SUIVEZ-NOUS

Société

Première greffe de moelle osseuse, récit d’un exploit

Le 4 juillet dernier, un homme de 48 ans a pu être sauvé d’une mort certaine grâce à une greffe de moelle osseuse, réalisée à Casablanca.
Dans 30% des cas de cancer, seule la greffe permet de pallier les effets secondaires
les plus graves de la chimiothérapie.
L’opération coûte 150 000 DH au Maroc contre 500 000 DH à l’étranger.

Publié le

Septembre 2004, un moment important dans l’histoire de la transplantation d’organes au Maroc. Trois événements majeurs en témoignent : l’annonce de la réalisation de la première greffe de moelle osseuse au Centre Hospitalier Ibn Rochd de Casablanca, la relance du programme de greffes d’organes et de tissus au Centre hospitalier Ibn Sina de Rabat et la publication au Bulletin officiel n°5236 du
5-8-2004 des décrets d’ap-plication des textes de loi réglementant le don, le prélèvement et la trans-plantation d’organes et de tissus humains au Maroc.
Tout cela augure d’une ère nouvelle pour cette alternative thérapeutique qu’est la greffe d’organes et de tissus, au bénéfice de milliers de malades marocains.
C’est la disponibilité, toute récente au Maroc, d’une haute technologie de con-servation qui a permis, entre autres, à l’équipe du service d’héma-tologie-oncologie de l’hôpital du 20 Août de Casablanca, dirigée par le Pr Said Benchekroun, de réaliser la première greffe de moelle osseuse au Maroc. Un homme de 48 ans, souffrant d’un myélome, une forme de cancer du sang et des os, a bénéficié de cette opération, réalisée le 4 juillet, et qui a mobilisé une équipe multi-disciplinaire universitaire de laborantins, d’immunologistes, de bactério-logistes et des structures de transfusion sanguine de pointe, disposant d’un laboratoire de cryobiologie pour la conservation des cellules à greffer.
Cette entreprise a également sollicité le savoir-faire de réanimateurs versés dans le domaine des maladies hématologiques (pathologie du sang), tient à relever le Pr Said Benchekroun, chef du service d’hématologie-oncologie de l’hôpital du 20 Août, qui abrite l’unité de greffe de moelle osseuse. «Pour arriver à ce résultat, il nous a fallu l’aide d’AGIR, association de soutien aux malades du sang et des cancers de l’enfant», renchérit cet universitaire, soucieux également de la formation continue des médecins, du fait de sa fonction de président de la Société marocaine des sciences médicales.
Il faut dire que l’unité de greffe de moelle osseuse, avec ses quatre chambres stériles, était prête depuis presque une année. Il a toutefois fallu envoyer en formation quatre médecins hématologistes dans des unités de greffe de moelle aussi bien à Bordeaux, Nancy qu’à Paris, pendant des durées de 6 à 12 mois.
De plus, si les compétences humaines médicales et infirmières étaient disponibles, dont, entre autres, les spécialistes des maladies infectieuses, de la transfusion sanguine et les infirmiers spécialisés, il n’en demeure pas moins qu’un maillon de la chaîne manquait : un système de conservation des prélèvements en vue de leur greffe. La disponibilité de la cryobiologie (voir encadré) a permis de dépasser cet obstacle technique majeur.
En effet, il faut préciser que la réalisation d’une greffe de cellules souches et la mise en place d’une banque de tissus demandent une technologie de haut niveau, assurant le prélèvement, le traitement, la conservation par le froid et la congélation spécifique pour chaque type de cellules et de tissus. La cryobiologie offre toutes ces possibilités, en permettant de sauvegarder leurs propriétés fonctionnelles et donc leur utilisation à distance du prélèvement.
Ce sont tous ces atouts qui sont à l’origine de la première greffe de moelle osseuse. Cependant, bien que cette unité de greffe de moelle puisse réaliser jusqu’à une vingtaine d’opérations par an, celle-ci risque de ne pas jouer son rôle noble à cause de la pénurie d’infirmiers spécialisés, déplore le Pr Benchekroun.

Les justifications scientifiques d’une greffe de moelle osseuse
Pour le Pr Mohammed Khattab, spécialiste des cancers de l’enfant à l’hôpital des enfants de Rabat (CHU Ibn Sina), beaucoup de cancers peuvent guérir par des traitements chimiothérapiques. Cependant, pour certains, la guérison n’est possible qu’à la condition d’atteindre des doses toxiques, ce qui conduit aussi bien à la destruction des cellules malignes que des cellules saines.
Cette toxicité est souvent synonyme de mort inéluctable. L’issue fatale est due à la destruction non seulement des cellules sanguines périphériques que sont les globules rouges et blancs ainsi que les plaquettes mais également celle des cellules souches dites mères. Ces dernières, comme leur nom l’indique, sont celles qui produisent les globules rouges. Pour pallier cet effet thérapeutique secondaire mortel, tout en guérissant le cancer par chimiothérapie, la médecine moderne a recours à la greffe des cellules souches ou de moelle osseuse.
Ce phénomène peut se voir aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte et quel que soit le type de cancer ( sein, sang ou poumon…).
Si dans 70 % des cancers les possibilités offertes par la chirurgie, la chimiothérapie et la radiothérapie permettent des résultats positifs sans avoir recours à une greffe, l’expérience a montré que 30 % des cancers résistent à la chimiothérapie, ce qui impose d’augmenter les doses, atteignant de la sorte le seuil toxique, ce qui justifie la greffe, précise le professeur Khattab. Ainsi, sans la greffe, on aura guérison du cancer mais mort du malade, ce qui n’est guère l’objectif de la médecine moderne.

Deux types de greffes : autogreffe et allogreffe
Quant on parle de greffe de moelle osseuse, de quoi s’agit-il ? Il convient tout d’abord de distinguer les différents types de greffes qui peuvent être regroupés en trois catégories: celle d’organes (cœur, poumon, foie, pancréas, rein…), celles de tissus (cornée, os, vaisseau, peau, valve cardiaque…) et celle de cellules souches hématopoïétiques (moelle osseuse, sang périphérique).
Par ailleurs, il existe deux types de greffe, l’autogreffe, qui est la plus facile et l’allogreffe qui pose beaucoup plus de problèmes techniques. L’autogreffe, dont il est question aujourd’hui, consiste dans le prélèvement, chez un malade atteint de cancer, de sa propre moelle osseuse ou cellules souches hématopoïétiques, qui seront réinjectées, selon un schéma thérapeutique bien codifié.
S’il y a quelque temps la réalisation d’une greffe de moelle osseuse nécessitait des mesures draconiennes de stérilisation, aujourd’hui, grâce à des médicaments dits facteurs de croissance, les conditions sont plus optimales pour la réussite d’une greffe de moelle osseuse.
Jusqu’à une date récente, certains patients marocains ont pu bénéficier en France d’une greffe de moelle osseuse pour un coût variant entre 300 000 et 500 000 DH, dont à peu près 20 à 25 millions ont été supportés par la CNOPS (Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale). Aujourd’hui, grâce au développement de la greffe de moelle osseuse au Maroc, le coût peut être ramené à 150 000 voire 100 000 DH.
L’autre forme de greffe de moelle osseuse, plus difficile dans sa réalisation technique, dite allogreffe, consiste à prélever la moelle chez une personne saine et à la greffer au malade. Son coût est estimé à 300 millions de centimes en Europe et aucun Marocain n’en a bénéficié à ce jour.
A l’aube de ce troisième millénaire, des milliers de Marocains atteints d’insuf-fisance rénale terminale décéderont faute d’une greffe rénale. Plusieurs autres milliers sont aveugles, ne pouvant bénéficier d’une greffe de cornée et 30% des enfants atteints de cancers ne survivront pas faute de greffe de moelle osseuse.
La réalisation de cette première greffe de moelle osseuse au Maroc est une occasion pour booster l’énergie des équipes mé-dicales spécialisées maro-caines et de bousculer les décideurs politiques pour les faire sortir de leur léthargie

Des milliers de Marocains atteints d’insuffisance rénale terminale décéderont faute d’une greffe rénale. Plusieurs milliers sont veugles, ne pouvant bénéficier d’une greffe de cornée et 30% des enfants atteints de cancers ne survivront pas, par défaut de greffe de moelle osseuse.

C’est la disponibilité récente d’une haute technologie de conservation qui a permis à l’équipe du service d’hématologie-oncologie de l’hôpital du 20 Août, à Casablanca, dirigée par le Pr Benchekroun, de réaliser la première greffe de moelle osseuse.