Société
Le nouveau plan de Bassima Hakkaoui pour la protection de l’enfance
La nouvelle stratégie veut combler les lacunes du Plan d’action national pour l’enfance 2006-2015, notamment en matière de protection des enfants. Sa préparation a duré plus d’une année, ils sera, avant d’être finalisé, enrichi des recommandations des Assises sur l’enfance de Skhirat. Le plan prévoit la mise en place de systèmes intégrés de protection efficaces et accessibles à tous les enfants.

A quelques jours de la publication par l’UNICEF de son rapport sur la situation des enfants dans le monde, le ministère de la solidarité, de la femme, de la famille et du développement social (MFFDS) lance, à Skhirat, ses premières Assises sur la protection de l’enfance. Avec à la clé, cette fois-ci, tout un projet élaboré par le département de Bassima Hakkaoui, dénommé «Politique publique intégrée de protection de l’enfance au Maroc». Difficile de ne pas faire une liaison entre les deux événements, ne serait-ce que parce que l’organisme international dédié à l’enfance ne cesse d’alerter l’Etat marocain, enquêtes à l’appui, sur la situation difficile et vulnérable de ses enfants. Et de l’inciter, à chaque fois, à élaborer une politique publique intégrée en phase avec les recommandations de la convention des droits des enfants ratifiée par le Maroc depuis 1993. Riche de quelque 54 articles et d’au moins deux protocoles facultatifs, rappelons que cette dernière se décline en quatre grands axes : le droit de l’enfant à la survie et à la santé, le droit au développement, le droit à la participation et le droit à la protection. Est-ce à dire que les pouvoirs publics n’ont rien fait pour assurer ces quatre types de droits aux enfants marocains? Rien n’est moins sûr. Le nouveau plan du ministère se veut d’ailleurs la continuation de toutes les actions menées en la matière par les anciens gouvernements, et un nouveau jalon pour combler les lacunes de ces derniers.
Que propose ce plan de «Politique publique intégrée de protection de l’enfance au Maroc» par rapport à ses prédécesseurs? Quels sont ses objectifs et les délais de leur réalisation? Quels instruments seront déployés pour sa mise en œuvre? Par quels moyens financiers? Et d’abord, dans quel domaine précis le Maroc a failli vis-à-vis de ses enfants?
Il faut dire que s’il y a un domaine où le Maroc est pointé du doigt par l’UNICEF dans chacun de ses rapports, c’est bien celui de la protection des enfants, l’un des droits fondamentaux de la CDE énuméré dans le dernier axe. C’est aussi, rappelons-le, l’un des dix objectifs que le «Plan d’action national pour l’enfance 2006-2015» (PANE), adopté en 2005, s’est fixé. Toutes les études qui ont été faites sur la violence, l’exploitation sexuelle, le travail des enfants de moins de 15 ans, le travail domestique, la consommation de drogues, le mariage des mineurs, la déperdition scolaire, la traite des enfants ont montré en effet que l’enfant marocain reste un être vulnérable et mal protégé, exposé à tous les risques, en proie à tous les dangers. Durant la vie du PANE, beaucoup de droits ont été assurés aux enfants tant sur le plan normatif que sur le plan pratique (voir encadré), mais beaucoup restait à faire. Le bilan effectué en 2011, à mi-parcours de la réalisation de ses objectifs, a constaté en effet qu’en «matière de protection, le décalage demeure manifeste entre, d’une part, les ambitions du pays et les moyens consentis, et, d’autre part, les résultats réalisés effectivement».
Le retrait de la circulaire interdisant la kafala par les non-résidents au menu
La nouvelle «Politique publique intégrée de protection de l’enfance au Maroc» élaborée par le MFFDS annonce vouloir partir des acquis du PANE et les consolider tout en essayant de combler ses lacunes. Certes, le ministère bénéficie désormais d’un meilleur environnement social, politique et juridique qui lui permet d’aller de l’avant pour une meilleure protection des enfants de moins de 18 ans : nouvelle Constitution consacrant les droits de l’enfant, création du Conseil consultatif de la famille et de l’enfance et du Conseil de la jeunesse et de la vie associative. Au plan international, le Maroc essaie d’être en phase avec les normes internationales: adhésion en 2013 au 3e protocole de la CDE relatif à la procédure de communication, ainsi qu’à la Convention européenne de Lanzarote sur la protection des enfants contre les abus et l’exploitation sexuels. Mais il lui reste encore d’autres rendez-vous internationaux où il doit se présenter avec de meilleurs atouts : en 2014, il aura à soumettre le rapport sur la mise en œuvre de la CDE et de ses 2 protocoles au Comité des droits de l’enfant ; et en 2015, il devra présenter les rapports finaux relatifs au Monde digne des enfants et aux OMD.
Toute la nouvelle «Politique publique intégrée de protection de l’enfance au Maroc», préparée durant plus d’une année par une commission ministérielle de l’enfance présidée par le chef du gouvernement (elle a consulté tous les acteurs dans le domaine, dont les enfants eux-mêmes), est venue dans ce sillage. Une telle politique, annonce un document, «qui vise à mettre en place un environnement protecteur durable des enfants contre toutes les formes de négligence, d’abus, de violence et d’exploitation, permettra au Maroc de disposer d’un cadre de protection des enfants en conformité avec les principes et dispositions de la Constitution ainsi que des différents instruments internationaux qu’il a ratifiés». Et, in fine, elle «permettra la mise en place de systèmes intégrés de protection efficaces et aisément accessibles à tous les enfants».
Après avoir livré un état des lieux de la vulnérabilité de cette catégorie de la population, sujette à tous les risques, dont l’exploitation, la vente et la traite des enfants, «sous-tendue par une demande croissante et une criminalité organisée», la feuille de route relative à la nouvelle «Politique publique» se fixe six objectifs stratégiques. Le but ultime étant de «garantir à tous les enfants du Maroc une protection effective et durable contre toutes les formes de violence, d’abus, d’exploitation et de négligence».
Le premier objectif décliné est l’intégration des objectifs de la protection des enfants «dans toutes les politiques et programmes publics», une façon d’uniformiser le travail dans le domaine de l’enfance de tous les ministères, les administrations et les institutions (INDH, CNDH, Conseil consultatif de la famille et de l’enfance…), et une façon d’articuler cette politique aux autres politiques nationales (lutte contre la pauvreté, développement humain…) et sectorielles (justice, santé, éducation, jeunesse, travail, sécurité…).
Le deuxième objectif est l’amélioration du cadre légal de la protection des enfants et le renforcement de son effectivité. Sur ce plan, retenons trois mesures normatives phare : la nécessité d’adoption des projets de lois portant sur la traite des personnes, le travail des enfants (loi sur le travail domestique, texte réglementant le travail dans les métiers purement traditionnels, promulgation des décrets d’application). Deuxième mesure phare, tant réclamée par les ONG et qui plaira sûrement aux personnes étrangères voulant adopter des enfants marocains : le retrait de la circulaire interdisant la kafala pour les non-résidents au Maroc, et la mise en place d’un organisme agréé chargé de l’adoption (sélection et accompagnement des parents, accompagnement et suivi des enfants). Troisième mesure normative : l’introduction des infractions relatives aux sollicitations sexuelles en ligne et au tourisme sexuel impliquant des enfants conformément à la Convention de Lanzarote.
Le troisième objectif stratégique est la standardisation des services et des pratiques dans la protection des enfants.
Un fonds de soutien et un mécanisme indépendant de traitement des plaintes
Objectif n° 4 : la mise en place de dispositifs territoriaux intégrés de protection de l’enfance qui permettraient de mieux faire le travail de détection, de prise en charge et de suivi des enfants victimes de violence, abus, négligence et exploitation.
Objectif n° 5 : la promotion de normes sociales protectrices des enfants, qui consiste en un travail d’études, de débat, de sensibilisation et de renforcement du rôle protecteur des familles.
Dernier objectif de cette nouvelle politique : la mise en place d’un système d’information fiable et standardisé et de suivi-évaluation et monitoring régulier et effectif. Pour cela, la feuille de route propose un mécanisme de recours et de monitoring au sein du CNDH et de ses commissions, aisément accessibles aux enfants, garantissant leur protection et la promotion de leurs droits conformément aux principes de Paris.
C’est tout un programme qui nécessite la participation de tous les acteurs, mais aussi un budget bien ficelé, des délais d’application et un suivi de près. Ce programme a été enrichi par plusieurs recommandations lors des premières Assises sur l’enfance de Skhirat (organisées du 10 au 14 avril), dont deux importantes : la mise en place d’un fonds de soutien au système de protection des enfants et l’élaboration d’un mécanisme indépendant de réception et de traitement des plaintes des enfants en conformité avec le Traité de Paris, et donc indépendant du gouvernement. C’est la même commission présidée par le chef du gouvernement qui a coordonné la préparation de la «Politique publique intégrée de protection de l’enfance au Maroc» qui est proposée pour se charger du suivi.
