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Société

Rentrée scolaire : des parents stressants produisent des élèves stressés

Nombreux sont les parents qui mettent la pression sur leurs enfants, en leur imposant par exemple des cours de soutien accélérés toute l’année afin de les inscrire dans les meilleures écoles. Sous la pression et la peur des mauvaises notes, certains élèves craquent.

Publié le

rentree 2013 09 18

Il est dur le «métier» d’élève par les temps qui courent. C’est la rentrée scolaire et nombre d’enfants subissent la pression de partout : de l’école et de ses professeurs, d’un système éducatif basé sur la concurrence et le culte des bonnes notes, et, surtout, de parents qui ne pardonnent pas l’erreur. Cherchant l’excellence à tout prix, ces derniers mettent une forte dose de pression sur leurs enfants, du début à la fin de l’année, pour qu’ils obtiennent les meilleures notes, et cette pression monte d’un cran à l’approche des examens. Alors que l’enfant n’a pas encore 11/12 ans, ses parents s’agitent pour qu’il ait des bonnes notes afin de l’inscrire dans les meilleurs collèges privés de la place (ou ceux relevant du système français), et dans les meilleures universités et grandes écoles après le bac. «On n’a pas le choix, si nos enfants veulent assurer leur avenir professionnel, autant les inscrire dans ces écoles. La concurrence est très rude, seuls les meilleurs réussissent, et ces écoles sanctionnent au moindre faux pas, les enfants de la génération actuelle ont besoin qu’on leur serre la ceinture, pas comme la nôtre», annonce d’emblée ce père de 40 ans, ingénieur de son état, qui suit méticuleusement, trop même, la scolarité de ses deux enfants, de 10 et 12 ans, et ce, depuis qu’ils étaient à la maternelle. Déjà pour les faire accéder à leur première école primaire privée, il les a soumis dès l’âge de quatre ans à la gymnastique des cours de soutien en français, car les tests que l’école exigeait portaient sur le langage et le graphisme.
Les psychologues s’arrachent les cheveux. Selon eux, à 3 ou 4 ans, un enfant doit jouer, se dépenser dans des activités ludiques, pour avoir une bonne estime de soi, de sa famille, de son entourage. «La veille de ses examens, je ne ferme pas l’œil de la nuit, j’ai tellement peur qu’elle ne soit pas à la hauteur, mon Dieu si elle échoue, c’est la catastrophe», fulmine, pour sa part, cette mère d’une fille unique de 15 ans. Après la maternelle et le primaire, le père cité ici voulait absolument que son aîné de 12 ans soit accepté dans un collège de type français, ou un collège privé bien coté. Il l’a mis derechef dans un établissement pour suivre des cours de soutien en maths et en français, pendant toute l’année, de sorte que l’enfant n’a pas un seul week-end pour souffler. La mère, elle, met toute son énergie pour que sa fille unique suive des études science-maths, une fois au lycée, pour emprunter plus tard la voie des classes prépas aux grandes écoles. Samir, un autre enfant de 12 ans, lui, a réussi l’année dernière, après des efforts, le concours d’accès au groupe scolaire Bennis, mais pas celui d’Al Jabr. Il en est content, mais ses parents sont très déçus. «Ils tenaient à m’envoyer dans ce dernier établissement, car mon père ne jure que par lui, il paraît que plusieurs de ses amis ont fait de même avec leurs enfants», raconte, amusé, l’enfant.

Les élèves anxieux se plaignent de maux de tête, mal de ventre, pleurs…

Il faut dire qu’au-delà de leur qualité, qui ne se discute pas, certaines écoles font de l’éducation un business, et pour maintenir leur réputation elles placent la barre très haut, de sorte que seuls les enfants de l’élite peuvent y avoir droit. Les psychologues rencontrent souvent des cas de parents stressés qui demandent trop d’efforts à leurs enfants, face à des écoles trop exigeantes. Pour quel résultat? Pas toujours réjouissant, en tout cas, répond Assia Akesbi, psychologue: «Les enfants se déprécient et angoissent. Cette dépréciation retentit sur leur psychisme. Ces écoles prétendent mettre l’accent sur l’épanouissement de l’enfant, mais il n’en est rien». Elles produiraient des enfants «apathiques, car submergés par l’ampleur de la tâche, des enfants qui posent beaucoup de questions, par peur de l’échec», enchaîne un inspecteur de l’enseignement secondaire.

Des parents stressés et stressants produisent des élèves stressés, il n’y a pas de doute, et ce stress se manifeste, décrit ce pédopsychiatre, par plusieurs signes : des maux de ventre, des crises d’angoisse et des pleurs, voire une perturbation de langage «qui prend la forme de bégaiement». Aujourd’hui, ajoute-t-il, «du moins pour une certaine catégorie de la population qui fait de l’école une fixation, on voit souvent des gens d’un niveau intellectuel et matériel plus ou moins satisfaisants, croire que la vie des parents est mesurée à la réussite scolaire de leurs enfants». On l’entend assez souvent dans la société marocaine, le père et la mère qui arrivent à bien scolariser leurs enfants sont des parents comblés qui auraient réussi leur mission de parents, et réussi à garantir l’avenir professionnel de leurs enfants. Or, réussir ses études est-il réellement synonyme de réussite d’une carrière professionnelle ? Rien n’est moins sûr: le marché du travail, plus que le diplôme et les compétences techniques, est à la demande d’un réel épanouissement, d’un sens de l’écoute, et d’une capacité d’anticipation. Les cabinets de recrutement ne cessent de le rappeler.

Finalement, rien de positif dans cette pression? Rien, tranche Assia Akesbi: «Quand on parle de pression, on efface ipso facto les limites de l’enfant et de l’adolescent. Or, ce dernier doit être reconnu dans ses limites. J’ai malheureusement rarement rencontré des enfants qui ne se déprécient pas sitôt qu’ils ont montré leurs limites. C’est parce qu’ils subissent la pression de leurs parents. Chaque parent veut que son enfant soit le premier de la classe, avec la moyenne la plus élevée. Cette attitude est négative car dans la vie, on ne réussit pas tout ce que l’on fait».

Cette pression est encore destructive quand elle prend la forme de coups de bâton, ajoute-t-elle. Certains adultes en sont marqués à vie quand bien même ils auraient réussi leurs études et leur parcours professionnel. «Pour éviter ces punitions, il fallait que j’obtienne toujours de très bons résultats, avec les félicitations du conseil de discipline, rien moins que cela. Sinon c’était la bastonnade. Les encouragements et les tableaux d’honneur que j’obtenais, mon père ne les acceptait pas. Ce fut pour moi une véritable torture», se souvient un haut cadre d’une entreprise privée. La famille moderne marocaine est tellement obnubilée par la scolarité de ses enfants qu’elle oublie le reste ; elle se définit, lance Youssef Fassy Fihry, psychanalyste, par une organisation entièrement «tournée vers la réussite scolaire de ses enfants. L’inculcation des valeurs du civisme vient en dernière place par rapport à l’enseignement des maths ou de la physique».

Le système scolaire influencé par celui de la France, bâti sur les bonnes notes

Il faut dire que le système d’enseignement marocain hérite d’un système français très élitiste qui fait le culte des bonnes notes, il est structurellement tourné vers les diplômes, la concurrence et la réussite scolaire. Les parents et leurs enfants en subissent les conséquences. En atteste un sondage effectué en France en 2009 pour le compte de l’Association des parents d’élèves de l’enseignement libre (APEL), auprès d’un échantillon de 655 parents représentatifs. 31% des adultes ont affirmé que leurs enfants sont stressés par l’école, et ils étaient 52% à avouer être stressés par la réussite scolaire de leurs enfants. Les motifs principaux d’inquiétude des enfants sont liés aux notes et à l’évaluation, tandis que les parents craignent pour leur avenir (voir encadré).

Le prestigieux système des classes prépas, qui reste une référence purement française, destiné à des jeunes de 17 à 20 ans, est fondé sur la concurrence et le travail acharné, la pression de l’école et des parents y est prédominante. Ce système ne cesse d’ailleurs de subir les foudres de la critique de la part des éducateurs et des psychologues. Certains le décrivent comme «un véritable enfer où les étudiants seraient cassés jusqu’à la dépression, les élèves souffrant de troubles psychologiques. Sans compter la frustration que tous les élèves vivent finalement à l’exception de ceux qui sortent parmi les meilleurs de Polytechnique ou de l’ENA».

C’est pourquoi le système d’enseignement dans nombre de pays, comme celui de la Suède et du Danemark, ne fait pas une évaluation des résultats de l’élève sur la base des notes, et l’échec et le redoublement y sont bannis (voir encadré). Cela dit, quel que soit le système scolaire et quel que soit le pays, les élèves ne sont pas tous logés à la même enseigne : ceux qui obtiennent les meilleures notes ne sont pas obligatoirement les meilleurs, chacun a ses forces et ses faiblesses. Comme le décrit Assia Akesbi qui a beaucoup travaillé sur le système éducatif marocain, depuis la maternelle, «la valeur éducative d’une note moyenne, d’une mauvaise note, voire carrément d’un zéro est très importante. Cette note fait découvrir à l’élève ses limites. On ne peut pas acquérir un minimum d’équilibre psychologique si on n’accepte pas ses limites. On le constate chez des étudiants en classes préparatoires qui se retrouvent avec des candidats plus forts qu’eux, et qui ne réussissent pas, ou moins bien que les autres, et qui craquent complètement».