Société
Choisir un prénom pour son enfant : Entretien avec Rita El Khayat, Auteur de «Le livre des prénoms du monde arabe et musulman et les prénoms du Livre»
«Le prénom peut vraiment marquer le caractère de la personne qui le porte»

La Vie éco : On assiste ces dernières années à une floraison de prénoms : Sofia, Narimane, Fatine, Rayan, on se croirait au Moyen-Orient…
Si ça reflète quelque chose, c’est l’acculturation des parents de la génération actuelle. Beaucoup de prénoms ne sont pas effectivement du terroir marocain, ils viennent en grande partie d’Egypte, mais aussi du Liban, de Syrie, voire d’Iran et de Turquie. On rencontre de moins en moins de prénoms authentiquement marocains, comme Khnata, Zoubida, ou encore Fatima, Menana ou Hniya, ils sont tombés en désuétude. Ils sont supplantés par des Nariman, Malak, des Rayan et des Sofia. C’est l’effet de la mondialisation et du développement extraordinaire des technologies de communication comme la télé, Internet, sans parler des réseaux sociaux qui font rapprocher les individus et les cultures. Les prénoms n’échappent pas à cette frénésie. Il n’est donc pas étonnant qu’on entende des prénoms comme Rayan, Lina ou Nariman, presque plus de Keltoum, Rabéa, Latifa, Aïcha ou Halima.
Le Maroc n’est certainement pas le seul, on voit de plus en plus de prénoms arabes et musulmans donnés à des enfants en Occident…
Sans doute. Cela existe dans tous les pays du monde, maintenant des Italiens et des Français prénomment Omar. Aux Etats-Unis, n’en parlons pas, c’est du délire, on entend des prénoms comme Dior ou Loréal. Au-delà de la culture, cela dépend aussi des régimes politiques en place. Autant un régime fermé comme celui de l’Iran a une dictature des prénoms, autant un pays très ouvert comme les Etats-Unis a une liberté totale des prénoms, voire de l’anarchie. Le Maroc est aussi passé par cette dictature des prénoms dans les années 1990, pendant laquelle on imposait aux fonctionnaires de l’état-civil une liste de prénoms obligatoires pour tous, et où les prénoms amazighs étaient quasiment tous proscrits. Il faut rappeler quand même que le choix du prénom relève de la liberté de la personne, consacrée par l’UNICEF.
Votre dernier livre sur les prénoms est édité en France en 2007, qu’est-ce qu’il apporte de nouveau par rapport au premier édité au Maroc en 1996 ?
Le deuxième est plutôt descriptif, le premier, lui, apporte un éclairage anthropologique sur le sujet, notamment les prénoms amazighs. C’est un balayage des prénoms à travers les religions, les civilisations et les pays. Peu savent que des dizaines de prénoms que les Marocains eux-mêmes utilisaient sont d’origine biblique, il y en a qui sont encore en vogue comme Youssef qui renvoie à Joseph, Yahya (Jéovah)… D’autres qui ne sont plus, ou très peu, utilisés au Maroc, comme Daoud qui renvoie à David, Ibrahim (Abraham), sans parler de Isehaq (Isaac), Moussa (Moïse)…
Vous dites dans vos écrits que le prénom est un tatouage, qu’il sculpte la personne qui le porte. C’est votre côté psychanalyste qui parle…?
Le prénom peut vraiment marquer le caractère de la personne qui le porte, négativement ou positivement. Celui qui porte un prénom très rarement utilisé, susceptible de lui causer des ennuis, ou mal vu par les autres, fait tout son possible pour être à la hauteur. Il y a d’autres qui n’aiment pas du tout leur prénom, il est même pour eux une source de souffrance et de handicap, eux aussi s’emploient à s’imposer par d’autres qualités à la famille, à l’entourage et à la société.
