Société
Le Maroc aura-t-il ses « radios de quartier »Â ?
Le 26 juin, démarrait le plaidoyer pour la reconnaissance juridique des radios associatives communautaires porté par un réseau de plus de mille associations. Ces radios permettent à des populations de prendre en charge leur propre besoin d’information locale, de culture et de développement.

Des douars perchés sur la montagne, négligés des grands centres urbains, qui suivent les émissions d’une radio locale pour s’initier aux valeurs de la citoyenneté et de la démocratie… Une radio qui met en exergue leurs spécificités culturelles et économiques, et fait entendre leur voix aux centres de décision…, tout cela est possible, mais pas encore dans le Maroc d’aujourd’hui. Le support audio, communautaire, citoyen, moyen facile de communication pour des millions d’analphabètes, souvent baignés dans une culture d’oralité, n’existe, en effet, pas encore au Maroc. «C’est un anachronisme dans un pays qui se démocratise, qui a libéralisé l’audiovisuel depuis dix ans, où les médias électroniques explosent. Il est temps de rattraper ce retard», fulimine ce militant du «Forum des Alternatives Maroc» (FAM), une ONG qui a constitué autour d’elle un réseau fort d’un millier d’associations. Objectif : mener un plaidoyer pour obtenir une réforme du secteur des communications dans le sens d’une «ouverture du paysage audiovisuel aux médias communautaires, notamment la radio».
Ce plaidoyer, mené conjointement avec le portail de la société civile e-joussour et appuyé par l’Union Européenne, a démarré le 26 juin dans le cadre d’un programme intitulé «Médias communautaires, pour une information citoyenne». Le travail a commencé, en fait, depuis une année, mais ce n’est que récemment que des Parlementaires, des membres du gouvernement, et l’instance de régulation de l’audiovisuel, la HACA, ont été abordés par les militants de ce réseau pour revendiquer une reconnaissance juridique des radios associatives communautaires. «La campagne de sensibilisation vient de commencer, nous n’avons rencontré la présidence de la HACA qu’une seule fois. On n’a pas de promesses fermes, mais on reste optimistes, car le contexte est favorable avec la nouvelle Constitution qui garantit le droit à la communication. Il y aura certainement des forces de résistance, mais nous finirons par obtenir gain de cause», confie Hourria Esslami, présidente du Forum des alternatives Maroc.
Mais d’abord que veut-on dire par radio communautaire, appelée aussi radio associative ? Quelle est sa raison d’être, au moment où les stations régionales, thématiques et de proximité, tant privées que publiques, se multiplient au Maroc ces dernières années ?
L’UNESCO, institution internationale qui encourage les gouvernements à reconnaître à toutes les communautés le droit de s’exprimer à travers ce support audio, définit la radiodiffusion communautaire comme étant «un moyen de communication sans but lucratif, qui appartient à une communauté particulière qui la gère. Son but est de servir les intérêts de cette communauté, favoriser l’accès et la participation aux activités de la communauté et refléter les besoins et les intérêts particuliers du public auquel elle est destinée».
La radio des «sans-voix», la radio campus
En d’autres termes, c’est une «radio libre associative, rurale, scolaire, citoyenne, populaire, éducative, participative, interactive, alternative, la radio des “sans-voix”, la radio campus…», rappellent Leslie Bastien et Matthias Balagny, deux spécialistes qui ont fait des études sur ce support en Afrique. Ce qui caractérise donc ce support populaire par rapport aux autres radios du service public et des radios commerciales, est d’abord son indépendance. C’est la radio elle-même qui définit sa programmation, sa gestion et sa ligne éditoriale, indépendamment des sphères politiques et de la pression mercantile. Elle répond à des attentes et des besoins concrets de populations qui ne sont pas (ou rarement) desservies par les autres médias : télévision, presse écrite et Internet. En deuxième lieu, cette radio appartient à la communauté qu’elle dessert, via l’association qui possède le titre de propriété. Elle est en outre animée par des bénévoles, et la communauté qu’elle dessert participe à sa gouvernance. Une autre distinction, fondamentale par rapport aux autres radios : le financement. La radio communautaire est une radio à but non lucratif. Les initiateurs du plaidoyer pour l’obtention de licences pour créer des radios associatives n’ont pas encore établi concrètement un business model pour déterminer le montant et les sources de financement de ce support, mais ils savent pertinemment, en s’inspirant en cela d’autres expériences de par le monde, particulièrement en Afrique, que ces stations seraient de petite taille, généralement installées dans des locaux de taille réduite et que le coût des installations techniques sera relativement faible correspondant à la zone géographique qu’elles couvrent. Les ressources humaines, quand à elles, ne devraient pas coûter trop cher.
Pour Emmanuel Boutterin, magistrat, vice-président de l’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires (AMRAC), une ONG internationale très expérimentée en la matière qui accompagne dans son plaidoyer le réseau marocain réclamant des radios communautaires, «la solution la plus efficace est la création, par l’Etat, d’un fonds public de soutien (FPS) qui participera au financement de ces radios». Et d’ajouter que «ce FPS contribue à hauteur de 40% du financement». Le reste ? Il pourra être financé par les collectivités locales, des bénévoles. Et même par des recettes publicitaires. En effet, la publicité n’est pas interdite pour ces radios… à but non lucratif. A une seule condition, que ces recettes soient réinvesties dans la radio. Dans certains pays d’Amérique du Sud, raconte M. Boutterin, «ces recettes sont importantes. De même que dans certains pays européens où les radios communautaires font des formations payantes, dans certains quartiers, avec des écoles privées. Voilà une autre source de financement». Cela ne risque-t-il pas de faire de la concurrence aux radios purement commerciales ? «Il n’y aura pas de concurrence puisque ces radios ne ciblent pas le même public, une radio musicale par exemple ne serait jamais concurrencé par une radio installée au fin fond d’un bled», répond M. Boutterin.
Si les radios communautaires ne sont pas permises au Maroc, en vertu de la loi 77-03 sur la communication audiovisuelle qui n’autorise encore que les médias de service public, et du privé à caractère commercial, elles ont acquis leurs titres de noblesse il y a belle lurette dans d’autres pays du monde. Pas moins de 100 pays les autorisent actuellement. L’AMRAC,à elle seule, représente aujourd’hui plus 4 000 radios communautaires.
3 000 radios communautaires en Europe, elles viennent remplacer les radios pirates
Ces radios existent depuis plus de cinquante ans en Amérique Latine dans des pays comme la Bolivie, la Colombie, le Pérou, le Venezuela, le Mexique et l’Argentine. Actuellement, on en compte des milliers en Afrique, dont le Sénégal et la Tunisie. Il y en a 3 000 en Europe, elles sont venues remplacer ce qu’on appelait «radios pirates». «Cette explosion est d’abord le résultat de la démocratisation des sociétés, la fin des monopoles étatiques sur l’audiovisuel et la libéralisation des ondes», remarque Saïd Essoulami, directeur exécutif du CMF-Mena dans un mémorandum présenté à l’occasion du plaidoyer en faveur des radios communautaires au Maroc. Et d’ajouter : «Toutes ces radios communautaires ont le même objectif d’atténuer l’hégémonie des médias étatiques et privés et de fournir une programmation qui n’obéit pas à l’intérêt commercial. Elles représentent des communautés qui aspirent à prendre en charge leur propre besoin d’information, de culture et de développement».
Cela dit, les initiateurs de ce plaidoyer restent optimistes, pour eux tous les ingrédients sont là pour qu’enfin le Maroc accorde, comme cela se passe dans d’autres pays similaires (comme la Tunisie), la liberté de création de radios communautaires. Il y a d’abord cette libéralisation du champ audiovisuel à partir de 2002 (qui n’est plus sous le monopole de l’Etat, avec la loi 77/03 et la création de la HACA) ; il y a la nouvelle constitution qui garantit dans son article 9 la liberté d’opinion et la liberté d’expression (sans mentionner la liberté de communication audiovisuelle). Et il y a enfin cette dynamique de revendication de ces radios qui n’est pas nouvelle : déjà en décembre 2006, à l’occasion de l’installation de la chaire UNESCO/Orbicom en «Communication publique et communautaire» par le directeur général de l’UNESCO et le ministre marocain de la communication de l’époque, ce dernier avait déclaré : «Cette initiative (…) permettra aussi de faire promouvoir l’action visant à instaurer un meilleur cadre pour la mise en place de radios communautaires au Maroc, à l’heure où l’espace audiovisuel connaît des changements importants». Le plaidoyer mené actuellement ne se contente pas d’une simple revendication en l’air, mais il appuie cette dernière d’un projet concret : une loi modifiant celle (77/03) votée par le Parlement en 2004, prévoyant la mise en place d’un système d’octroi de licence, un cahier des charges non-contraignant, la création d’un fonds national de soutien, tout en proposant un code déontologique.
Source : plaidoyer pour une reconnaissance juridique des radios associatives communautaires au Maroc.
