Société
Une journée au tribunal de première instance de Casablanca
Service d’information inexistant, lenteur des procédures, manque de zèle chez certains fonctionnaires… le citoyen est obligé de faire preuve de patience. Les bornes électroniques sont inutilisées et pour beaucoup hors service. Le suivi d’un dossier est un vrai casse-tête.

Environ 9h30, avenue Hassan II, commence la journée pour le personnel du tribunal de première instance de Casablanca. Du fait de ses larges attributions, il s’agit là de la juridiction la plus sollicitée du Maroc : près de 60 000 affaires traitées lors de l’année judiciaire 2012-2013. Sa compétence s’étend à toutes les affaires civiles, immobilières, pénales et sociales. Toutes les questions relatives au statut personnel, familial et successoral relèvent également de sa compétence. Que ces questions concernent des nationaux, musulmans ou israélites, ou des étrangers. Cependant, ses Chambres sociales, familiales et pénales étant délocalisées, seules les affaires civiles et immobilières y sont traitées. Exit donc les psychodrames et autres scènes de désespoir de familles déchirées ; ici, ce sont les affaires d’ordre pécuniaire qui occupent juges, avocats et greffiers.
A l’entrée, deux agents de police gèrent l’affluence qui croît au fil des heures. Avocats en robes noires qui défilent, smartphones à la main; greffiers qui passent d’une salle à une autre ; justiciables en discussion avec leurs mandataires…
Dans ce brouhaha, une vieille dame, assise, affublée de son badge «visiteur», a l’air complètement perdue. Nous décidons d’aller la voir. Après lui avoir indiqué le bureau du secrétariat greffe (ce qu’aucun membre du personnel du tribunal n’a jugé bon de faire et en l’absence totale de bureau d’information), qu’elle a eu du mal à trouver car analphabète, elle décide de briser la glace et raconte son histoire rocambolesque, principalement due à une succession qui a mal tourné entre les ayants droit. Elle vient aujourd’hui récupérer la décision, en sa faveur, rendue par le tribunal. Au secrétariat greffe, on lui demande de s’asseoir et d’attendre car «débordés», disent-ils : «Patientez Alhajja, nous sommes très occupés. Et puis, vous devez avoir le sourire, le juge vous a donné raison», dégaine le greffier qui, pour l’heure, est occupé à siroter son thé à la menthe…
A la sortie des bureaux, un homme au regard hagard attend son avocat pour déposer sa demande introductive d’instance. S’estimant victime d’une arnaque immobilière, il dit «avoir perdu plus de 100 000 DH, sans compter les frais d’avocat et de justice». Mais pour lui, ce n’est pas le plus grave : «Cela fait plus d’un mois que ma requête n’a pas été enregistrée, faute de documents». Son avocat, gêné, met ça sur le compte de l’engorgement du tribunal et refuse de donner plus de détails.
Beaucoup de requêtes sont enregistrées avec un gros retard
En tout cas, la problématique des demandes qui tardent semble récurrente. En effet, il arrive que les greffiers, «totalement débordés», comme ils ne cessent de répéter, reportent les requêtes des justiciables «pour des raisons purement dilatoires», déplore cet avocat ayant requis l’anonymat. «On essaie de régler l’engorgement des tribunaux en traitant les justiciables comme du bétail, en reportant leurs requêtes chaque fois qu’ils le peuvent», dit-il.
Et la galère ne s’arrête pas là. Après le dépôt de la demande, le suivi de l’affaire est un véritable casse-tête. D’autant plus que les appareils électroniques mis en place à cet effet font partie du décor. Aucune indication sur la méthode d’utilisation et, à défaut d’emploi, les machines ont fini par «tomber en désuétude».
Certains justiciables usent de pratiques frauduleuses pour faire passer leur dossier en priorité
Il arrive également que les justiciables soient responsables de leur désarroi. Comme celui qui a perdu son acte de location qui devrait servir pour le procès intenté par son propriétaire. Au rez-de-chaussée, une flèche indique le bureau des rédacteurs, anciennement appelés les «copistes».
Au tribunal de Casablanca, ils sont une vingtaine. «Nous rédigeons tous les actes égarés par leurs propriétaires. En cas de perte d’un document, il suffit que le demandeur nous donne la référence, le nom, la date et la région, nous recherchons sa trace dans les registres originaux du tribunal, et on rédige un nouvel acte à la place de celui égaré», explique l’un d’entre eux. Là encore, gros problème d’organisation. Les rédacteurs acceptent rarement les requêtes des «maladroits», soit parce qu’il s’agit d’un acte ancien, soit parce que les données mentionnées ne sont pas suffisantes pour l’identifier. Résultat : grosse sollicitation face à l’impuissance des rédacteurs, et donc accrochages à tout-va avec les justiciables agacés.
La journée avance et les audiences se poursuivent. Arrive l’heure pour certains avocats d’aller s’acquitter de la taxe judiciaire pour le compte de leurs clients. Là encore, un seul guichet, file d’attente et clientélisme. Les avocats expérimentés ont leurs entrées, les jeunes duvets, eux, attendent. Dure réalité d’un système judiciaire dont l’intégrité devient de plus en plus indéfendable.
