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Société

Louis Vuitton pose sa malle au Maroc

La griffe Louis Vuitton, qui va bientôt fêter ses 150 ans, tient
le haut du pavé dans l’industrie du luxe.
Louis Vuitton est imité dans le monde entier. Dans ce sport peu orthodoxe,
le Maroc détient un triste record.
Depuis 1997, Vuitton, outre la malle et le sac, a inclus le vêtement prêt-à-porter,
la chaussure et la joaillerie.

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C’est dans l’angle d’un patio de la Mamounia que se réfugie la boutique Louis Vuitton. On y pénètre, accompagné du bruissement reposant d’une fontaine, et on est vite saisi par l’ambiance feutrée et sereine qui s’en dégage. Le sac à monogramme au prix de 8 700 DH
Pourtant, le lieu, étriqué, grouille de monde. Ici, une jeune femme palpe un sac sous toutes ses coutures pour apprécier la souplesse du cuir. Là, une adolescente caresse l’étoffe d’une jupe en soie. A ses côtés, une «martienne» de la planète luxe s’enquiert du prix d’un sac Vuitton à monogramme, customisé par Julie Verhoeven. 8 700 DH, répond le vendeur, souriant toutes voiles dehors. A l’énoncé du prix, on a envie de «se faire la malle».
Malle : «coffre de grandes dimensions destiné à contenir les effets qu’on emporte en voyage», dixit Le Petit Robert. En ayant l’idée ingénieuse d’en fabriquer, Louis Vuitton lança la saga des Vuitton. C’était en 1854. Les moyens de transport se développaient, l’horizon s’élargissait et les hommes étaient possédés par le démon des voyages. Le minuscule atelier d’Asnières où Louis Vuitton officiait, croulait sous les commandes. A sa mort, son fils lui succéda avec bonheur, sans changer un iota à cette vocation malletière. Il a fallu attendre l’avènement d’un troisième héritier pour que soit introduit un changement déterminant. De fait, ce Vuitton troisième du nom, créa les premiers steamer bags, ancêtres des fameux sacs. Il exécuta aussi, dans la fièvre, des commandes spéciales de Mistinguett, de Coco Chanel, de l’Aga Khan et du milliardaire Gulbenkian, fabriqua un secrétaire pour trente-six paires de chaussures pour la soprano américaine Lily Pons, et mit au point une malle-lit qui coûtait 90 000 DH. Odile Racamier mit le pied à l’étrier en 1978, à la mort de son père «pour l’avenir de la maison».


Une malle-lit pour la bagatelle de 90 000 DH
En dix ans, le nombre des boutiques passe de deux à quatre-vingt, le nom de Vuitton passe de la notoriété d’une Daimler à celle d’une BMW, et le «sac», accessoire confidentiel de quelques stars, devint l’attribut obligé du Paris, Tokyo et Dallas BCBG. Aujourd’hui, Vuitton possède 314 magasins disséminés à travers le monde, 14 sites de production, tous en France, et emploie 3 000 personnes.
Marlène Dietrich se pressait chez Vuitton, Lauren Bacall y faisait une visite à chacun de ses passages à Paris. Jacques Chirac ne se déplace jamais sans son attaché-case Vuitton. C’est dire combien la maison, bâtie à chaux et à sable par l’ancêtre Louis, est prestigieuse. Elle est au firmament de cette planète du luxe, inaccessible aux simples terriens, et elle brille dans le ciel de l’art de vivre, malgré son âge vénérable (150 ans aux prochaines cerises).
Mais quel est donc le secret de cette longévité ? «Plusieurs raisons à cela. D’abord, un sens constant du renouvellement. Vuitton s’est toujours réinventé, afin de ne pas sombrer dans la routine pénalisante. Ensuite, un attachement aux valeurs érigées par le fondateur de la maison, à savoir la compétence créative, le mode artisanal et le souci d’établir une relation directe avec le client. Nous possédons 314 magasins de par le monde, mais nous n’avons ni franchisés ni distributeurs», s’enorgueillit Yves Carcelle, président de Louis Vuitton.
La cinquantaine sportive, Yves Carcelle, qui n’arbore pas d’attaché-case Vuitton, parle de la «maison» avec ferveur. «Nous sommes devenus le plus grand acteur de l’industrie du luxe, et en même temps une institution. Nous n’avons jamais bradé nos racines, tout en ne cessant pas de créer d’autres articles que la malle et le sac, afin d’étendre le territoire de notre marque de fabrique». C’est ainsi que Vuitton rajouta à ses articles de référence, en 1997, le vêtement prêt-à-porter, la chaussure, les gants, les chaussettes et les bracelets. Ce bouleversement était crucial, Vuitton risquait d’y perdre son âme, mais la gageure fut réussie haut la main.
Marrakech, cœur battant de la contrefaçon de Vuitton
Si Vuitton tient le haut du pavé dans l’industrie du luxe, il paie un lourd tribut à sa suprématie : la contrefaçon. La contrefaçon ne date pas d’hier. Aussitôt que les premières malles, qui étaient de toile grise, avaient commencé à circuler sur le marché, elles furent imitées sans vergogne. Louis Vuitton enragea. Il eut l’idée, qu’il croyait dissuasive, d’inscrire des rayures sur ses articles. Un coup d’épée dans l’eau. De guerre lasse, il créa le damier à l’intérieur duquel il apposa son nom. Mais les ingénieux contrefacteurs trouvèrent vite la parade. Son fils, pour se protéger de manière infaillible, eut l’astuce de mettre les initiales LV assorties de fleurs: le fameux monogramme était né.
Mais les imitateurs ne baissèrent pas les bras. Aujourd’hui, les sacs Vuitton sont imités dans le monde entier. Le Maroc n’est pas en reste. Dans cet exercice peu reluisant, il se taille même un rang majeur. Yves Carcelle s’en attriste et le fait savoir.
Pourquoi alors avoir une boutique à Marrakech ? «Pour une grande part, parce que Marrakech est le cœur battant de la contrefaçon des articles Vuitton. Nous nous sommes dit : autant porter le fer au feu. Nous avons été bien inspirés puisque, depuis notre installation, les amendes dont sont frappés les contrefacteurs sont beaucoup plus lourdes. Et ce sport commence à régresser perceptiblement. L’autre raison a trait au caractère touristique de Marrakech. Ici, nous pouvons toucher à la fois les Marocains, qui y viennent de plusieurs villes, et les touristes». Après quatre ans, le bilan est plus que satisfaisant. La boutique Vuitton ne désemplit guère, été comme hiver, les fins de semaine sont particulièrement fructueuses, et les bouches cousues d’or qui raffolent du cousu main se repassent du bout des lèvres l’adresse de l’artisan Vuitton. Ce dont se réjouit Yves Carcelle qui, auréolé de cette réussite, envisage d’ouvrir d’autres boutiques dans d’autres villes marocaines. Ceux pour qui le luxe est un superflu nécessaire doivent se pâmer d’aise