Société
Le bilan controversé du Conseil de la communauté marocaine de l’étranger
Le CCME a terminé son mandat provisoire de quatre ans depuis décembre 2011, on attend la loi du nouveau conseil prévu par la Constitution. Son bilan est controversé : pas d’avis consultatif sur le nouveau conseil, ni de rapport stratégique une fois tous les deux ans, comme prévu dans le dahir de création.

Après plus de cinq ans d’existence (il a été créé le 21 décembre 2007), quel bilan peut-on faire du travail du Conseil de la communauté marocaine de l’étranger (CCME) ? De cette instance voulue par le Roi Mohammed VI, recommandée par l’Instance équité et réconciliation (IER), sur laquelle comptaient des millions de Marocains résidant à l’étranger pour améliorer leur image, être associés aux politiques publiques de leur pays et à son devenir par leurs compétences ? Deux autres instantes dédiées à la même cause, un ministère et la Fondation Hassan II, ont précédé le CCME présidé, lui, par Driss El Yazami, un homme d’un background international reconnu, mais, avec ce dernier, le Maroc comptait rompre avec une perception surannée, réductrice et mercantile de la diaspora marocaine, au moment où cette dernière a connu des mutations profondes ces vingt dernières années. Le conseil a-t-il réussi dans cette tâche ? Difficile de trancher, car réussir cette gageure n’est pas vraiment la mission de cette instance, la sienne est de faire des investigations sur la diaspora marocaine, et d’éclairer le Roi, par des avis consultatifs, sur ce qu’il faut faire.
Toujours est-il que le conseil travaille au ralenti depuis plus d’une année, beaucoup de ses membres sont dans l’expectative et s’interrogent sur la configuration du futur conseil prévu par l’article 163 de la Constitution de 2011. Il faut dire que l’histoire de cette instance ne manque pas de temps forts, mais aussi de tiraillements, de rebondissements et de règlements de comptes. «Et de convoitises pour présider ou avoir des responsabilités plus importantes dans le futur conseil, surtout après le départ de Driss El Yazami pour présider le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH)», accuse Mohamed Ezzouak, directeur de Yabiladi.com, un site dédié aux MRE. Au fait, Driss El Yazami est toujours officiellement président du CCME puisque son mandat de six ans n’est pas encore échu, mais tout le monde constate qu’il y est moins investi qu’au début, «d’autant qu’au CNDH, domaine qu’il maîtrise et pour lequel il se passionne (il était secrétaire général de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), il est comme un poisson dans l’eau», constate un ex-membre du CCDH ayant participé au travail de consultation pour la constitution du CCME. L’un des rebondissements dans la vie du conseil eut lieu en novembre 2012, lors de la discussion du projet de Loi de finances 2013 : il s’en est fallu de peu pour que le conseil n’ait plus droit à ses 49 MDH auxquels il était habitué mais seulement à 9. Raison : «Absence de transparence dans la gestion financière de l’institution du CCME», argue le texte de l’amendement déposé en commission des finances de la Chambre des représentants par les députés de la majorité. Et Abdelaziz Aftati, membre de cette commission, de s’interroger «sur les informations faisant état de voyages, de séjours coûteux à l’étranger et d’indemnités très généreuses qu’auraient touchées certains proches du président».
«Des balivernes», rétorque un membre du conseil, «il faut bien se déplacer et donner des primes pour faire notre travail», poursuit-il, avec un sourire moqueur. Oui, il serait difficile de surseoir à une telle accusation, tant qu’une enquête diligente sur les comptes du conseil par un organisme habilité à le faire n’ait pas eu lieu, si tant est qu’il y ait des soupçons justifiés. La nouvelle Constitution de 2011 stipule, certes, dans son article 160, que «toutes les institutions et instances visées aux articles 161 à 170 de la présente Constitution doivent présenter un rapport sur leurs activités, au moins une fois par an. Ces rapports sont présentés au Parlement et y font l’objet de débat». Et le CCME est cité par l’article 163 comme étant l’une de ces instances tenue aussi par ce rapport. De là à ce que le président soit sommé de se présenter devant la commission des finances pour justifier de ses dépenses est un pas que les auteurs de l’amendement n’ont pas hésité à franchir, et le président refusa tout net, pour inconstitutionnalité de cette demande, d’obtempérer à leur invitation.
Un président qui cumule deux mandats, l’un au CCME, l’autre au CNDH
Il faut dire que le mandat de quatre ans pour lesquels les 37 membres du conseil ont été nommés est échu le 21 décembre 2011, que le travail des six commissions s’occupant chacune des six secteurs de priorité (femmes, cultes et éducation religieuse, culture et identités, administration et politiques publiques, compétences scientifiques, techniques et économiques pour le développement solidaire) est pratiquement en veilleuse. Et le fait que le président cumule en même temps la présidence du CNDH et celle du CCME participe à une certaine confusion et malaise au sein du conseil. On a vu même quelques défections, dont celle d’Abdou Menebhi, rapporteur du groupe de travail de la commission «Citoyenneté et participation politique», qui rend son tablier le 25 février 2013, au motif (expliqué dans une lettre de démission au vitriol adressée au président) que le conseil a été incapable d’honorer le moindre des engagements pour lesquels il a été créé. Les responsables du CCME, assène-t-il, «au-delà de certaines activités culturelles, de colloques et d’éditions de livres, n’ont toujours pas un bilan sérieux et crédible à présenter, s’agissant des missions centrales du conseil».
Pour mieux cerner la raison d’être du CCME, un crochet s’impose.
On est fin 2005, l’IER vient de rendre son rapport où il est recommandé de pourvoir le Maroc d’une instance représentative de la diaspora marocaine. Une commission est alors composée de membres du CCDH, d’un groupe de chercheurs marocains, mais également d’élus issus de l’immigration et d’acteurs associatifs. Ladite commission, après un laborieux travail de consultations dans une vingtaine de pays de résidence des émigrés, et de réunions avec plus de 3 000 acteurs associatifs et politiques, élus, responsables religieux… émit au Roi Mohammed VI un avis consultatif où se profilent déjà ses deux grandes missions, retenues d’ailleurs dans le dahir de création du conseil daté du 21 décembre 2007. A savoir, d’une part, de faire le suivi et l’évaluation des politiques publiques du Royaume envers ses ressortissants émigrés et leur amélioration en vue de garantir la défense de leurs droits pour mieux participer au développement politique, économique, culturel et social du pays. D’autre part, assurer des fonctions de veille et de prospective sur les problématiques migratoires et de contribuer au développement des relations entre le Maroc et les gouvernements des pays de résidence des émigrés marocains. C’est ce même avis consultatif (confirmé par le dahir de création), rappelons-le, qui a fixé à 50 le nombre de ses membres, pour un mandat provisoire de quatre ans, quitte à ce qu’il réfléchisse à l’élaboration d’un autre avis consultatif sur les modalités de la composition et les missions du futur conseil.
Après cinq ans et demi de travail, le CCME, selon le nombre des voix contestataires au sein et en dehors du l’institution, n’aura pas respecté ce cahier des charges pour lequel il a été créé. Il aura failli dans les deux missions à l’origine de sa création, accuse Abdelkrim Belguendouz, universitaire à Rabat, et chercheur spécialisé en migrations ; et dans la mission consultative puisqu’il n’aura présenté aucun avis au Roi Mohammed VI en matière de politiques publiques, et dans la mission prospective à propos de laquelle le conseil, selon le dahir de sa création, se doit de présenter un rapport stratégique une fois tous les deux ans. Or, poursuit le spécialiste, «comme toute institution nationale, le CCME a l’obligation de résultat. Mais après environ cinq années et demie de sa création, le CCME connaît de très graves et multiples dysfonctionnements». Pour preuve, enfonce M. Menebhi, le démissionnaire de l’instance, et «en violation flagrante du dahir portant création du conseil, en dehors de l’assemblée plénière de lancement, qui a eu lieu les 5 et 6 juin 2008, aucune assemblée générale annuelle n’a été organisée».
Des critiques fondées, oui, mais le conseil n’a pas chômé
Les pourfendeurs du CCME et de son président ne s’arrêtent pas là. Selon eux, non seulement le conseil n’a rendu aucun avis consultatif durant toute la période d’existence, «sur des questions aussi variées et épineuses que celles de l’application du code de la famille, la kafala, l’encadrement politique et culturel, et la représentation politique…», martèle Nezha El Ouafi, députée PJD, elle-même ressortissante marocaine et membre de la commission des affaires étrangères, mais il aura, en plus, «installé un climat de méfiance dans les rangs des Marocains de l’étranger», conclut-elle.
Des critiques non dénuées de vérité certes, bien que le président n’en fait pas un cas de conscience, mais de là à dire qu’il n’a tenu aucun de ces engagements est un pas que les détracteurs n’ont pas hésité à franchir. Sinon on conclura que les 37 membres du CCME, leur président, leur secrétaire général, tous nommés par le Roi, et les trente salariés ou plus de l’instance ne faisaient que se tourner les pouces pendant ces cinq années et demie d’existence.
Certes, quelques dysfonctionnements ont émaillé le travail du conseil, et le président Driss El Yazami, lui-même, en convient, comme le fait de ne pas pouvoir tenir une assemblée plénière chaque année comme le stipule le dahir de création du conseil. Ou le fait de tarder à produire et soumettre au Roi le moindre avis consultatif. Deux raisons sont invoquées pour justifier ce retard par le secrétaire général du conseil, Mohamed Boussouf, dans un entretien publié par le site de ce conseil : «Nous avons choisi d’approfondir encore plus cette connaissance, car ce n’est pas tant la production des avis consultatifs qui nous importe, mais la capacité de ces avis à répondre aux attentes des Marocains du monde». L’autre raison : «La contrainte concernant les ressources, faibles pour l’instant».
Mohamed Soual, observateur qui suit de près tout le travail du CCME, pour avoir été associé aux premières consultations auprès des milliers de Marocains de l’étranger dans les différents pays pour la constitution de ce conseil provisoire, confirme : «Je dois admettre que la problématique de la diaspora marocaine est beaucoup plus complexe que ne le croient certains, tant au niveau humain, politique, culturel, identitaire que cultuel, pour qu’elle soit appréhendée en un court laps de temps». Emettre des avis consultatifs, selon notre interlocuteur, «c’est facile, le plus difficile est d’appréhender dans toute sa complexité la problématique de la diaspora marocaine pour que cet avis soit le plus abouti possible. Et pour cela, il faut le temps et les moyens».
Impossible de dire qui a raison dans toute cette polémique, autour de laquelle M. El Yazami refuse de participer, mais force est de reconnaître que les critiques adressées au conseil et à son staff dirigeant ne sont pas infondées, que le conseil a vécu aussi des temps forts, dont le dernier et non des moindres est l’étude qu’il a menée sur les compétences marocaines de l’étranger, résumée dans un ouvrage récemment publié. Et c’est là l’un des grands défis de cette instance : savoir comment capitaliser cette richesse prodigieuse que recèle la diaspora marocaine dans tous les domaines : scientifique, technique, médical, culturel, sportif…, «dans un marché mondialisé et compétitif de savoirs et de savoir-faire, où nous assistons à une réelle concurrence, de plus en plus acharnée, pour la captation des ressources humaines qualifiées», remarque Driss EL Yazami dans sa préface à cet ouvrage.
«Migrations marocaines, les compétences marocaines de l’étranger : 25 ans de politique de mobilisation». Ed. CCME, 2013, 187 pages.
