Société
Moudawana : Une réforme pour rétablir l’égalité et la justice
Le Code de la famille de 2004 n’a pas répondu aux défis imposés par les évolutions socioéconomiques du pays. La volonté politique de réformer existe mais la machine n’est pas réellement enclenchée…

Une législation familiale qui garantit l’égalité en droit et justice. C’est ce que ne cessent de réclamer les associations de défense des droits de la femme qui ont engagé un travail de plaidoyer, depuis plus de vingt ans, pour des lois protégeant ces droits tels que reconnus par les pactes internationaux et par la Constitution. En 2004, la réforme du Code du statut personnel de 1958 est qualifiée de révolution tranquille.
Le nouveau Code de la famille a été renforcé, quelques années plus tard, par la consécration constitutionnelle en 2011 des droits des femmes, par les dispositions du Code de la nationalité et la promulgation de la loi 103-13 relative à la lutte contre les violences.
Qiwamah de l’homme et famille patriarcale étendue…
La révision globale du Code de la famille a ainsi permis de supprimer les dispositions discriminatoires envers les femmes, notamment celles relatives à la polygamie, au divorce, à la tutelle, au partage des biens et au système successoral. Les associations féminines et la société civile dans son ensemble ont applaudi «cette avancée vers l’émancipation de la femme marocaine».
Adopté à l’unanimité par le Parlement, le texte apporte alors des changements non négligeables : le passage de l’âge minimum légal de mariage de 15 à 18 ans, la possibilité pour la femme de demander le divorce et l’allégement des conditions de celui-ci, la responsabilité conjointe du père et de la mère au sein du foyer familial et la polygamie, tout en restant autorisée, est soumise à des conditions strictes.
Une lueur d’espoir pour les femmes marocaines mais qui s’est malheureusement estompée au fil des années. Car l’application des dispositions de la Moudawana connaît quelques limites en raison des failles et d’une interprétation rigide de ses dispositions. Résultat : des dysfonctionnements sur le terrain et un non-respect des droits des femmes. Pour les associations féminines, la Moudawana ne correspond plus aux aspirations des Marocaines. L’heure est donc à la révision et l’appel du Roi MohammedVI, dans son discours de la fête du Trône, le 30 juillet 2022, en est la preuve tangible.
Depuis, la réflexion est lancée et la nécessité d’un débat national autour de la question s’impose. Les associations féminines annoncent la création d’un comité de coordination pour la refonte globale du Code de la famille. C’est une initiative de sept associations féminines, dont l’ADFM, Jossour, l’Union pour l’action féminine ou encore l’Association marocaine pour la lutte contre la violence à l’égard des femmes, qui estiment que la Moudawana doit être révisée. Le comité envisage de travailler sur la mise en place d’une stratégie commune et l’élaboration d’une feuille de route pour l’action de plaidoyer.
L’objectif est d’adapter les dispositions de ce texte en vue de répondre aux mutations sociales et aux changements intervenus dans la famille ainsi qu’aux aspirations des femmes à l’égalité et à la dignité. Une action de plaidoyer est entamée car le Code de la famille de 2004 est resté fidèle à deux paradigmes : la Qiwamah de l’homme considéré comme unique pourvoyeur de ressources pour l’entretien de la famille, d’une part, et, d’autre part, la famille patriarcale étendue qui est largement reflétée dans les dispositions relatives à la polygamie, dans les effets du divorce et dans le droit successoral.
Aux diverses lacunes et incohérences du texte, des propositions d’amendement sont apportées par le Collectif qui a adressé son mémorandum en janvier dernier au Chef de l’Exécutif. Depuis, aucune réponse n’a encore été donnée, ce qui est, selon le Collectif, «positif mais toutefois inquiétant». Une année s’est en effet écoulée, depuis le discours royal, et le chantier de la réforme n’a pas concrètement avancé. Plusieurs questions se posent : Qui mènera cette réforme ? Quel en sera le calendrier ? La nouvelle vision se détachera-t-elle du fiqh traditionnel ?
Les associations, motivées, se disent toutefois sceptiques au niveau de changement et avancent «qu’il ne faut pas se contenter de petites retouches mais il faut plutôt une révision de fond». Le mémorandum du Collectif liste en effet les amendements à apporter au texte de 2004. Leur voix sera-t-elle entendue ?
Les propositions de réforme de la Moudawana…
Dans son mémorandum, l’Association démocratique des femmes du Maroc propose une réforme globale visant l’égalité, l’équité et la dignité des femmes. Les amendements concernent le mariage, le divorce, les droits des enfants et l’héritage.
1 Mariage
Abrogation de la tutelle matrimoniale, abrogation du versement de la dot comme condition de la validité du mariage, interdiction définitive et absolue de la polygamie et adoption de la coresponsabilité effective en termes des droits et devoirs des deux époux.
2 Divorce
Disposer que le recours au divorce est accessible, dans les mêmes conditions, aux hommes et aux femmes. Simplifier et unifier les procédures du divorce en conservant uniquement la procédure judiciaire. Rendre obligatoire la conclusion d’un accord sur les conditions de fructification et de partage des biens acquis pendant le mariage. Garantir une répartition égale des biens entre les deux époux.
3 Droits et intérêt supérieur de l’enfant
Décliner le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les dispositions du Code de la famille. Abolir le mariage des enfants et sanctionner toute personne ayant enfreint la loi en la matière. Disposer que la tutelle légale est un droit du père et de la mère. Lier d’office la garde de l’enfant à la tutelle légale. Garantir à la mère le droit de garde en cas de son remariage. Établir des critères objectifs d’estimation de la pension alimentaire. Éliminer la distinction entre filiation légitime et filiation naturelle. Autoriser l’expertise génétique pour déterminer la filiation paternelle.
4 Héritage et transmission de la fortune et des biens
Abroger le système de «taassib». Abroger la discrimination en raison du sexe et disposer de l’égalité des parts successorales entre les hommes et les femmes.
Établir l’égalité dans le droit au legs obligatoire entre les générations des descendants du fils et de la fille. Abrogation de la différence de religion comme empêchement à l’héritage entre les époux. Étendre les bénéficiaires de la quotité disponible du testament aux héritiers.
