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Société

Régularisation des clandestins : Questions à  Mehdi Alioua, Sociologue, chercheur au Centre Jacques Berque et président du Gadem

«Si on a des reproches à  l’égard de l’opération en elle-même, c’est pour mieux avancer».

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mehdi alioua

La Vie éco : L’opération de régularisation des sans-papiers au Maroc ne semble pas satisfaire tout le monde, où est-ce que cela bloque ?

Notre point de vue est en effet critique vis-à-vis de cette opération, mais je dois rappeler qu’elle est dans sa globalité une excellente chose pour le Maroc. C’est un grand projet voulu par SM Mohammed VI qui veut rompre avec l’approche sécuritaire pour inscrire le Maroc dans une démarche plus humaine à l’égard de cette population. Si on a des reproches à l’égard de l’opération en elle-même, c’est pour mieux avancer. Le Maroc a lancé un grand chantier d’ouverture, dont la Constitution de 2011 est un jalon important. Elle interdit toute discrimination entre Marocains et étrangers. Même les étrangers qui sont en situation irrégulière ont droit à la protection, selon les conventions internationales que le Maroc a signées. Sauf qu’il y a encore des résistances de la société, et de ceux-là mêmes qui doivent appliquer la loi. Par ailleurs, je dois signaler que la loi 02-03 sur les étrangers encore en vigueur est vieille de plus de dix ans, elle est donc inconstitutionnelle et doit être amendée.

Mais que reprochez-vous en particulier à cette opération de régularisation ?   

On a deux critiques essentielles. La première concerne les critères mêmes imposées pour l’obtention de la carte de séjour, ils sont tellement restrictifs qu’un grand nombre de migrants ne peuvent satisfaire. Qu’à cela ne tienne. Nous avons remarqué aussi, et c’est notre deuxième reproche, des résistances à l’égard de cette opération de la part des personnes habilitées à traiter les dossiers. Qu’elles les étudient cas par cas, c’est leur droit, et cela existe dans tous les pays du monde, mais là, ils dépassent même les consignes. D’où l’impossibilité de personnes ayant vécu 10 ans ou plus au Maroc d’avoir les justificatifs qu’on leur demande.

Tout de même, ils sont quelque 1 152 à avoir obtenu leur carte de séjour …

C’est dérisoire, 1 152 sur plus de 15 000 c’est à peine 8%. Par ailleurs, une bonne partie de ceux qui ont été régularisés est issue de pays européens, et cela montre une vraie discrimination pratiquée par certains fonctionnaires à l’égard des Subsahariens.
Cela donne une mauvaise image du pays. Ces fonctionnaires sont en train de causer des dommages sérieux au processus d’ouverture vis-à-vis des Subsahariens voulu au plus haut niveau de l’Etat.

Il y a encore l’étape des recours, croyez-vous qu’on va changer de méthode ?

Je l’espère. Le Maroc a tout intérêt à rectifier le tir en assouplissant les procédures de régularisation et sommant ses fonctionnaires à revoir leur attitude discriminatoire. Heureusement qu’il y a encore la phase des recours, qui permettra sûrement au pays de se rattraper. C’est un rendez-vous avec l’histoire qu’il ne faut pas rater. Bénéficier d’une carte de séjour pour un étranger qui vit depuis plusieurs années au Maroc est la moindre des choses.

En tant que sociologue, que signifie, pour vous, cette régularisation des clandestins?

Partout dans le monde, lorsque les immigrés revendiquent des droits et les obtiennent, cela crée une compétition avec les nationaux d’origine. Voire de la jalousie et du racisme de la part de ces derniers à l’égard des premiers. Quand ils sont immigrés et sans droits, ça passe, mais dès qu’ils acquièrent les mêmes droits que les nationaux, se crée un sentiment de xénophobie. Mais la société doit assimiler cette réalité et les pouvoirs publics doivent tout faire pour la bien gérer.