Société
Liberté Syndicale : Rachid Filali meknassi, Membre de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (CEACR)
«L’OIT reconnaît le droit syndical à tout le monde, exception faite de la police et de l’armée si les Etats le jugent ainsi»

La Vie éco : Des huit conventions fondamentales de l’OIT, une seule n’a pas encore été ratifiée par le Maroc, la 87, relative à la liberté syndicale. Or, cette liberté est assurée aussi bien en pratique qu’en droit…
C’est en effet bizarre, le Maroc pratique depuis belle lurette cette liberté syndicale, il est même très en avance dans ce domaine. Ce qui l’empêche en fait de ratifier cette convention, ce sont ces quatre ou cinq lois encore en vigueur dans le corpus législatif marocain, et qui interdisent ce droit à certains corps de métier, je cite notamment les magistrats, l’Administration de l’intérieur, l’Administration pénitentiaire, les Eaux et forêts et les sapeurs pompiers.
La justification qu’on invoque officiellement pour leur interdire ce droit est que ces travailleurs portent des armes. Ce qui n’est en réalité pas tout à fait vrai : les magistrats et les sapeurs pompiers, à titre d’exemple, ne portent pas d’armes. Je dirai qu’il y a confusion dans l’esprit des responsables entre la liberté syndicale et le droit de grève, or, ce n’est pas la même chose. La convention 87 de l’OIT reconnaît le droit syndical à tout le monde, exception faite de la police et de l’armée si les Etats le jugent ainsi.
Mais les magistrats au Maroc, depuis la Constitution de 2011 ont le droit d’avoir une association professionnelle…
C’est la contradiction qu’il faut en effet relever : c’est quoi une association professionnelle pour défendre les intérêts des magistrats si ce n’est pas un syndicat ? La police et l’armée, à la rigueur, mais les sapeurs pompiers et les travailleurs des Eaux et forêts, c’est une aberration qu’ils n’aient pas aussi leurs associations professionnelles. C’est tout simplement de la mauvaise gouvernance.
Le même problème se pose pour les deux conventions, la 29 et la 105, relatives à l’abolition du travail forcé…
Celles-là, fondamentales aussi, le Maroc les a bien ratifiées, mais le problème est qu’il y a encore une législation en vigueur qui autorise, en théorie, le travail forcé : c’est le cas en prison. Or, ce travail n’existe plus dans la pratique et cette loi n’a plus lieu d’être, il faut donc l’abolir ou la modifier pour la rendre au diapason des normes internationales du travail. Et là aussi, c’est de la mauvaise gouvernance, car tout simplement les départements ministériels chargés de l’emploi ne font pas leur travail, quand bien même le code du travail dans son article 10 interdit le travail forcé. Mais, faut-il le rappeler, une interdiction en droit interne ne dispense pas le Maroc d’être, dans la pratique, en conformité avec les dispositions internationales. Parfois, la pratique y est bien en avance par rapport au droit, c’est le cas de la liberté syndicale ; parfois c’est l’inverse, c’est le cas du travail forcé.
Le BIT apporte-t-il un soutien en matière de formation pour une meilleure application des NIT ?
Bien entendu, il participe à la formation des juges, mais aussi des inspecteurs du travail et des spécialistes des médias : récemment, 500 inspecteurs ont suivi cette formation. 20 ateliers de deux jours ont eu lieu depuis février dernier. Je les ai tous couverts avec des experts venant de Genève, de Dakar ou de Turin. Le BIT a repéré un besoin en support spécifique d’inspection, et un manuel dédié aux droits fondamentaux est en cours d’élaboration avec une partie consacrée aux NIT, et une autre au droit marocain relatif à la liberté syndicale, à la non-discrimination, au travail forcé et à celui des enfants. Les experts de Genève s’occupent de la partie NIT et moi-même de la partie droit national.
Pour les médias, un autre programme sur les droits fondamentaux est également en cours d’exécution au Maroc, il vise une sensibilisation sur le dialogue social et la négociation collective.
Des activités dans ce sens en faveur des journalistes ont été réalisées, mais aussi en faveur de syndicalistes dans plusieurs villes du Royaume..
