Société
Profession, agent de sécurité privée
Des dizaines de milliers d’agents de sécurité exercent ce métier dans le secteur privé ainsi que dans les établissements publics. Si certains gagnent le Smig et bénéficient de la couverture sociale, une grande partie des agents de sécurité travaille dans l’informel.

Ils assurent l’accueil et la sécurité. Ils font l’interface entre des clients et une agence bancaire, une assurance, une école privée, un dispensaire, une résidence, une boutique… Ce sont les agents de sécurité, des hommes qui travaillent douze heures par jour, six jours sur sept, dimanche et jours fériés compris, pour un salaire qui ne dépasse jamais le Smig.
Rachid est agent de sécurité depuis 2008. Il est affecté à une agence bancaire du quartier casablancais du Maârif. Ce bachelier de 1989, qui a suivi des études à la Faculté des lettres de Ben M’sick, a décroché sa licence appliquée en animation en 1994. Depuis, il a fait du théâtre et de l’art sa raison de vivre : «J’ai découvert les planches à la faculté avec le théâtre universitaire.
Je me suis dirigé tout naturellement vers le théâtre professionnel avec la troupe de l’ISADAC. J’ai fait de la télévision et du cinéma». Des années de création, de rencontres intéressantes, mais également de précarité puisque dans ce secteur, rien n’est sûr. «Tant que j’étais célibataire, ça pouvait aller. Mais, quand j’ai décidé de me marier, j’ai dû chercher une activité professionnelle stable avec un salaire à la fin de chaque mois. C’était le seul moyen pour créer un foyer et faire vivre ma petite famille».
Renvoyé sur un simple coup de fil !
L’homme s’est ainsi rabattu sur le métier d’agent de sécurité, tout d’abord dans une petite agence bancaire du quartier populaire de Sid El Khadir. «Ma formation en animation et dans le théâtre m’a permis d’aller au-delà du fait d’assurer la sécurité ou appuyer sur un bouton pour ouvrir la porte aux clients. Je faisais le travail de conseiller auprès d’une clientèle en majorité analphabète. C’est le cas par exemple pour le choix du compte, courant ou sur carnet, ou encore du type de prêt à demander…».
Rachid travaillait pour ainsi dire sur les objectifs de la banque, comme les autres cadres de l’agence bancaire. Alors qu’il ne gagnait à l’époque que la modique somme de 1 600 DH par mois. «J’ai la chance de ne pas payer de loyer puisque j’habite chez mes parents. Mais, ce qui était important pour moi, c’est que je passe ces douze heures de travail en réalisant des choses pour les autres.
J’étais content de moi-même parce que les clients, des retraités pour la plupart, étaient satisfaits de l’aide que je leur apportais».Une situation qui n’allait pas durer puisqu’il allait être transféré vers une autre banque, suite au changement du directeur de l’agence. «Le nouveau chef d’agence me demandait de réaliser des tâches que je n’étais pas censé faire. Comme je refusais, il a ainsi demandé un autre agent. Je suis quand même chanceux, d’autres ont carrément été renvoyés pour le même motif». Dans ce milieu, les agents de sécurité sont ainsi mutés, parfois même révoqués par leur employeur, des entreprises de gardiennage, suite à un simple coup de téléphone de leur client, et ce, en l’absence de faute grave.
Rachid travaille toujours comme agent de sécurité. Il gagne aujourd’hui environ 2300 dirhams mensuellement pour douze heures de travail par jour, six jours sur sept. Il est père de deux enfants. Rachid est très apprécié par ses collègues comme par ses employeurs qui connaissent son cursus et reconnaissent ses qualités professionnelles.
«Tous mes collègues refusent de se marier pour une raison très simple. On travaille douze heures par jour. Il faut compter deux heures de plus pour le transport aller et retour. Il ne reste plus que 10 heures pour manger, passer son temps avec la famille et surtout dormir pour récupérer des efforts consentis durant la journée. C’est tout simplement infernal».
Rachid multiplie les efforts afin de passer au statut de superviseur qui lui garantirait un salaire de 4 000 à 4 500 dirhams par mois… Une sacrée promotion! «Le métier d’agent de sécurité est très dur et surtout mal payé pour le nombre d’heures de travail consentis. En plus, nous devons faire face stoïquement aux agressions verbales dont nous sommes victimes, par la hiérarchie ainsi que par la clientèle».
Rachid est loin de représenter le profil de l’agent de sécurité type. La sécurité privée est plutôt une affaire de muscles. Un simple coup d’œil sur les offres d’emploi pour les agents de sécurité nous donne une idée sur les qualités demandées : avoir moins de 40 ans, mesurer plus de 1m75, avoir un casier judiciaire vierge et pour le niveau d’études, en général, un niveau bac.
Il est également question d’assurer une bonne présentation, de faire preuve de sérieux, d’endurance et même parfois de parler la langue française… Quant à la formation, elle n’est pas automatiquement dispensée comme c’est le cas en France, mais dépend du site où l’agent de sécurité va travailler. Au fait, seules les grandes entreprises de gardiennage disposent de centres de formation internes et assurent à leurs agents des formations basiques comme la gestion des conflits, le secourisme ou encore la lutte contre les incendies.
Mustapha travaille depuis trois ans dans la sécurité privée. Durant cette période, il a changé de lieu de travail à six reprises. «Je n’ai jamais pu m’habituer à ce travail où on est tenu de rester debout, à ne rien faire, pendant douze heures. Même pour aller aux toilettes, il faut demander une autorisation et attendre que quelqu’un vienne vous remplacer.
Tout cela pour un salaire qui ne dépasse pas les 1 500 DH», lance-t-il d’emblée. Il a été, tour à tour, gardien d’une boutique de vêtements dans le centre-ville, vigile dans une résidence, agent privé dans une école et agent de fouille dans une petite unité de textile. Il n’a jamais été déclaré à la CNSS, ni bénéficié d’aucune assurance maladie.
«Le marché du gardiennage n’est pas homogène. Il y a les grandes entreprises qui travaillent dans les normes et elles ne sont pas nombreuses. Puis, il y a le reste, des sociétés qui ne disposent même pas de siège social et qui exploitent des personnes qui ont besoin d’argent pour des salaires qui ne dépassent pas parfois les 800 DH par mois», explique ce directeur d’exploitation d’une grande entreprise de gardiennage.
Et d’ajouter: «Des entreprises acceptent de postuler pour des marchés où on demande des agents pour 2300 DH. Cela veut dire tout simplement que pour que l’entreprise de gardiennage retienne sa marge, elle doit faire employer l’agent à un salaire largement inférieur au Smig. Il s’agit là de la simple logique des chiffres…»
Le Smig, un luxe…
Une entreprise qui veut donc recruter un agent de sécurité dans les règles de l’art, c’est-à-dire, un agent qui, pour un travail de 72 heures par semaine, gagne le Smig et bénéficie de la CNSS et de l’AMO doit débourser pas moins de 4 500 DH pour la société de gardiennage qui va lui fournir l’agent. 300 DH de plus s’il s’agit d’un agent maître-chien.
Sauf que les petites entreprises à la recherche d’un agent de sécurité bon marché vont choisir le prestataire de service le moins-disant, et ce, aux dépens des droits de l’agent (salaire et charges sociales) et bien sûr de la qualité du service. Cette situation, on la retrouve dans le privé comme dans le public. «Des amis qui travaillent devant des dispensaires ou d’autres établissements publics touchent 1 200 DH par mois. On les encourage indirectement à compléter leur salaire par le biais d’une corruption qui s’apparente à la mendicité», dévoile Rachid.
La sécurité privée est un secteur relativement nouveau au Maroc. Durant les années 90 du siècle dernier, seules les grandes entreprises faisaient appel à des agents de sécurité. Après les attentats terroristes du 16 mai 2003, la demande pour la sécurité privée a explosé.
A côté des grandes firmes, des entreprises de petite et moyenne taille, des commerces, usines, hôtels et résidences ont fait appel à ce genre de service… sans vouloir payer le prix pour. Les rémunérations ont baissé substantiellement d’autant plus que l’offre est importante: une jeunesse non qualifiée. Et même la loi 27-6 règlementant la profession de gardiennage et de transport de fonds, dont le décret d’application a vu le jour en octobre 2010, n’a pas encore permis l’assainissement de ce secteur qui fait vivre des dizaines de milliers de familles.
