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Société

La non-communication, ce mal-être qui étouffe les couples marocains

La communication ? Ce sont ces petits gestes que chacun doit consciemment faire chaque jour pour se rapprocher de l’autre, le reconnaître comme une entité entière avec ses qualités et ses défauts.

Publié le

couples marocains 2013 03 27

Quelle que soit la raison qui amène les gens en consultation, il est très rare qu’on ferme un dossier sans avoir à traiter de communication de couple, la plupart du temps à la demande de La partenaire. Ces propos d’André Gareau, psychothérapeute et conférencier en développement humain qui a beaucoup travaillé sur les problèmes du couple, est partagée par la majorité des psychologues. Le Marocain Aboubakr Harakat, lui-même psychothérapeute de couple et sexologue, ne déroge pas à la règle : «Dans mon cabinet, les problèmes de communication constituent la plupart des consultations. Et je préfère les traiter en présence des deux partenaires», ajoute-t-il.

Comment, dans quelles circonstances, et pour quelles raisons, le courant ne passe plus entre deux individus mariés qui ont accepté de partager leur vie pour le meilleur et pour le pire ? Après quelques années, parfois seulement quelques mois, d’une vie commune où l’on rêvait de consruire un monde à deux, où l’on se partagerait tout sans se lasser, il arrive que chacun se recroqueville sur lui-même, ne communique que très peu ou très mal. Certains s’emmurent tout simplement dans leur silence, «ce qui est aussi une forme de communication qui ne dit pas son nom», commente M. Harakat.

Siham B., secrétaire dans une agence de courtage, mariée depuis huit ans, dit que son mari est irréprochable à bien des égards, mais elle se plaint d’une chose : «Pour un oui ou pour un non, une mésentente anodine, il s’isole dans le salon, et, les yeux rivés sur le téléviseur, s’évade dans un monde à part, oubliant que j’existe, que j’ai besoin de parler, de raconter, de communiquer. Lui ne se met jamais en colère, au contraire». La frustration de Siham est si grande qu’elle préfère que son mari la gronde, la critique, plutôt que de dresser une barrière entre eux. N’a-t-elle pas choisi le moment opportun pour discuter avec son mari ? Ou y a-t-il vraiment un malaise profond qui empêche le mari de faire un effort de communication ? Elle ne sait pas : «Franchement, je ne comprends pas ce qui se passe dans sa tête, comment le savoir puisqu’il ne veut plus parler ?», s’interroge-t-elle.

Les femmes se sentent dévalorisées si les hommes ne communiquent pas

Les raisons des problèmes au sein du couple ne manquent pas, certaines sont profondes, d’autres moins graves : éducation des enfants, relation sexuelle, dépenses financières, immixtion des parents dans la vie du couple… Des milliers de mariages se défont à cause de cela, mais il arrive que l’on se brouille pour des broutilles, et que l’un boude l’autre. M. Harakat, lui, conseille au couple de toujours «choisir le moment de communiquer, de discuter des choses importantes. Il faut apprendre à écouter l’autre, mettre ses susceptibilités de côté. Il nous arrive aussi de mal interpréter ce que veut dire l’autre, ou sa façon d’agir». Mais, ajoute-t-il, si la non-communication perdure, c’est que «le couple vit un sérieux problème».  
Dans son livre intitulé Le couple arabe au XXIe siècle, mode d’emploi (1ère édition 2010, imprimerie Decolor), Dr Amal Chabach, médecin thérapeute et sexologue, cite de nombreux témoignages de femmes et d’hommes mariés qui ne parlent que rarement entre eux, sinon pour se critiquer l’un l’autre. L’une de ces femmes raconte : «Il ne m’écoute plus. Cela a commencé juste après le premier mois du mariage, au moment où il m’a considérée comme acquise…Quand je vois un film dans lequel des couples s’écoutent, échangent, j’en ai les larmes aux yeux…». Zahia est frustrée par l’attitude de son mari : «Je me sens tellement dévalorisée et mise à l’écart. Mon mari ne me raconte rien de son travail. Je reste toute la journée seule, n’attends que le moment où il va rentrer pour pouvoir discuter avec lui. Ce qu’il trouve à me dire c’est qu’il est fatigué et que je l’embête avec les enfantillages».

Les témoignages de femmes qui se plaignent sont légion. Sont-elles plus émotionnelles, plus communicatives que les hommes ? Ces derniers seront-ils de nature moins bavards, plus rationnels, comme l’avancent certains ? Leur cerveau «ne fonctionne certes pas de la même manière», répond notre sexologue. «En tout cas, ajoute-t-il, la femme aura tendance à aller dans le détail, l’homme, lui, abrège, schématise». Cette différence de structure cérébrale pourrait être bien réelle, mais elle n’explique pas tout. Il faut apprendre à décrypter le message que l’autre veut passer pour savoir mieux communiquer avec lui. Selon Mme Chabach, «connaître et savoir comment communiquer dans le langage de l’autre et comment le décoder est l’un des secrets de l’entente mutuelle». Tout est question d’entente : les femmes auront plus besoin de tendresse et de présence de l’homme, pourquoi les en priver ? «Les hommes, eux, ont besoin d’encouragement et de reconnaissance de leur utilité, pourquoi leurs épouses ne veulent-elles pas le leur reconnaître ?», se demande la spécialiste du couple. Le livre de l’Américain Jean Gray intitulé Les hommes viennent de mars les femmes viennent de Vénus, (éd. Poche, février 2001), un best-seller, est justement une réflexion sur cette dichotomie de comportement entre l’homme et la femme, qui ne parleraient pas le même langage. Mars, dieu de la guerre, Vénus, déesse de l’amour. «Les deux sexes se ressemblent peu dans leur manière d’agir et d’exprimer leurs sentiments», avance cet auteur, d’où toutes les frustrations et les malentendus. N’exagérons rien, réplique Mme Chabach, et ne rentrons pas dans ces stéréotypes, genre «les femmes communiquent plus que les hommes et ces derniers sont des ours renfrognés».

Toute l’intelligence de l’homme est de savoir comprendre la psychologie de la femme, et la réciproque est vraie

Soyons plus réalistes, conseille-t-elle : «Un couple qui n’arrive pas à reconnaître ses besoins, à les exprimer, à les assumer et à être à l’écoute l’un de l’autre est en danger de déséquilibre, à court ou à long terme. Une mauvaise communication peut être à l’origine comme elle peut être la conséquence d’un mal-être conjugal. Au fait, ce n’est que la partie externe et visible de l’iceberg».
Jean Gray, qui a mis en exergue cette différence de tempérament, ne conclut-il pas lui-même dans son best-seller que cette dernière «pourrait être plutôt une source d’enrichissement que de conflit». L’homme aussi, à n’en pas douter, a besoin de communiquer, peut-être autrement, mais il en a besoin.

Othmane T., 50 ans, 25 ans de mariage, n’est pas du genre bavard, mais il ne peut se passer de sa femme quand il s’agit de communiquer sa joie, sa tristesse, ses projets, ses déplacements de travail… Attitude que beaucoup d’hommes qualifient de faiblesse, comme quoi devant l’épouse, il faudrait selon eux rester stoïque, ne laissant dégager le moindre sentiment. Des balivernes, rétorque Othmane. «A qui pourrais-je en parler si ce n’est à ma femme. Je trouve d’ailleurs en elle une écoute attentive. Je n’ose pas le faire face à mes amis, ils m’écoutent d’ailleurs distraitement. J’avoue qu’avec le recul, je trouve les opinions de ma femme non dénuées de raison, sur beaucoup de sujets». L’écoute-t-elle, lui aussi, au moins ? «Pas toujours, avoue-t-il, vu le rythme de mon travail. Mais il m’arrive de lui consacrer toute une soirée pour me raconter ce qu’elle veut. Je l’invite à manger dans un restaurant et je l’écoute. Ça lui fait plaisir, pourquoi l’en priver ?», concède-t-il.
La psychologie de la femme est certes différente de celle de l’homme, pour suivre le raisonnement des psychologues de couples, mais toute l’intelligence de l’homme est de savoir l’apprivoiser, et la réciprocité est vraie. Sauf quand il s’agit de machistes qui ne trouvent leur plaisir et leur virilité qu’en dévalorisant la femme. Notre société en regorge. C’est le cas de ce couple marié depuis 30 ans, le mari est retraité, son épouse travaille toujours. Cette dernière est tellement habituée pendant toutes ces années de vie commune aux sarcasmes dévalorisants que son mari profère à son égard qu’elle finit par l’accepter tel qu’il est, quitte à ce qu’ils ne communiquent plus des semaines durant. Leurs enfants ont grandi et sont partis faire chacun sa vie. «Elle a fini par accepter d’être écrasée pour le seul besoin de ne pas perdre son homme, même s’il ne daigne plus lui parler. D’ailleurs, le soir, il est souvent à l’extérieur de la maison avec ses copains pour regarder des matches de foot», raconte une amie du couple. Là, «le malaise est grave», commente M. Harakat, et la non-communication en est une conséquence.

«Quand un homme et une femme décident de vivre ensemble, il y a des ajustements et des concessions à faire d’un côté comme de l’autre. Dans un couple, il faut toujours savoir comment huiler la machine pour qu’elle ne se grippe pas. On apprend à déchiffrer les non-dits de l’autre. Mais pour que la machine continue de tourner, il faut respecter l’autre quelles que soient les dissensions pour ne pas commettre l’irréparable», conclut le psychothérapeute du couple.