Société
Un directeur technique national, pour quoi faire ?
Le football marocain souffre de l’absence d’aires de jeu convenables, de terrains d’entraînement et de centres de formation.
Dans son programme de mise à niveau, la fédération inscrit
la direction technique nationale comme pièce maîtresse.
Fathi Jamal, nommé à la tête de la DTN, mettra en place
sept départements, dont la plupart supervisent la formation, et une cellule
pour la prospection des talents.

On lui faisait grief de sa frilosité, de son attentisme et de son immobilisme. On la jugeait vaine et insignifiante, molle et encombrante, coûteuse et infructueuse. N’en pouvant plus d’être l’objet d’un tel excès d’indignité, la Fédération royale marocaine de football (FRMF) se décida à sortir de sa léthargie et publia, au terme de sa réunion du mercredi 7 décembre, un ensemble de dispositions ayant trait aux prérogatives du sélectionneur national, Philippe Troussier, et à la «mise à niveau» du football marocain.
Retour en arrière. En cette soirée du 9 septembre, alors qu’elle est tout près du paradis, l’équipe nationale marocaine en rate, par une incroyable maladresse, la porte d’entrée. La Tunisie, son adversaire si prenable, ira en Allemagne, le Maroc se contentera d’un billet pour l’Egypte. Piètre consolation. Il ne reste plus qu’à ruminer la désillusion, en s’efforçant de trouver des attraits aux Pyramides.
Philippe Troussier a-t-il été retenu par simple paresse ?
C’est ce dont on sera distrait par l’annonce lapidaire de la démission de Badou Zaki de son poste d’entraîneur national. Pour l’ancienne gloire de notre football, la messe est dite depuis longtemps, mais on ne s’attendait pas à ce qu’il lâche la rampe de son propre gré. Il a été proprement «débarqué», murmurent certains. Faux, absolument faux !, s’écrie Mustapha Badri. Selon le directeur responsable de la publication du bihebdomadaire Al-Mountakhab, Badou Zaki, ulcéré par les critiques incendiaires, aurait signifié au président de la FRMF sa résolution à démissionner quelle que soit l’issue de la rencontre décivive contre la Tunisie. En tout cas, ce départ, de l’avis des observateurs les plus avertis, n’arrange pas les affaires de l’équipe nationale, eu égard à la proximité du rendez-vous égyptien (du 20 janvier au 10 février).
Zaki ayant pris du champ, la FRMF se met sur le champ à la recherche d’un nouveau sélectionneur. Plusieurs noms, plus ou moins fantaisistes, circulent. Celui de Philippe Troussier, familier aux Marocains, sera retenu, sans doute par paresse. Ceux qui sont au fait des choses du football auraient élu Didier Deschamps ou Paul le Guen, sinon Oscar Fullone. Mais faute de grives, on se contente de merles. Et ce merle-là, baptisé «sorcier blanc», au fil de ses incessantes migrations, a perdu des plumes et un peu de son panache, comme l’atteste son passage désastreux à l’Olympic de Marseille. Il ne s’en montre pas moins vorace, exigeant d’avoir la haute main sur toutes les sélections nationales, imposant une assistance technique et médicale exclusivement française et ne souffrant aucune restriction à ses pouvoirs dispendieux. Révoltée de voir ainsi ses comptes plombés par des dépenses évitables et d’être considérée comme une quantité négligeable par Philippe Troussier, la FRMF met le holà. Désormais, ce dernier aura uniquement la charge des équipes nationale «A» et olympique; s’il lui appartient de proposer les éléments de son staff, leur recrutement est du ressort de la seule FRMF.
Ce n’est pas dans six mois que l’équipe entourant l’entraîneur national sera définitivement composée. Pour l’heure, malgré l’imminence de la CAN 2006, Philippe Troussier semble naviguer à vue. A son compteur, un match contre le Cameroun, dans un stade français désert, auquel ont pris part les pros, mais dont on ne comprend pas la pertinence. Suivi d’un stage destiné aux joueurs du cru, plein d’enseignements, estime-t-il ; superflu, rétorquent les observateurs. Bientôt, un autre stage, mixte, cette fois-ci, pour lequel pas moins de 79 joueurs amateurs et professionnels sont convoqués. Ceux-ci jouiront d’un double agrément : le cadre bucolique de la Maâmora et une indemnité journalière de 1 200 DH. En contrepartie, des «prunes». Car, comment Troussier pourra-t-il judicieusement faire le tri parmi un tel nombre de joueurs, en l’espace d’une semaine, à un mois de la CAN ?
«Tout cela est la conséquence néfaste de notre élimination du Mondial. On aurait dû garder Badou Zali jusqu’à la fin de la CAN. Appelé à la rescousse à la dernière minute, Troussier ne sait sur quel pied danser, alors il gesticule, il fait n’importe quoi pour montrer qu’il se démène. Je suis sûr qu’il reprendra les mêmes joueurs que son prédécesseur, sans garantie de résultats», commente Abderrazak Misbah, responsable de la rubrique sportive de Al Ittihad Al Ichtiraki.
Rafistolages, improvisations et velléités
De fait, de l’aveu même de Troussier, sans être cuites, les carottes ne seront pas goûteuses. Statistiquement, argumente-t-il, le pays organisateur de la CAN atteint la finale à 90%, puis les Ivoiriens formeraient la meilleure sélection africaine. A ce compte-là, le Maroc ne franchira pas la première étape.
«Nous nous focalisons toujours sur les grands rendez-vous. Comme si un bon résultat obtenu pouvait guérir le mal dont souffre le football marocain. Dans la perspective d’une participation au Mondial ou à la CAN, nous rafistolons, nous improvisons, nous construisons sur du sable. Et quand nous échouons, nous rebâtissons l’édifice de la même manière, après avoir viré l’entraîneur. Or, ce n’est pas ce dernier qui est coupable, ce sont ceux qui président aux destinées
de notre football», reproche M’hammed Azzaoui, chef du département sportif de la Radio marocaine. Paroles sensées, auxquelles souscrit Abderrazak Misbah. «Le débat autour de la participation du Maroc à la CAN n’a pas de sens tant que les fondations de notre football ne sont pas jetées. Ce qui n’est pas le cas. Il faut une refonte totale de ce sport, sans quoi nous continuerons à bâtir de l’éphémère», précise-t-il.
C’est dans le dessein de poser les assises du football que la FRMF vient d’élaborer un programme de «mise à niveau», dont la charpente est la direction technique. Pressenti aux commandes : Jamal Fathi. La modestie de l’homme le rend attachant, sa disponibilité séduit, son rayonnement, en tant que formateur et révélateur de jeunes talents, force l’admiration, mais beaucoup désapprouvent cette nomination imprévue, et le font savoir. «Le poste de DTN ne convient pas à Fathi Jamal, tranche Abderrazak Misbah. Ce ne sont ni ses qualités ni sa compétence qui sont en cause, mais ses dispositions. C’est un homme de terrain qui se sent comme un poisson dans l’eau sur le banc de touche. Le confiner dans un bureau, parmi un tas de paperasses, le desservirait et, par là même, ne rendrait pas service à notre football. D’ailleurs, il est trop jeune pour un emploi destiné à des chevronnés devenus incapables de courir les champs de jeux».
La tâche d’un DTN est l’unification de la politique footballistique
Mustapha Badri, lui, n’hésite pas à rapporter la nomination de Fathi Jamal à une manœuvre ourdie par la FRMF pour satisfaire les exigences de Troussier. «Avant l’arrivée de Troussier, le bureau de la FRMF avait annoncé dans un communiqué la désignation de Fathi Jamal à la tête de l’équipe olympique, à la place de Mustapha Madih. Mais Troussier a exigé ce poste. Pour se plier à son désir, elle en a écarté Fathi, auquel elle a attribué la DTN par volonté de compensation. Un cadeau empoisonné», explique-t-il.
Pour l’anecdote, rappelons que c’était à Nacer Larget, directeur du centre de formation du club de Strasbourg, qu’il avait été fait appel pour le poste de DTN. Il se serait révélé trop gourmand, prétendent les membres de la FRMF. D’où son évicion, sans autre forme de procès. Avec un sourire désarmant, Fathi Jamal rejette d’un revers de la main toute cette montagne faite autour de sa nomination. «A ceux qui prétendent que je suis trop jeune pour l’emploi, je ferai remarquer que je ne le suis plus tout à fait. J’ai 46 ans, et vingt-trois ans de carrière, dont treize comme entraîneur, formateur ou directeur technique. Il est vrai que je suis essentiellement un homme de terrain, et je tiens à le rester, comme ma tâche m’y encourage. On ne peut veiller à la formation des jeunes et des cadres en étant assis dans un fauteuil directorial. Enfin, pour rassurer ceux qui craignent que ma nomination ne soit seulement une mise au placard, je dirai que la mission d’un DTN est fondamentale. En tant que telle, elle est prenante, et je n’aurai pas le loisir de me tourner les pouces».
Fondamentale, la tâche d’un DTN l’est indiscutablement puisqu’elle consiste dans l’unification de la politique footballistique. A condition que les effets du DTN ne soient pas des coups d’épée dans l’eau. «Quelle que soit la compétence d’un DTN, son travail est condamné à être stérile. D’abord, faute de centres de formation. Aujourd’hui, seuls le Raja, le Wydad, les FAR, l’OCK et le Rachad Bernoussi en disposent. C’est peu. Ensuite, notre football pâtit du manque d’infrastructures. Les aires de jeu convenables se comptent sur les doigts d’une main. Les terrains d’entraînement sont encore plus rares. Résultat : nos joueurs, si talentueux soient-ils, ne peuvent s’épanouir, notre championnat est au creux de la vague, le public boude les terrains», constate M’hammed Azzaoui. Fathi Jamal n’en disconvient pas mais précise que, s’il a accepté le poste de DTN, c’est parce que «la conjoncture est propice». En effet, la FRMF a inscrit dans son programme de «mise à niveau» des priorités qui augurent de lendemains radieux, à savoir la réfection des stades de compétition et la construction de terrains de proximité, la réalisation de centres de formation des joueurs et le revêtement des aires de jeu en gazon synthétique. «Nous nous complaisons dans le négativisme, alors qu’il y a des gens qui œuvrent pour le salut de notre football. Ne les désespérons pas», conseille Fathi Jamal, qui, dans la perspective de rencontrer les membres de la FRMF à la mi-janvier, met la touche finale à son projet. Celui-ci consiste en la mise en place de sept départements (compétitions locales, formation des jeunes, formation des cadres, médecine de football, communication, équipes nationales, entraîneurs majeurs) et d’une cellule conçue pour la prospection des talents. Un travail mené essentiellement à la racine afin que le football marocain reparte enfin sur des bases solides.
Troussier gardera-t-il les mêmes joueurs pour la CAN 2006 ? Il lui sera en effet difficile de trier à l’issue du stage d’une semaine auquel il a convoqué pas moins de 79 joueurs, amateurs et professionnels.
