Société
Droit à l’information au Maroc : l’Exécutif devrait revoir sa copie
L’avant-projet de loi sur le droit d’accès à l’information est jugé bon, mais devrait être amélioré et enrichi. La disposition qui écarte les étrangers de ce droit est jugée inconstitutionnelle, de même que l’élargissement du secret aux politiques publiques en cours d’élaboration.

Le 26 mars 2013, le gouvernement a rendu publique, via le site de son Secrétariat général (SGG), l’avant-projet de loi (n° 31-13) relatif au droit d’accès à l’information. Après un mois de débat et de commentaires sur ce texte, la balle est maintenant dans le camp du gouvernement qui devrait rectifier le tir en s’inspirant des remarques et des recommandations qui lui étaient adressées, et présenter au Parlement un projet de loi qui éviterait les multiples failles que recèle son avant-projet de loi. Notons d’abord que ce texte est venu dans le sillage de la Constitution de juillet 2011, dont l’article 27 stipule : «Les citoyennes et les citoyens ont le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique, les institutions élues et les organismes investis d’une mission de service public. Le droit à l’information ne peut être limité que par la loi, dans le but d’assurer la protection de tout ce qui concerne la défense nationale, la sûreté intérieure et extérieure de l’État, ainsi que la vie privée des personnes, de prévenir l’atteinte aux droits et libertés énoncés dans la présente Constitution et de protéger des sources et des domaines expressément déterminés par la loi».
Il faut rappeler qu’avant même cette nouvelle loi fondamentale, partis politiques, société civile et journalistes de tout bord n’ont cessé de revendiquer une loi à même d’assurer à tous les citoyens un droit de regard et de contrôle de l’action gouvernementale pour savoir comment et quand les décisions à tous les échelons de l’Etat sont prises et mises en œuvre. Et si une pression aussi forte en faveur de cette loi s’est exercée durant plusieurs années, c’est que l’état des lieux laissait à désirer : un sérieux problème de communication a toujours prévalu entre les agents publics de l’Etat, les médias et les citoyens. Cela étant dit, soulignons aussi que le ministère de la fonction publique et de la modernisation de l’administration (MFPMA), dans la préparation de cet avant-projet de loi, n’est pas parti de rien, mais il avait entre les mains un paquet de propositions et de recommandations, auxquelles il s’est référé plus ou moins d’ailleurs, dont la plateforme présentée en 2009 par l’Instance centrale de la prévention de la corruption (ICPC). Ladite plateforme a mis l’accent notamment sur la nécessité de modifier l’article 18 du statut général de la fonction publique relatif au secret professionnel, et l’accélération de la mise en œuvre du programme de l’administration électronique (e-gov).
Selon la Constitution,les étrangers jouissentdes mêmes libertés reconnues aux Marocains
L’ICPC a d’ailleurs été consultée par la commission interministérielle qui a planché sur ce projet de loi, dont l’élaboration a été faite en concertation aussi avec les experts internationaux, tels que Toby Mendel, directeur du Center for law and democracy (CLD). Et Abdeslam Aboudrar, président de l’ICPC, avait appelé (au moment où son instance s’apprêtait à présenter ses propositions au gouvernement Benkirane) à plus de transparence afin de donner le droit aux faiseurs d’opinion d’interpeller quand ils veulent les acteurs publics et privés pour que les citoyens aient accès aux informations, pour pouvoir leur tenir rigueur dans leur gestion, notamment la gestion des deniers publics. «Qu’on définisse une fois pour toutes, et avec précision, avait-il indiqué, les domaines où il doit y avoir secret. La liberté de diffuser l’information doit devenir la règle, sa rétention l’exception, et partout dans le monde il y a des exceptions» (La Vie éco du 8 juin 2012).
L’avant-projet de loi a-t-il pris en considération cette exhortation ? Que pensent les acteurs de la société civile de cette première mouture du projet de loi ? Eux qui se sont toujours mobilisés en faveur de ce droit d’accès à l’information et réclamé non seulement que le gouvernement revoie cet article 18 de la fonction publique qui impose la «discrétion professionnelle», et interdit de communiquer des documents administratifs aux tiers, mais aussi d’imposer des sanctions contre les agents publics qui refuseraient de fournir l’information.
D’emblée, disons que les acteurs de la société civile se félicitent de la philosophie à l’origine de l’élaboration de ce projet. «Il est assez avancé, disent-ils. Il exprime une nette volonté de rompre avec l’opacité du passé en réglementant ce droit conformément aux engagements du Maroc, surtout vis-à-vis de l’administration publique», ajoute Mohamed Nachnach, président de l’Organisation marocaine des droits de l’Homme (OMDH). Néanmoins, s’il est manifeste (et le préambule de l’avant-projet le rappelle) que le gouvernement a voulu être conforme à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits civils et politiques, et à l’article 10 de la convention de l’ONU relative à la lutte contre la corruption, il n’en demeure pas moins que l’avant-projet pèche par quelques imperfections qu’il faudra corriger. Ainsi en est-il, d’abord, du passage de l’article 2 du projet qui mentionne que «tout citoyen, citoyenne et personne morale, assujettis au droit marocain, a le droit d’accès à l’information et aux documents détenus par les instances concernées, et ce, conformément aux dispositions de la loi».
Cette disposition est jugée «inconstitutionnelle» tant par l’OMDH, l’ICPC, Transparency Maroc (TM), que par le Réseau marocain pour le droit d’accès à l’information (REMDI), un collectif d’associations créé en 2010. Une disposition inconstitutionnelle, en effet, par rapport à l’article 30 de la loi fondamentale, qui stipule que «les étrangers jouissent des libertés fondamentales reconnues aux citoyennes et citoyens marocains, conformément à la loi». Il est donc demandé au gouvernement d’«élargir le champ d’application du projet aux personnes sus-indiquées», recommande l’ICPC.
Deuxième reproche, d’une extrême importance celui-là : le fait d’élargir les restrictions à un certain nombre de domaines pour en faire un black-out. Or, l’article 27 de la Constitution ne fait exception que de trois domaines sur lesquels aucune information ne peut être divulguée : la protection de tout ce qui concerne la défense nationale, la sûreté intérieure et extérieure de l’État ainsi que la vie privée des personnes.
Treize domaines sont exclus du droit à l’information
L’avant-projet de loi va au-delà, il est beaucoup plus restrictif, puisque son article 19 ne mentionne pas moins de dix autres secteurs ne devant fournir aucune donnée (outre les trois domaines cités par la Constitution.) Il s’agit des données relatives aux : «droits et libertés essentiels mentionnés par la constitution», «délibérations des conseils des ministres et du gouvernement», «relations avec un Etat tiers ou une organisation internationale», informations pouvant porter préjudice à la «capacité de l’Etat à gérer sa politique monétaire, économique et financière», «politiques publiques en cours de préparation qui ne nécessitent pas des consultations avec les citoyens», «marche des procédures judiciaires», «enquêtes et investigations administratives», «droits de propriété industrielle et droits d’auteur», «concurrence légitime et intègre», «sources des données».
Pour l’ICPC d’Abdesslam Aboudrar, l’exception des politiques publiques en cours d’élaboration constitue «une contradiction flagrante avec les dispositions de l’article 13 de la Constitution qui incitent les pouvoirs publics à faire participer les différents acteurs sociaux dans l’élaboration des politiques publiques, leur mise en œuvre, leur exécution et leur évaluation». Un autre article de l’avant-projet de loi (le 39) a suscité les plus vives critiques, il concerne la-non poursuite des personnes qui s’abstiennent «de bonne foi» de transmettre les informations demandées. L’ICPC demande de «supprimer cet article» purement et simplement, sans ajouter de commentaire. La formule «bonne foi» est «subjective et ouvre les portes à toutes sortes de rétention de l’information», remarque M. Nachnach.
Une autre critique formulée concerne la commission nationale de garantie du droit d’accès à l’information.
Pour le REMDI, mais aussi pour Transparency Maroc, les dispositions relatives à cette commission sont floues par certains aspects. Abdallah Harsi, professeur de droit public à Fès et membre du Conseil national de transparency Maroc, en a fait une analyse. «On ignore, dit-il, tout du statut juridique des membres, de la durée du mandat, des indemnités, de l’incompatibilité avec d’autres fonctions. L’avant-projet de loi ne précise pas qui nomme le président de la commission». Et d’ajouter que le texte n’indique nulle part que cette commission dispose de «l’autonomie financière et administrative, chose qui garantirait son indépendance. Certains corps n’y sont pas représentés, alors qu’ils devraient l’être : avocats, professionnels des médias, par exemple. Enfin, la désignation du représentant de la société civile par le président du CNDH est choquante et porte atteinte à l’identité de la société civile reconnue par la Constitution».
La balle est donc dans le camp du gouvernement auquel les acteurs de la société civile demandent d’améliorer et d’enrichir la copie.
