Société
Les coopératives d’habitation ont-elles fait leur temps ?
Encouragée dans les années 1980 comme moyen d’accession au logement à moindre coût, la formule, qui a connu un pic en 1997, s’essouffle.
En dehors des difficultés de fonctionnement liées à l’inexpérience
de ses membres ou aux tracasseries administratives, son développement
est concurrencé par la copropriété, favorisée par
le boom du logement économique et la baisse des taux d’intérêt.

C’est l’amitié qui a présidé à la constitution de la coopérative d’habitation Al Kasba. On est en 1987, et ils sont vingt-cinq amis, cadres, professeurs, architectes, médecins, commerçants,… à unir leurs efforts et leurs économies pour construire des logements dont ils seront propriétaires. Le projet va au-delà du simple désir de construire son logement. Il exprime un désir, celui de vivre ensemble dans une petite communauté animée par un élan de solidarité, une ambiance de convivialité, dans un cadre urbanistique où la beauté ne sera pas un vain mot. Il s’agit donc de créer une structure pour construire, loin de toute spéculation, un habitat au standing respectable.
Nos coopérateurs font d’abord une étude de terrain sur les coopératives opérant déjà à Casablanca et s’aperçoivent que toutes, ou presque, achoppent sur le même obstacle : constituer l’épargne nécessaire pour l’achat du terrain. Ils exigent donc de chacun une contribution de 100 000 DH dans les six mois qui suivent la constitution de la coopérative en vue d’acquérir au plus vite un terrain. Ce sera un hectare et quelques poussières à Oulad Haddou. Le plan directeur de Casablanca considère la zone comme étant de moyen standing, avec des espaces verts. L’achat du terrain dans cette zone est donc une bonne affaire. Mais le terrain est acquis dans l’indivision (chiaae). Il faudra donc le titrer au nom de la coopérative et le viabiliser.
On décide d’abord de s’attaquer au problème de l’indivision. Les démarches entreprises pour le résoudre se heurtent au fléau qui gangrène l’administration marocaine : la corruption. On s’y attendait, mais pas à une telle rapacité. Fidèles à leurs principes, nos coopérateurs jurent leurs grands dieux qu’ils ne céderont pas au chantage. Ça leur coûtera cher. Pour valider un plan correctif de séparation de deux immeubles, une formalité qui ne doit pas excéder un mois, il leur en a fallu dix-huit. Ce n’est pas fini.
Dans ce parcours du combattant, les administrateurs de la coopérative devront livrer une autre bataille : désenclaver le site. Pour le relier au réseau d’assainissement et d’électricité, il faut ouvrir une route de 140 mètres. Or, la mauvaise foi des responsables de la commune est telle que les propriétaires doivent saisir le tribunal administratif, et, ultime action, envoyer un dossier aux plus hautes autorités.
La coopérative mettra au final 14 ans avant de pouvoir achever la construction et obtenir le permis d’habiter. A l’origine, un beau site de quatre immeubles abritant 25 logements séparés par une pelouse verdoyante de quelque 5 000 m2, et une grande salle polyvalente commune. Mais les propriétaires se plaignent d’une autre injustice : ce site sera dénaturé par le non-respect du plan d’aménagement de Casablanca, avec des lignes à haute tension, des bâtiments R + 4 au lieu de R + 3 comme prévu dans le schéma directeur. «Notre jardin, qui devait être spacieux et aéré, s’est transformé en une fosse entourée de béton, ce qui lui a fait perdre tout son charme», se plaint un membre de la coopérative.
Un rêve qui se transforme en cauchemar
Est-ce l’inexpérience de ces coopérateurs en matière de procédures de construction qui est à l’origine de ces difficultés ? Ou la malveillance d’une administration qui fait tout pour décourager les volontés ? La coopérative a pourtant été conçue et encouragée par les pouvoirs publics eux-mêmes pour permettre justement l’accès à moindres frais à un logement dont rêve tout Marocain. L’exemple de la coopérative Al Kasba le confirme : de nombreux projets ayant souscrit à cette formule ont capoté ou sont dans l’impasse.
L’exemple d’une autre coopérative, Annawrass, illustre ces difficultés. Date et lieu de naissance : 1996, Rabat. Une décennie après la création de la coopérative, le projet de construction de 27 logements traîne en longueur. Deux ans après la constitution de la coopérative, ses membres ont pu en effet acheter un terrain de près de 7 000 m2 à Harhoura, mais les travaux de construction n’ont commencé qu’en 2000, pour ne jamais prendre fin. Le gros œuvre est achevé, mais pas les finitions extérieures, sans parler de la finition intérieure. Pourquoi ? Certains membres de la coopérative accusent le bureau qui «a très mal géré cette affaire. Ni assemblées générales en temps utile ni procès-verbaux». Les administrateurs n’en font qu’à leur tête, et ces coopérateurs ignorent les critères qui ont amené le bureau à choisir l’architecte et ne savent même pas sur la base de quel cahier de charges les travaux de construction ont été confiées à l’entreprise choisie. Manque de transparence ? Mauvaise foi ? Où sont les autres membres de la coopérative et pourquoi ne réagissent-ils pas? «Nous avons fait aveuglément confiance aux membres du bureau et au président et ne voulions pas les déranger dans leur travail. On nous a donné une estimation globale du coût et promis des logements clés en mains. Nous y avons cru».
Les apports ? Ils varient entre 500 000 et 650 000 DH, selon les coopérateurs. La grogne est à son comble quand, alors que le gros œuvre n’est pas encore terminé, le bureau leur réclame encore de l’argent. A bout de patience, les membres de la coopérative exigent leur logement, même inachevé. A l’heure qu’il est, ils sont en train d’achever eux-mêmes, à leurs frais, la construction et les finitions. Le rêve s’est transformé en cauchemar. D’autant que le résultat est loin des attentes : un travail bâclé et, au lieu des triplex prévus, des maisons à étages, sans lumière.
La formule de la coopérative d’habitation est à première vue séduisante : se regrouper dans une structure en fonction de ses affinités pour acheter un terrain, y construire un logement à moindre coût ( 25 à 30 % de moins que le prix du marché), avec une finition taillée sur mesure, un espace vert commun, le tout dans un cadre chaleureux. Le secteur avait tous les atouts, dans les années 1980, pour contribuer à résoudre la crise du logement. Ainsi, les coopératives échappent à plusieurs impôts directs (patente, impôt sur les bénéfices professionnels, taxes urbaines) et indirects (exonération de la taxe sur les produits destinés aux opérations de construction).
Boom du secteur dans les années 1980
Le secteur a connu un boom au milieu des années 1980, à la faveur de la loi 24-83 qui l’organise : deux coopératives d’habitation en 1979, 272 neuf ans après, 655 en 1993. Pic à la fin d’avril 1997 avec 916 coopératives regroupant 44 000 membres et un capital de 7 milliards de dirhams.
En décembre 2004, l’Office de développement de la coopération (ODCO) a dénombré 850 coopératives d’habitation au Maroc, soit 18% du secteur coopératif, après les coopératives agricoles (3 017) et avant celles de l’artisanat (581). Côté financier, la même année, le capital total des organismes coopératifs a atteint 5,8 milliards de DH, soit une moyenne de 1,2 MDH par coopérative. Indicateur significatif : le secteur de l’habitat accapare la plus grande partie des capitaux mobilisés et intervient à hauteur de 79 % de l’ensemble de ces capitaux. Cette tendance à la progression n’a pas perduré : le secteur a stagné, voire régressé dans les années 2000. L’ODCO dénombre en octobre 2005 moins de coopératives d’habitation qu’en 1997, avec un capital moindre: 866, avec 41 286 adhérents et 4 milliards de DH. Pourquoi cette chute ? Il faut dire que les raisons qui ont, au départ, incité les gens à se regrouper au sein d’une coopérative pour acquérir un logement à coût intéressant ne sont plus valables. Le développement extraordinaire du logement économique, la baisse importante des taux de crédit bancaire et les facilités de paiement accordées par les organismes de crédit expliquent que la formule de la coopérative soit boudée pour celle de la copropriété. En outre, les problèmes rencontrés par de nombreuses coopératives ont fini de persuader les adeptes de cette formule de s’en détourner.
