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Société

Le 19 juin, le Maroc est entré dans l’ère des sports électroniques !

C’est en juillet 2003 que le Maroc est officiellement entré au Comité international
de la Coupe du monde des sports électroniques.
Le 1er championnat national (19-20 juin 2004) témoigne de l’engouement croissant du pays pour les jeux vidéo. Les 10 meilleurs joueurs défendront les couleurs nationales à la Coupe du monde, à Poitiers (6 au 11 juillet prochain).
Préjugés et méfiance, lenteur des connections… la discipline accumule de sérieux retards.

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Pas de costume cravate devant les portes d’ascenseur! En cette matinée du 19 juin, le hall du Technopark de Casablanca a plutôt des allures de cour de récréation. Une cohorte de tee-shirts et de casquettes bariolés se déplacent dans une musique assourdissante de R&B et de techno. Par dizaines, les jeunes gamers ont déjà envahi tout le rez-de-chaussée du bâtiment. Les écrans géants diffusent des images de «Counter Strike» un peu partout : au-dessus de l’ascenseur, dans la salle de conférence et même à l’extérieur. Counter est l’un des trois jeux proposés au premier championnat national des jeux vidéo, avec «Warcraft 3» et «Pro Evolution Soccer 3», un jeu de foot qui fait fureur ici, comme sur toute la planète. Des gamins d’à peine dix ans tournoient comme des mouches autour de «l’accueil information» tandis que des files d’attente se forment autour du bureau des «préqualifiés» pour la distribution de badges. Moyenne d’âge : 16/17 ans.
Vers 15 heures, la compétition commence. Après les premiers appels micro, les équipes s’installent dans les deux salles affectées au tournoi. Les matchs s’affichent en direct sur les écrans. Ça flague à tout va dans un bruit d’enfer. La salle de conférences s’est transformée en champ de bataille. C’est donc au son des pistolets-mitrailleurs que le Maroc inaugure son premier championnat national de «sports électroniques», une appellation avec laquelle notre pays n’est pas encore familiarisé.
Comment cela a-t-il commencé ? Retour sur la genèse d’une compétition toute neuve.
14 juillet 2003, ça y est ! Le Maroc est officiellement inscrit au «Comité international de la Coupe du monde des sports électroniques». C’est à Saïda Bayna, directrice du projet, que l’on devra la première participation du Royaume, le mois prochain, à la Coupe du monde, au Futuroscope de Poitiers. De retour de Paris en 2003, Saïda avait alors contacté des responsables tous azimuts, les informant du projet. «J’ai trouvé un producteur en la société Streamédia et nous avons commencé en mars les premières sélections sous forme de LAN (réseau local reliant plusieurs ordinateurs). Les premières LAN ont eu lieu à Casablanca et ont permis la sélection de 180 joueurs de tout le Royaume. 120 autres joueurs des championnats de Marrakech, Essaouira et Rabat se sont joints aux premiers». En tout, 300 préqualifiés. Le compte est bon ! Autour de forums de discussion, les équipes s’organisent. Les joueurs entrent en contact avec les administrateurs de tournois, prennent connaissance de leur planning, de l’ordre de passage… «L’engouement a été extraordinaire! 2 300 joueurs se sont inscrits en ligne. 600 ont réellement participé !», se souvient Saïda qui constate, ravie, que l’enthousiasme ne fléchit pas au technopark.

Sur des centaines de participants, aucune fille !
Seule ombre au tableau : sur les centaines de participants, aucune fille ne s’est inscrite ! Seules deux ou trois auraient bien tenté l’aventure, mais n’ayant pu constituer une équipe de cinq, elles auraient finalement renoncé. La Coupe du monde – règlement oblige – interdit en effet la mixité des équipes. Où sont donc passées ces jeunes Marocaines que l’on rencontre – il est vrai plus rarement que leurs homologues masculins – dans les salles de jeux en réseau ? Une absence aussi regrettable que désastreuse pour l’image du pays. 2005, on l’espère, verra se féminiser la compétition !
«Les Marocains ne sont pas les Coréens ! Ce sont des bêtes, là- bas ! Ils peuvent faire du 190 touches minute, voire plus encore. Ça fait trente ans qu’ils jouent», reconnaît l’organisatrice des championnats nationaux. C’est clair, le Maroc, en la matière, cumule les handicaps. Sans être le plus important, le manque de reconnaissance officielle est sans doute un des facteurs du retard du Maroc. Et la Coupe du Maroc compte bien institutionnaliser les jeux réseaux par leur introduction au sein du ministère de la Jeunesse et des Sports : «En Corée, le championnat est ouvert officiellement par le chef de l’Etat, le président de la commission est le ministre de la Culture et de l’Education. Les finales sont diffusées en direct à la TV… Ici, nous en sommes à “Corée moins 29” !»

Le Maroc a des champions incontestables
C’est que le Maroc traîne d’abord d’incorrigibles préjugés nuisant au développement des sports électroniques. Peu, ici, reconnaîtront d’ailleurs le jeu vidéo comme sport à part entière. Pourtant, «cette activité nécessite des qualités physiques et intellectuelles, un esprit réactif, de synthèse, de l’organisation, de l’endurance», se défend Saïda Bayna. «Et c’est loin d’être un sport débilitant comme on le considère souvent ici !», ajoute-t-elle. Force est de constater d’ailleurs que les champions sont loin d’être des abrutis ! Nombre d’entre eux sont aussi brillants à l’école que devant un PC ou une console de jeux. Mais pour l’organisatrice, le catalyseur principal au niveau mondial reste «la pénétration des connections à haut débit, la démocratisation des prix des ordinateurs et des consoles de jeux». Autant de raisons expliquant le retard du Royaume.

Les joueurs accusent les insuffisances des infrastructures réseau
Concernant les connections, les joueurs sont unanimes : «ça rame à mort !». Hamza Alami, vingt-cinq ans, manager de tournoi, en sait quelque chose. Il est aussi l’un des deux joueurs présents à avoir déjà participé à des championnats à l’échelle nationale. Alors étudiant aux Etats-Unis, il concourait avec une équipe classée parmi les dix meilleures américaines au Counter Strike. «Au Maroc, le problème, c’est l’internet. Au Counter, vous devez vous déplacer dans un cyber pour jouer en réseau local. C’est une immense barrière ! Non seulement l’internet est cher ici, mais il ne permet pas de jouer dans des conditions optimales. Question de ping ! [temps de réponse exprimé en millisecondes et déterminant, dans un jeu, la qualité d’une connexion sur un réseau]. C’est l’architecture réseau de Maroc Télécom qui est en cause. Pour l’instant, à MT, on ne peut rien faire, même si on travaille sur la question. La seule solution aujourd’hui pour un gamer qui souhaite se comparer aux autres gamers, américains, asiatiques ou européens, c’est de télécharger des matchs internationaux».
Voïd, dix-sept ans, fait le même constat : «Ça lague grave! J’ai perdu presque un an ! ça déconnecte quelquefois une semaine. Il faut alors écrire des recommandés… la galère!». Lycéen dans une section éco, Voïd joue depuis deux ans au Warcraft 3, un jeu justement de stratégie économique, comme il aime. Voïd s’entraîne deux heures par jour pendant les vacances et les week-ends pendant l’école. Avec la préparation du Bac, il a dû lever le pied… et la main de la souris. Malgré un entraînement très souple, Voïd a battu tout le monde en moins de douze minutes lors des tournois de pré-qualification. Il y a deux ans, il ne connaissait que deux joueurs pouvant rivaliser avec lui, à peine moins qu’aujourd’hui. Pourtant, il se fait peu d’illusions, en cas de sélection pour la Coupe du monde : «Je sais qu’à l’international, je me ferai massacrer!».
Les différences sont aussi régionales. Tom, dit «l’enfant de la rue», a gagné en équipe, à Marrakech, avec les «NH» (Noob Hunter). Ce joueur s’énerve aussi contre la lenteur des connections : «J’ai appelé Maroc Telecom plusieurs fois. Ils m’ont dit que c’était normal. Pfft…!, normal… Et je vous parle pas des PC pourris qu’on a dans les cybers à Marrakech! Les tournois sont aussi très mal organisés, d’ailleurs, généralement à l’initiative de joueurs». «Mocassin», capitaine de l’équipe marrakchie, reconnaît qu’«à Casablanca, ils sont plus balèzes! On a d’ailleurs vu quelques “démos” de certains d’entre eux». C’est Mocassin qui a déterminé, avec ses acolytes, les stratégies en fonction de chaque map (carte) du Counter Strike. «En vérité, on improvise pas mal…», reconnaît, un brin désabusé, le chef de l’équipe. Scott Gordon (franco-américain), alias Rog-Dog, regrette de n’avoir pu s’entraîner quelques heures avant la compétition: «On n’a pas touché un clavier depuis qu’on est arrivé ! On a quitté Marrakech à 4h du mat. On est déjà crevé !»

Le technopark compte encourager les jeux, casser les préjugés et attirer les autorités locales
Si les jeunes joueurs sont impitoyables contre l’infrastructure réseau marocaine (quelques millièmes de seconde, dans un jeu, équivalent souvent à une vie !), tous étaient ravis de cette première et constatent, avec l’arrivée de l’ADSL, des améliorations notables (mais toujours largement insuffisantes).
Côté direction du technopark, on se félicite aussi. «Le technopark se veut le point d’ancrage des NTIC. Nous nous devions de participer à cet événement. Nous souhaitons encourager les jeux vidéo, soutenir leur développement, casser les préjugés et attirer les autorités locales», résume, enthousiaste, Nabil Kouhen, directeur du centre. Une démarche désintéressée ? Pas vraiment, reconnaît le responsable qui n’a visiblement rien d’un «hardcore gamer». «Le technopark reste assez hermétique. Nous souhaitons ce lieu plus ouvert aux jeunes. Peut-être les créateurs de start-ups de demain qui – on l’espère – viendront s’ancrer ici», ajoute-t-il.
Ces jeunes sont en effet déjà courtisés. C’est ici, sans doute mieux qu’ailleurs, que les entreprises pourront par exemple identifier les possibles testeurs de jeux de demain. La «cité du numérique» compte bien faire de la place aux jeux vidéo : «Déjà un projet d’espace consacré aux jeux est à l’étude», annonce Khalid Zaid, responsable communication du centre, «ainsi qu’un technospace dont le projet devrait être lancé d’ici la fin d’année : un espace hi-tech regroupant une cinquantaine d’entreprises. Avec, déjà, 150 entreprises, le technopark est un bâtiment qui vit». S’il manquait de vie, en tout cas, le week-end dernier, les quelques centaines de jeunes qui ont pris le bâtiment d’assaut l’ont bruyamment ressuscité !
Assurément, on est encore loin, au Maroc, des joueurs professionnels, ultra préparés, multisponsorisés et gagnant des centaines de milliers d’euros comme c’est le cas par exemple en Corée, référence incontournable en la matière. Ce week-end, les couloirs et salles du technopark respiraient bien plus l’esprit potache que la compétition pure et dure. Cette première est pourtant prometteuse. Elle constitue aussi un début d’identification de ce réservoir de joueurs talentueux, peut-être leschampions de demain. Reste aux pouvoirs publics à s’intéresser un peu à la question. Reste aussi à Maroc Telecom à booster ses connections… et tout deviendra possible !

Les organisateurs de la Coupe du Maroc comptent institutionnaliser les jeux réseaux par leur introduction au sein du ministère de la Jeunesse et des Sports : «En Corée, le championnat est ouvert officiellement par le chef de l’Etat, le président de la commission est le ministre de la Culture et de l’Education. Les finales sont diffusées en direct à la TV».

Lycéen dans une section éco, Voïd joue depuis deux ans au Warcraft 3, un jeu, justement, de stratégie économique, comme il aime. Voïd s’entraîne deux heures par jour pendant les vacances et les week-ends pendant l’école. Avec la préparation du Bac, il a dû lever le pied. Malgré cela, Voïd a battu tout le monde en moins de douze minutes lors des
pré-qualifications.

L’engouement pour le championnat national a été extraordinaire et, si 600 jeunes ont pu participer aux présélections et 300 être qualifiés pour le championnat qui s’est déroulé au Technopark de Casablanca, pas moins de 2 300 s’étaient inscrits en ligne !