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Société

Familles monoparentales au Maroc : divorcés, comment ils élèvent leurs enfants seuls

Après le divorce, les pères dénoncent des lois qui les désengagent de l’éducation de
leurs enfants.
Les femmes sont souvent désemparées et ont du mal à  communiquer avec leurs enfants.
Les plus désorientées se dirigent vers des ONG, en quête d’une aide juridique ou une écoute, un appui psychologique.

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Nous vivons une drôle d’époque où le métier de papa ou de maman peut être un travail à plein temps, à mi-temps, parfois même occasionnel… Souvent, après la séparation des couples, un nouveau mode de vie familiale s’impose. Les discriminations du système socio-judiciaire en matière de ruptures d’union provoquent d’immenses souffrances, tant chez les pères, les mères que chez les enfants. Après un divorce, les enfants restent avec la maman. Les mères qui ont toujours vécu sous tutelle masculine se retrouvent chefs de famille….du jour au lendemain, elles n’ont plus d’appui, souvent désemparées financièrement, elles sont fragilisées tant sur le plan psychologique que d’un point de vue purement économique. Par ailleurs, le sens de la responsabilité et de la disponibilité paternelle qui se développe dans notre société trouve ses limites après les ruptures d’union. Garantir une relation «normale» entre le père et l’enfant après une séparation n’est pas chose évidente. Les pères ont un droit de visite une fois par semaine. «Mais il n’est pas rare que les pères n’exercent même pas ce droit», relève Me Hariri Abdelmounaim, avocat à Casablanca. Des papas qui se dérobent ça existe ! D’autant plus qu’il y a un contexte favorable à cela. Les lois, les pratiques et les procédures de séparation génèrent souvent des ruptures prolongées entre le père et ses enfants. Le père exerce généralement des droits de visite et parfois d’hébergement  (pour les enfants de plus de 7 ans avec consentement de la mère), définis par la loi, ce qui ne lui permet pas de s’investir dans la vie quotidienne de l’enfant et de participer correctement à son développement, même si celui-ci habite à proximité. Garder ce lien dépend du bon vouloir de la mère et parfois les enfants sont pris en otages entre les deux parents. Alors comment s’organisent ces nouvelles familles monoparentales ? Quelle est la nouvelle place que détiennent les enfants ? Mais qui commande à la fin et qui est garant de la stabilité familiale ?
«Je place le bien-être de mes enfants au-delà de toute considération», disent en général les parents divorcés. Mais en réalité, cette formule est loin d’être appliquée au quotidien. «Mes enfants vivent avec moi mais ils vont voir leur père dès qu’ils le souhaitent», témoigne Loubna, chef d’entreprise et maman de deux enfants, divorcée depuis 5 ans.

Papa à mi-temps et maman à plein temps

La garde des enfants au Maroc revient systématiquement à la mère, «et il est rare que celle-ci n’exerce pas ce droit», précise l’avocat. Pourtant Loubna a dû se battre pour mériter son rôle de maman. «Mon ex-mari n’a pas supporté le fait que je demande le divorce. Il a tout fait pour me pourrir la vie et me séparer de mes enfants. Pour arriver à ses fins, lui et ses avocats ont essayé de salir ma réputation et de jouer sur la seule carte qu’ils détenaient : celle des mœurs. J’ai vécu pendant six mois dans cette peur. Je ne faisais qu’aller au bureau et rentrer chez moi avant la tombée de la nuit. Je ne voyais personne, je ne sortais pas, j’étais complètement isolée et j’ai fini par céder, je lui ai laissé les filles… Finalement il me les a rendues quelques mois plus tard, mais je ne prends jamais (seule)de décisions concernant mes filles, leur père s’y implique toujours».

Elever les enfants, se battre pour une pension alimentaire ou aller travailler ?

Comme toujours ce sont les plus démunis qui souffrent le plus en cas de séparation. Les femmes analphabètes, mères avant tout mais désargentées surtout, doivent faire face à plusieurs paramètres pour élever leurs enfants. Les plus désemparées se dirigent vers des ONG comme la Fédération de la ligue démocratique des droits de la femme (FLDDF) avec balluchons, biberons et bébés sur le dos. Elles sont là en quête d’une aide juridique ou une écoute, un appui psychologique. Les femmes divorcées, en procédure de divorce ou abandonnées par leurs maris cherchent un réconfort, «un mot», «un conseil» pour sauver leurs enfants qu’elles «n’arrivent pas à éduquer toutes seules», une phrase leitmotiv.  
«Mon cœur déborde de chagrin, il n’y a plus de place pour régler les problèmes», martèle Aïcha, 53 ans, divorcée depuis quelques mois, mère de trois enfants dont une fille (en instance de divorce). Aïcha a du mal à s’occuper de son dernier fils. «Il se drogue, déplore-t-elle. On lui vend du poison à deux dirhams qu’il met comme du tabac à priser dans sa bouche, on appelle ça el cala, du coup il a délaissé ses études, a de mauvaises notes, et un avenir plus obscur que jamais». La femme déroutée cherche une aide, une solution. Le père reste absent. Elle ne trouve plus les mots pour raconter son histoire, ses mots sont souvent très durs. Depuis que ses conditions de vie ont changé, Aïcha s’est retrouvée dans une situation déplorable, obligée d’habiter chez sa sœur, elle et ses enfants, dont un asthmatique incapable de travailler. Malheureusement, ce cas n’est pas isolé. Elles sont nombreuses à venir voir la psychologue pour un conseil, un réconfort.  A la cellule d’écoute de l’association, on tend un mouchoir, pour essuyer les larmes, on se sert des mots apaisants pour le cœur mais surtout de véritables actions pour que les choses changent. Et il est grand temps que ça change ! Khadija Tikerouine, juriste, accueille ces femmes, les orientent. «Les femmes que nous recevons ici sont désemparées. Elles ont la garde de leurs enfants mais n’ont pas les moyens de les élever convenablement.  Nous essayons de leur apporter un aide psychologique pour qu’elles soient fortes et qu’elles soient capables à leur tour de continuer à jouer leur rôle de mamans…», explique-t-elle. Mais les moyens de la ligue ne sont pas suffisants. Khadija n’a pas trop le temps de discuter, elle accueille Nadia, 30 ans, deux enfants (8 et 5 ans). La jeune femme a quitté le domicile conjugal suite à des menaces de son mari. Du coup, elle retourne chez ses parents mais pour subvenir aux besoins de ses enfants, il faut qu’elle travaille. «J’ai une formation en cuisine mais je ne sais pas comment je vais faire pour m’organiser. Ce sont des horaires difficiles à gérer pour une mère, on ne finit pas avant minuit. Qui va s’occuper de mes enfants, de leur école ?» Les femmes doivent en effet faire face aux contraintes liées à leur situation de mères seules, la garde d’enfants en particulier et souvent l’impossibilité de compter sur le revenu d’un conjoint pour subvenir aux besoins de la famille. Il paraît évident qu’une réforme réelle et profonde est nécessaire et urgente. Les lois ne sont pas toujours très précises, les magistrats jugent selon des supputations personnelles. Les répercussions sociales en sont parfois très graves.  
Cependant, lorsqu’on passe d’un milieu social à un autre, les priorités changent. Alors que certains ont un souci quotidien de survie, d’autres essayent de continuer à vivre, «normalement» et de garantir l’équilibre de leurs enfants. C’est-à-dire assurer l’éducation, le suivi des devoirs et même programmer des vacances… «Je ne m’oppose jamais si le père de mes enfants veut les avoir pour tout le week-end ou pour les vacances. Mes enfants ont besoin d’un repère, de leur père, cela est indiscutable», témoigne Karima, 27 ans, institutrice. Les femmes qui vivent dans la situation de Karima doivent souvent être présentes sur tous les fronts. «Quand on vit seule avec ses gamins, on est maman et papa à la fois. On essaye, bien sûr, d’expliquer les choses comme on peut mais ce n’est pas toujours facile de trouver les mots quand nous-mêmes nous avons du mal avec cette nouvelle situation. Quand mes enfants me posent des questions sur le divorce, je ne sais pas quoi leur répondre. Je dis souvent que c’est une affaire de grands et que s’ils veulent me faire plaisir ils devraient avoir de bonnes notes à l’école. C’est la meilleure des récompenses pour une maman de voir réussir ses enfants. J’essaye de combler le vide du père par des sorties le week-end, surtout s’il ne le fait pas. Je le remplace comme je peux mais, parfois, je suis fatiguée de tricher tout le temps», renchérit-elle.
«J’avoue que c’est mon ex- mari qui s’occupe du côté matériel dans l’éducation de ma fille. A moi seule je ne pourrai pas lui payer l’école», confie Amal, jeune maman de 32 ans. Et de poursuivre : «Mais sa collaboration s’arrête là. C’est moi qui assure le suivi de tous les jours : j’accompagne ma fille à l’école, je dois gérer ses problèmes avec ses professeurs, ses camarades…, tous les petits bobos du quotidien, c’est la maman qui encaisse et c’est d’ailleurs cela qui renforce notre relation. Je m’implique à tous les niveaux mais j’avoue que ça n’a rien de nouveau, ça a toujours été comme ça, même avant le divorce».

Papa gâteau, ça existe aussi !

On parle souvent de lois discriminatoires en faveur des femmes mais les hommes souffrent aussi de l’éloignement de leurs enfants et n’ont pas les possibilités juridiques de s’en occuper. Avant 1993, la garde des enfants revenait à la mère d’abord et puis à la grand-mère maternelle avant d’échouer au final au père. Ce que les hommes ont dénoncé et à juste titre. «On déresponsabilise les pères. Ce sont des lois sexistes», déclare Moussa, 53 ans, père de deux enfants. Après son divorce, le père de famille s’est occupé de ses deux enfants adolescents (15 et 19 ans), pendant deux ans. Il considère que «la grand-mère ne peut pas remplacer le père. Les enfants ont besoin de leur cadre habituel, de rester chez eux, dans leur quartier avec leurs copains, ne doivent pas changer d’école. Après le divorce, il ne fallait surtout pas les déstabiliser davantage. Je me suis occupé d’eux comme je l’ai pu. Dès le départ, j’ai dû leur conseiller de penser d’abord à eux, d’être égoïstes. Ce qui se passait entre les adultes ne devait affecter leur relation ni avec l’un ni avec l’autre des parents. Bien sûr, ce n’était pas toujours facile, surtout à cet âge-là… mais on s’est débrouillé comme on a pu. Ce que je veux souligner, par contre, c’est que la rupture avec mon ex-épouse, ne nous a pas empêché de prendre les décisions à deux. On se parlait au téléphone quand la situation l’exigeait. ça nous est même arrivé de nous voir et de nous réunir tous avec les enfants pour discuter quand il y avait des problèmes».
A travers ces quelques témoignages, on se rend vite compte que la justice familiale a du mal à réaliser un équilibre «démocratique» au sein de la famille et à réguler les excès mais la justice c’est d’abord une question de conscience personnelle !

Le chef de famille n’est plus !

Selon une étude du Haut commissariat au plan (HCP), «Projections de la population et des ménages du Maroc par milieu de résidence», 83% de chefs de ménage sont de sexe masculin, contre 17% de femmes. Mais la projection à l’horizon 2030 prévoit une augmentation du nombre des ménages à prédominance féminine. Même si les hommes ne comptent pas lâcher de sitôt la bride, ils se font rattraper par les femmes. 21,6% des familles seront dirigées par des femmes contre 78% par des hommes. On voit bien que le patriarcat a encore de beaux jours devant lui, même si les familles monoparentales à composante féminine progressent. Par ailleurs, la taille moyenne des ménages est en train de rétrécir, elle est de 5,9 personnes, elle sera de 4,2 en 2015.