communicationnel révolutionnaire qu’est la télé ne sont plus à démontrer. Dans un colloque tenu en France en avril 2003, sur le thème «Jeunes, éducation et violence à la télé», le représentant du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) français, publié sur le site internet du conseil, est clair : «L’impact des programmes de télévision peut être très positif. La télévision est un outil pédagogique, un moyen d’ouverture sur le monde, un instrument de connaissance irremplaçable. Grâce à elle, enfants et adolescents parviennent à acquérir un niveau de connaissances qui n’a rien de commun avec celui des générations précédentes. Accuser la télévision d’être la cause de la violence et de tous les maux de la société est un procès trop facile.» Mais la vigilance de l’instance régulatrice française à l’égard des émissions qui peuvent nuire aux enfants est de mise. Des dispositions dans les conventions signées entre les chaînes télévisuelles et le CSA limitent les plages d’horaires d’un certain nombre de programmes qui contiennent de la violence, comme ceux appelés catégorie IV, moins de 16 ans (heure limite : 22 h 30), et de la catégorie III, moins de 12 ans (heure limite: 22h). Quant à la catégorie V (films pornographiques), qui véhicule une autre forme de violence, outre un système de verrouillage imposé, elle n’est autorisée qu’entre minuit et 5 heures du matin. Néanmoins, pour le porte-parole du CSA français, lors du colloque sus-cité, «il ne s’agit pas pour le conseil de censurer ou d’aseptiser les écrans de télévision de toute représentation violente ou érotique, mais de renforcer la vigilance des adultes et leur implication dans la protection des mineurs. Il s’agit donc pour le conseil de trouver un point d’équilibre, la voie étroite entre la liberté et la responsabilité.»

Les images violentes de l’actualité doivent être dictées par le seul devoir d’information
La Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA), équivalent marocain du CSA, en ce domaine, a du pain sur la planche. Mis à part la loi relative à la communication audiovisuelle, dont on attend la promulgation au Bulletin officiel, et qui pose les jalons juridiques et déontologiques de son travail de régulation, tout reste à faire. Rappelons que cette loi ( qui comporte 85 articles) interdit, sous peine de sanction, toute apologie de la violence contre les enfants. A cet égard, l’article 9 est clair: «Les émissions et les reprises de programmes ou de parties de programmes ne doivent pas être susceptibles de faire l’apologie de la violence ou d’inciter à la discrimination raciale, au terrorisme ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou non à une ethnie, une nation, une race ou à une religion déterminée, ou de présenter, sans motif légitime, des mineurs en situation dangereuse.» Pour la concrétisation sur le terrain d’une telle loi, l’exemple français serait à méditer. Quant à 2M, son directeur des programmes, Mohamed Mamad, nous assure que tous les programmes, sans exception, sont soumis, avant leur diffusion, à un contrôle strict, qu’ils soient destinés aux enfants ou aux adultes, pour exclure les images de violence susceptibles de choquer les téléspectateurs. «C’est une pratique chez nous quotidienne, c’est une question de déontologie et un devoir professionnel qui relèvent de considérations morales et éthiques.» Et les journaux télévisés ? Les scènes et les images de violence, dit Mamad, sont inévitables, comme dans toutes les télévisions du monde. Mais, nuance-t-il, «montrer des images violentes ne devrait pas être un objectif en soi, mais être dicté par un devoir d’information.».

En France, les programmes télévisés sont classés par catégorie, selon leur degré de violence et les plages horaires de diffusion sont contrôlées.

Imputeràla télévision tous les comportements agressifs des enfants serait abusif. Mais si les enfants «à risque» ne représentent qu’une minoritéde téléspectateurs, ils sont susceptibles de constituer la majorité des agresseurs.

La mort est omniprésente sur le petit écran et, ces derniers temps, les informations titrant sur le Sud-Est asiatique rivalisent avec la fiction en matière d’horreur.