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Société

Déraillement du train à Bouknadel : le récit des rescapés

« Un homme s’est levé instinctivement pour essayer de voir ce qui n’allait pas. l’instant d’après, je l’ai vu voler. Oui, voler. il a heurté le plafond ». Ce témoignage d’un étudiant, accoutumé à la navette comme une bonne partie de la population active de l’axe Rabat-Kénitra, ne relate qu’une scène de la terreur qu’ont vécu les passagers du TNR N°9. Il aura suffit de quelques secondes pour incruster dans leurs âmes et mémoires, peut-être à tout jamais, des scènes apocalyptique.

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drame bouknadel

La terreur est un sentiment bien difficile à saisir dans tout son spectre pour ceux qui ne l’ont pas expérimenté. Les passagers du train navette rapide N°9, coutumiers pour la plupart de la navette dans l’axe Casablanca – Kénitra, ont en fait l’horripilante expérience vers 10:20 de la journée du 16 octobre. La majorité des rescapés, spécialement ceux qui étaient dans les premiers wagons, rapportent des scènes apocalyptique, où les cris, le sang, la frustration et la peur de l’inconnu ont pris le dessus.

Parmi eux Nabil, un étudiant à l’Ecole Nationale de Commerce et de Gestion de Kénitra qui avait raté son train habituel, dont le départ a précédé de 20 minutes celui qui allait l’emmener à l’hôpital Moulay Abdallah de Salé, moyennant une escale tragique à Bouknadel. Encore sous le choc, il présente quelques ecchymoses « mais rien de grave », nous exprime-t-il, soulagé au vu du spectacle dont il a été témoin. « Je n’ai pas pu recevoir les soins dans la même journée, car tous les médecins avaient des cas d’une gravité avérée sous la main », nous dit-il. Les cas similaires à celui de Nabil, présentant des blessures relativement légères, ont été priées de revenir le lendemain (17 octobre), chose que ce dernier a fait. Le jour du drame, le va-et-vient incessant de tous les corps médicaux, des victimes et de leurs familles ont donné à la place une allure d’un hôpital de guerre. La quasi-totalité des services étaient occupés par les blessés de Bouknadel.

« Le train était bondé. Je suis monté derrière, mais j’ai remonté les wagons à la recherche d’une place vacante », se rappelle-t-il, « mais il y avait des gens debout partout dans le train ». Avant de poursuivre, Nabil nous confie qu’il ne veut plus remonter dans un train de sa vie, et nous décelons le stress dans sa voix. Il décrit ensuite l’instant où tout a changé pour lui, du moins psychologiquement. « Le train roulait à une grande vitesse au moment des premières secousses. J’étais connecté sur Facebook quand on était arrivé à un virage sinueux, mon ventre a violemment heurté un accoudoir. Les passagers de mon wagon ont senti que quelque chose ne tournait pas rond. Je me rappelle qu’un homme s’est instinctivement levé de sa place pour essayer de voir, comme nous tous, ce qui n’allait pas. l’instant d’après, je l’ai vu voler. Oui, voler. il a heurté le plafond. Je ne l’ai pas revu depuis car tous le monde a été pris de panique. Je nous voyais depuis les fenêtres nous éloigner des rails au milieu des puissantes secousses, le train se frottant à la terre jusqu’à son arrêt »… Un moment de silence s’en suit.

 » Le cri d’un de mes camarades de classe raisonne encore dans mes oreilles. Une fois que le train s’est arrêté, on entendait « Allahu Akbar » partout. Encore sous le choc, j’ai cherché mon téléphone, mon cartable et mon portefeuille, mais je ne les ai pas trouvés. A coté de moi était une fille dont la jambe s’est tordue d’une manière bizarre, elle est devenue amorphe… Les gens essayaient tant bien que mal de se relever. Le wagon était penché, et il fallait produire un effort pour en sortir. On a quand même pu briser les vitres au dessus de nous. Les personnes d’un certain âge avaient besoin d’assistance pour en sortir, et certains rescapés qui n’avaient heureusement pas souffert de blessures majeures les ont aidés. A ma sortie, le spectacle était désolant. J’ai vu une personne coincé dans la locomotive (qu’il assimile au conducteur), le sang coulant de sa tête. Seules ses mains bougeaient, cherchant à se libérer. Je me suis assis en attendant les secours qui sont venus 20 ou 25 minutes après. »

A l’hôpital Moulay Abdellah, les familles étaient alignées devant les portes des différents services, où les blessés restants recevaient toujours les soins dans la journée du 17 octobre. La visite étant interdite, ils se contentaient d’attendre et de demander périodiquement des nouvelles de leurs proches. La porte ne s’ouvrait que pour laisser passer un personnel du corps médical, ou faire sortir une victime soignée. Parmi ces dernières, nous avons parlé à Mohcine, commerçant de profession qui comptait faire des provisions à Kénitra le jour de l’incident. Le trentenaire a souffert d’une contorsion à la main et de quelques blessures un peu partout. « Heureusement, j’ai pu m’accrocher fixement à un pilier au moment des secousses. Ces dernières ont duré, peut-être 20 ou 30 secondes, ce qui a permis à plusieurs personnes comme moi de s’accrocher. Je remercie Dieu de n’avoir subi que ces blessures, car partout où je donnais de la tête, les visages, les cous, les vêtements… tout était maculé de sang. J’étais dans le troisième Wagon, celui qui s’était tordu. Encore sous le choc, j’ai vu des membres découpés.. excusez-moi mais je préfère ne pas trop me rappeler ces scènes », nous témoigne-t-il brièvement avant que sa famille ne l’entoure de nouveau et qu’ils prennent la sortie.

Les brefs témoignages recueillis par la suite sur place se ressemblent. Secousses, déraillement, sang et louanges à Dieu. Les rescapés que nous avons pu contacter corroborent les faits cités précédemment, ne voulant se rappeler que très brièvement de ces moments où ils ont frôlé la mort.

Haitam, inquiet pour certains camarades de classe blessés, était l’un des passagers du train précédent celui-ci. Nous avons voulu nous assurer auprès de lui de la véracité de l’information qui stipule que les passagers des trains matinaux avaient ressenti des secousses au même niveau que celui où l’incident a eu lieu. « Je n’ai jamais eu aussi peur pour ma vie en prenant un train qu’en ce jour-là. Nous avions ressenti des secousses qui ont fait valser plusieurs personnes. A notre arrivée à Kénitra, je me suis dirigé avec des dizaines d’autres passagers pour protester contre ce qui s’est passé et prévenir les responsables que les prochains TNR encouraient un grand risque, mais je n’ai pas eu l’impression que nos alertes aient été accueillies avec le sérieux exigé dans ce genre de situation. On nous a calmé. Et le reste, vous le connaissez bien ».