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Société

Les illustres hôtes de La Mamounia

Vieille de plus de quatre-vingts ans, toujours aussi luxueuse, La Mamounia est le seul palace dont le nom soit plus connu que la cité qui l’abrite.
Chefs d’Etat, rois et princes, stars du showbiz s’y sont succédé, parfois pour des séjours de plusieurs mois.
Fêtes somptueuses, clients extravagants, le palace a un passé chargé.

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Il est des lieux qui sont parfois davantage connus que la cité, voire la contrée qui les abrite. Il suffit alors de citer leur nom pour que les yeux des interlocuteurs scintillent d’admiration, tant la magie opère, même si ces derniers n’ont pas mis les pieds dans ledit site.
Dans une certaine mesure, on peut affirmer que le palace La Mamounia est au Maroc ce que le Taj Mahal peut être à  l’Inde. Robert Bergé, son directeur général, relate d’ailleurs une anecdote à  ce propos : «Voici quelques temps, nous étions à  un salon touristique à  Las Vegas qui réunissait plus de six cent agences haut de gamme. Nous n’avons pas eu le temps de les contacter toutes mais nous avons passé quelques minutes avec plus de deux cents d’entre elles. Dès qu’on se présentait, les responsables s’exclamaient : “La Mamounia ! Mais on connaà®t, bien sûr !”».
Les livres d’or d’avant 1986 ont été perdus !
Apparemment, l’évocation de ce nom magnétise. Mais quels secrets subtils se dissimulent derrière ce lieu ? Robert Bergé, qui dirige le palace depuis plus de onze ans, a plusieurs opinions. La première participe du mystère. Selon lui, l’endroit possède une aura qui lui est propre, difficilement descriptible, intangible. En effet, c’est comme si le palace était un condensé de Marrakech, l’ancienne cité jardin, ou encore une synthèse de l’art de vivre marocain. Parmi les autres raisons, le directeur cite aussi les célébrités qui se sont succédé au fil des décennies et qui ont assuré à  l’établissement sa renommée.
Il faut dire que depuis sa création, en 1922, par les architectes Prost et Marchisio, le palace a vu défiler du beau monde. Généralement, ce dernier se prête volontiers à  la traditionnelle séance de dédicace du livre d’or, immortalisant ainsi leur passage de leur paraphe. Depuis le siècle passé, on imagine aisément la liste infinie de têtes couronnées, de célébrités politiques ou encore de stars qui ont pu inscrire un mot sympathique dans ces livres d’or. Des volumes qui sont en quelque sorte la mémoire du palace… Mais, hélas, dans le cas de La Mamounia, cette mémoire est mutilée.
En effet, Mohamed Abitar, actuel directeur de l’hébergement, qui travaille au sein de l’établissement depuis trente-trois ans, a seulement deux gros volumes à  nous présenter. Aussitôt, l’explication de Robert Bergé fuse : «Tous les livres d’or d’avant 1986 ont disparu. C’était l’époque de la rénovation entreprise par Paccard. Apparemment, elle s’est faite dans une telle désorganisation que ces livres se sont volatilisés». Si les livres d’or ont disparu, on peut aussi imaginer que d’autres objets ont subi le même sort ; mais dans tous les cas, les responsables du palace préféreront mettre le préjudice sur le compte d’une organisation lamentable plutôt que sur un quelconque acte de malveillance. Disparition ou larcin… le mystère demeure et peut-être qu’un jour, les fameux livres d’or réapparaà®tront, à  l’instar de cette fameuse fresque de Majorelle, dissimulée sous un faux plafond et redécouverte lors de l’ultime rénovation.

Winston Churchill était amoureux de ce lieu
Quoi qu’il en soit, depuis 1986 et jusqu’à  nos jours, les deux imposants volumes au beau papier vergé renferment de bien prestigieuses dédicaces. Ainsi, le premier débute avec la chanteuse Dalida, tandis que le second affiche un mot du président de Madagascar, récemment en visite dans le royaume. Entre les deux s’étale une variété de personnalités aussi différentes les unes que les autres (voir encadré). Parmi ce cortège de célébrités, le DG de La Mamounia avoue avoir été particulièrement marqué par le prélat sud-africain Desmond Tutu, lequel «possédait une aura formidable et était habité par la foi». Quant à  Mohamed Abitar, il reconnaà®t que Nelson Mandela l’a beaucoup impressionné.
Ces célébrités sont venues en simple résidents, en villégiature, ou dans le cadre de manifestations officielles. Il faut dire que le Festival international du cinéma de Marrakech les attire forcément vers La Mamounia, partenaire incontournable de l’événement. Mais, parfois, certains ont fait spécialement le déplacement à  La Mamounia pour marquer une occasion particulière. Ce fut par exemple le cas de Michel Platini, qui y fêta ses quarante ans, ou encore du grand chef Paul Bocuse, qui célébra ses soixante-dix ans dans le palace en compagnie d’une brochette d’amis, dont beaucoup officiaient derrière de prestigieux fourneaux de l’Hexagone. Autant dire que les cuisiniers de La Mamounia étaient dans l’obligation de réaliser un sans- faute ! Voilà  pour ce qui concerne les deux livres d’or rescapés. Mais qu’en est-il de la genèse de l’établissement, puis de son évolution au fil des âges ?

Le champagne coule à  flots, l’esprit du marabout rôde
Selon Robert Bergé, «dès 1923, La Mamounia connut un succès immédiat. De grands acteurs et des musiciens célèbres l’ont fréquentée. Mais, bien sûr, celui qui a sans doute le plus contribué à  son aura, de par sa personnalité, mais également parce qu’il a beaucoup écrit à  ce sujet, c’est Winston Churchill». En effet, dès 1935 ce dernier résidait souvent et longuement à  La Mamounia, notamment pour peindre. Il faut dire que les splendides jardins, la vue sur les sommets enneigés de l’Atlas ne pouvaient qu’inspirer le peintre-politicien dont les tableaux sont visibles en Angleterre dans le musée éponyme.
Cela dit, la renommée de La Mamounia est plutôt due à  un processus naturel. Au fil du temps, toutes les stars, tous les personnages connus, sont descendus au palace et lui ont assuré sa réputation universelle. Au début du siècle passé, c’était l’unique hôtel de qualité à  Marrakech. Donc tout le monde convergeait vers La Mamounia. A tel point que, affirme Pierre Bergé, «venir à  Marrakech, c’était venir à  La Mamounia. On parlait de Mamounia avant de parler de Marrakech !». Et, en effet, dans ce palace, ces célébrités recherchaient le reflet d’une époque, ainsi que la douceur de l’art de vivre marocain, avec, bien sûr, le dépaysement, comme le note justement Mohamed Abitar.
Un tel lieu doit forcément avoir ses inconditionnels. Avec un sourire, Robert Bergé les surnomme même les «Mamounia junkies» : «On vient à  La Mamounia à  vingt ans, à  soixante-dix ans ; on y vient à  tous les âges. Durant les trente premières décennies, la haute aristocratie mondiale, notamment britannique, constituait la troupe de fidèles. Puis, au fil des années, les profils ont changé. Aujourd’hui, il est très difficile de les définir. Ceci dit, nous arrivons facilement à  discerner ceux qui sont à  leur place ici de ceux qui ne le sont pas», signale le directeur général. Avant d’ajouter : «Je ne dis pas qu’on est snob. Mais il est vrai que la clientèle type de La Mamounia est faite de sophistication, de classe, de retenue, avec une volonté d’être le plus discret possible».
Par ailleurs, le directeur de l’hébergement note que la clientèle du palace a plutôt tendance à  rajeunir. Pour cette dernière, le taux de retour est même important. Ceci dit, en règle générale, la durée moyenne d’un séjour varie de quatre à  cinq jours. Mais, en la matière, certaines personnes détiennent des records.
Alors, le mieux est de faire appel à  la mémoire de Mohamed Abitar, puisque le directeur de l’hébergement affiche trente trois années de service au sein de l’établissement. Selon lui, la comtesse de La Rochefoucault a habité plus de deux ans à  l’hôtel. La princesse Ruspoli y a séjourné de longs mois. Mohamed Abitar se souvient aussi d’un richissime homme d’affaires helvétique qui louait une suite à  l’année pour l’occuper une fois par mois, rarement plus d’un week-end. Ces gens-là  vivaient leur folie à  la fin des années 1970. Encore une période propice aux extravagances de bon aloi. Il faut dire qu’à  La Mamounia on n’apprécie guère les individus déjantés (même si le festival du cinéma doit forcément en attirer quelques uns!). Ceci dit, on peut encore se permettre quelques douces folies. Ainsi, Robert Bergé relate l’organisation d’un anniversaire prestigieux au sein du restaurant italien, avec un menu exclusif. Une fois le repas terminé, les convives sont allés boire le champagne dans le jardin, non loin du marabout (ô sacrilège !), entourés de musiciens qui donnèrent une aubade et de gnaouas en transe.
A l’instar d’autres hôtes, La Mamounia se doit d’épouser les goûts de l’époque. Et puisque la mode est au cocooning, le palace aura sûrement son spa.
On parle même d’une nouvelle rénovation. Le nom du décorateur Jacques Garcia circule. Mais elle ne devrait pas intervenir avant 2006.