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Société

Karkoubi, kala, colle, haschich… L’enfer des drogues dans les écoles publiques

La palette des drogues consommées par les collégiens et lycéens s’élargit de plus en plus. Dans les quartiers aisés, on prend même de la cocaïne. La dépendance aux drogues se féminise et l’à¢ge de la première prise est de plus en plus bas.

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Le fléau des drogues dans les écoles publiques est en train de se propager à une vitesse inquiétante. «On assiste aujourd’hui à une dépendance de plus en plus grande à la drogue chez les collégiens et lycéens, dans les quartiers populaires comme dans les zones aisées. C’est juste que chez les pauvres, ce sont des produits comme le maâjoun, le cannabis, mahia (eau de vie) et les psychotropes qui prévalent. Alors que chez les riches scolarisés, on retrouve bien sûr le cannabis, mais également et de plus en plus de la cocaïne», lance, d’emblée, Abdessamad Tahfi, coordinateur de la Caravane de la lutte contre les psychotropes. Et il sait de quoi il parle. Au sein de la caravane, dont les locaux sont situés au cœur du quartier Hay Mohammadi, les militants ont multiplié les actions de sensibilisation, particulièrement dans les quartiers populaires de Casablanca, à Sidi Bernoussi, Aïn Sebaâ, Hay My Rachid, Sidi Othmane et bien sûr Hay Mohammadi. «Nous avons organisé des séances de sensibilisation dans les collèges et lycées pendant plus de trois ans. Mais cela reste insuffisant quand on voit comment le phénomène s’est amplifié ces dernières années», ajoute le militant associatif. En clair, l’âge d’initiation aux drogues chez les enfants scolarisés a sensiblement baissé. Le phénomène s’est féminisé et la palette de drogues consommées s’est élargie. A côté du cannabis et de l’alcool, on trouve les psychotropes, le maâjoun mixé à de l’haldol (psychotrope liquide), la kala (poudre noire que les usagers roulent dans une feuille et placent contre la gencive) ou encore la colle à rustine et autres solvants… Les méthodes de commercialisation des drogues chez les collégiens et lycéens ont aussi évolué. «Les dealers utilisent des collégiens pour vendre de la drogue à l’intérieur de l’établissement scolaire. Ils peuvent également s’improviser vendeurs de cigarettes au détail ou marchands ambulants à proximité de l’école. Des ex-collégiens ou des ex-lycéens font circuler du maâjoun et du shit à proximité de l’établissement où ils étaient auparavant scolarisés», explique Abdelkabir Assi, également membre de la Coordination. Un constat que l’étude sur «L’usage des drogues en milieu scolaire marocain» (voir encadré) confirme.  

La drogue, facile à acheter même pour les enfants

A 12 ans, Yassine est collégien. Il est également le plus jeune militant de la Caravane de la lutte contre les psychotropes. Il est pour ainsi dire «les yeux» de la caravane dans cette institution. L’association compte en son sein plusieurs de ces jeunes qui lui permettent de mettre à jour ses informations sur la prévalence de la drogue dans les établissements scolaires. «Garçons et filles consomment cigarettes, nefha, kala, haschich, karkoubi… La drogue est disponible dans les quartiers avoisinants, à Douar Wasti et Derb Moulay Cherif», raconte Yassine. A proximité du collège se trouve «sekka», là où passe le train qui relie Casablanca à Rabat. Sur ce terrain vague se regroupent les collégiens et collégiennes afin de fumer un joint et consommer du maâjoun loin des regards. «Il est très facile de se procurer le maâjoun dans les immeubles Castor ou à Saka Safra (à Hay Mohammadi). Là, les dealers en vendent même aux enfants», ajoute Yassine. Les collégiens en consomment même à l’intérieur de l’institution, histoire de faire passer le temps plus facilement.

Les professeurs et le personnel des établissements scolaires semblent dépassés par le phénomène. Et ils sont conscients de ce qui se passe à l’extérieur. «Les parents ne jouent pas leur rôle de contrôle et nous n’avons aucune autorité sur les collégiens hors de l’espace de l’institution. Et puis les enfants sont de plus en plus violents. Ce sont tous des enfants qui ont grandi dans la violence et qui n’hésitent pas à en faire usage. Il y a de plus en plus d’enseignantes qui sont escortées par les gardiens afin d’échapper à la colère d’un collégien sous l’emprise de la drogue», déplore cette professeure de français dans un des collèges du Hay.

Le plan d’urgence 2007/2012 du ministère de l’éducation nationale avait prévu des mesures pour réduire l’abandon scolaire, occasionné entre autres par la délinquance et la consommation précoce de drogues. Il avait prévu aussi la création de clubs de citoyenneté et surtout de cellules d’écoute à l’intérieur des établissements scolaires, afin de faire face, entre autres, à l’addiction aux drogues chez les adolescents scolarisés. «Ce sont des initiatives qui reposent sur le volontariat des enseignants. Or, les enseignants sont peu enclins à troquer des activités plus lucratives comme les heures supplémentaires pour un travail qui ne va rien leur apporter», explique Abdelkader M., économe dans le même collège. Dans des quartiers où la rue s’apparente plus à une jungle qu’à un espace urbain sain, les collèges et les lycées ne font que donner un aperçu de cette réalité. Les professeurs évitent de parler aux étudiants par peur de représailles. «La violence est partout. L’enfant grandit en subissant la violence des parents. Les collégiens vivent dans des bidonvilles où le mot intimité n’a pas de sens. Ils suivent les cours dans une école publique qui a cessé depuis longtemps de jouer le rôle d’ascenseur social. Une carrière de guerrab ou de dealer devient plus attractive que des études qui débouchent sur un diplôme sans aucune valeur sur le marché du travail», témoigne l’économe.

Vols à l’arraché et prostitution bas de gamme

Pour les collégiens et lycéens, la dépendance mène à la délinquance et donc à plus de violence. «Nous avons recensé des meurtres perpétrés par des lycéens pour avoir de quoi acheter de la drogue, sans parler de la petite criminalité comme le vol à l’arraché. D’ailleurs, on constate la montée de la violence chez les adolescents scolarisés sous l’influence du cocktail karkoubi et eau de vie, lors des matchs de football ou à l’occasion de festivals. Les actes de vandalisme touchent les stades, les bus et bien sûr les écoles», souligne M. Tahfi. Et d’ajouter : «Les filles s’adonnent à la prostitution bas de gamme afin de se procurer de la drogue. Parfois, une fille scolarisée devient l’esclave sexuelle du dealer qui lui fournit sa dose». Le militant associatif pointe du doigt les cafés de chicha, les accusant d’être des lieux d’initiation à la prostitution.

Pour avoir sillonné le Maroc, les militants de la caravane attestent de la propagation de ce phénomène dans les autres villes du pays. «Chaque ville a ses particularités et chaque quartier ses drogues. Mais aucune ville n’est épargnée par ce phénomène. C’est surtout valable dans les quartiers populaires qui souffrent de l’absence d’espaces dédiés à la culture et où la drogue devient le seul moyen d’échapper à une réalité pesante», déplore M. Tahfi.
Que faire alors ? «Nous avons besoin d’un partenariat entre la société civile et les établissements scolaires afin d’attaquer le problème de front. L’approche sécuritaire est importante : il faut une brigade spéciale qui puisse adopter une stratégie spécifique au phénomène de la drogue dans ce milieu. Nous avons également besoin d’assistantes sociales attachées aux écoles publiques afin de suivre les cas difficiles ainsi que des centres d’écoute effectifs», conclut M. Assi. Des propositions qui rejoignent la batterie de recommandations proposées par les rédacteurs de l’étude «L’usage des drogues en milieu scolaire marocain» : depuis les actions de sensibilisation et d’amélioration des connaissances jusqu’à la détection des premiers signes de l’usage, en passant par les soins et la prise en charge des usagers, sans oublier les incontournables dispositions légales. C’est de cela que dépendra l’avenir d’une école publique encore en attente de réhabilitation.

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