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Société

«Version Homme» et «Masculin»: un an déjà  qu’«ils» ont leur mag !

Il y a un an, «Version Homme» et «Masculin» naissaient
à un mois d’intervalle.
Commercialement, les projets tiennent la route mais le concept est encore mal
défini.
Parmi les annonceurs, le secteur auto est très présent ainsi que
les chaînes hôtelières, la téléphonie, les boutiques
de luxe et les enseignes s’adressant aux entreprises.

Publié le

Un bébé apparaissant, tête en bas, souriant, des poils sur le torse. C’était, en août 2002, la campagne de lancement au ton légèrement décalé du «premier magazine pur homme». Version homme était né. Le Maroc mariait alors son roi et S.M. Mohammed VI a fait, tout naturellement, la une du premier numéro. Le ton était donné. Son homologue Masculin n’allait pas se faire attendre longtemps : à peine plus d’un mois sépare la naissance des deux mensuels comme ce fut le cas, sept ans auparavant, pour les deux premiers féminins : Citadine et Femmes du Maroc.

30 pubs par mois… pas mal pour un mag qui débute

Pari réussi, donc, pour les deux mensuels pionniers qui affichent aujourd’hui, un an après leur naissance, une jolie santé.
Le sourire est radieux chez les hommes et les femmes du 26, boulevard Khattabi. Masculin (et résolument marocain!) se porte bien : des ventes en progression et, côté pub, pas de nuage à l’horizon! Et cela, malgré un marché plus restreint en raison de la multiplication des supports ces dernières années. «Nous avons un très bon staff commercial et une moyenne de trente pubs chaque mois», se félicite la rédactrice en chef, Bahaa Trabelsi. «Ce n’est pas si mal pour un mag qui débute !»
Même son de cloche et «bilan très positif» à Version Homme («premier magazine de l’homme marocain»). Pour son rédacteur en chef, Hicham Smyej, leur seule présence aujourd’hui sur le marché de la presse magazine est en soi une réussite. «La presse mag au Maroc n’est pas très développée et nous avons vu beaucoup de projets tourner court. Même sur le plan international, la presse masculine reste neuve. Très circonspects lors du lancement, nous pensons avoir trouvé aujourd’hui notre lectorat et être sur la bonne voie. Mais il faudra sans doute attendre encore deux ou trois ans pour juger plus concrètement…». Prudent…
«Entre 25 et 40 ans, voire plus de 50 ans, plutôt cadre supérieur, profession libérale, enseignant…», le lectorat est sensiblement identique chez nos deux jumeaux. Question de génération : les plus âgés restent attachés à la presse tabloïd. A contrario, les femmes, qui ont très vite adopté le format magazine, se retrouvent parmi les lecteurs de cette presse. Les hommes, trentenaires et quadras, sont les «plus accrochés». Ils appartiennent généralement à «une couche assez privilégiée de la société».

«Le sexe ? une force d’appel un peu trop facile»

Faut-il s’étonner dès lors d’un ton ou de sujets quelquefois un peu élitistes ? Le mot n’effraie pas Version Homme, qui n’hésite pas dans ses pages à présenter des tongs à plus de 1 000 DH ou des hôtels luxueux. Mais le mensuel se défend d’être un guide d’achat. «Nous souhaitons simplement tracer des tendances, donner quelques conseils», explique son rédacteur en chef. «C’est effectivement très élitiste. Mais le lecteur qui verra le costard à rayures Boss à 16 000 DH trouvera probablement le même modèle à Derb Ghalef pour 3 000 DH». 16 000 DH, 3 000 DH… on l’aura compris, cette presse ne s’adresse pas aux plus pauvres ! Les annonceurs l’ont bien saisi. Le secteur auto est très présent (Peugeot, Renault, Volkswagen, Jaguar…), comme les chaînes d’hôtels (Sheraton, Mövenpick, Salam…), la téléphonie, les boutiques et marques de luxe et nombre d’enseignes s’adressant aux entreprises (Maroc Express, Segena, RPur climatiseurs…).
Voitures, sport et femmes: serait-ce là la vraie combinaison gagnante ? C’est sur elle, en tout cas, qu’a misé Version Homme dès le début : «Nous parlons voitures, techno, téléphone… c’est de la conso mais les gens aiment ça. Les occupations classiques des hommes restent les voitures, le sport et les femmes, forcément».
Rien d’évident, pourtant, au regard de la diversité de la presse masculine dans le monde. Même si on met de côté la presse gay, les recettes de son succès sont plus que variées. Et quel point commun entre FHM et Vogue Hommes, entre Max et Optimum ? La presse masculine est en réalité un «fourre-tout» aux concepts éditoriaux des plus disparates.
Bien que très différents, nos deux mensuels – qui se définissent volontiers comme «magazines de loisirs» – restent le reflet des préoccupations traditionnellement classées, à tort ou à raison, comme masculines. Quitte d’ailleurs à empiéter sur d’autres genres de presse, comme la presse auto. Quoi d’étonnant, lorsque l’on connaît par exemple le passé de Hicham Smyej, fondateur de la revue Autonews ? Mais faut-il y voir également des concessions au marché de la pub ? Si Version Homme, qui accorde grosso modo la même place à ces sujets que son concurrent, rejette l’accusation, Masculin reconnaît devoir «composer» avec la pub. Comme dans la presse féminine marocaine, qui nous présente quelquefois d’étonnantes fiches techniques de voitures, chez nos deux concurrents masculins la frontière entre pub et rédactionnel peut sembler parfois bien floue. Exhibition de la dernière Renault Mégane II ou présentation de la chaîne des hôtels Kenzi… Pub ou info ?
«Je suis super bien là où je suis, libre et indépendant». Amale Samie est un journaliste heureux. Chez Masculin, il apprécie l’«audace» du directeur de la publication et la liberté de la ligne éditoriale. Pour cet homme aux idées libertaires, ce mensuel est à des années-lumière du «mag de luxe sur papier glacé pour écervelés drogués aux cosméto. C’est un mag qui informe, fait connaître le Maroc et ses problèmes. Et ici, pas de sujets tabous ! Tous les sujets peuvent être traités dès lors qu’il n’y a pas d’impossibilité technique», assure-t-il. Audacieux, le magazine l’est sans doute. En matière sexuelle par exemple, les questions de masturbation, sodomie, impuissance, adultère,… ont trouvé leur place dans les colonnes du mensuel. Si l’homme marocain moyen parle plus performance que sexualité proprement dite, il semble pourtant en demande d’information sur ce sujet. Le cahier «Oxygène», entièrement consacré à la sexualité, fait d’ailleurs la quasi-unanimité chez les lecteurs.
«Pour parler de sexualité, il y avait bien les pages noires de Femmes du Maroc, mais nous avons souhaité aller plus loin, explique Bahaa Trabelsi, rédactrice en chef du magazine. Et j’espère que nous pourrons bientôt parler d’homosexualité, de prostitution masculine… des sujets qui ont, il est vrai, quelquefois été traités, notamment dans la presse féminine, mais bien plus souvent “maltraités”, sous un angle moraliste et très “on ne sait rien alors on invite des psy qui nous parlent encore de perversion”. Il est temps de réhabiliter certaines choses et de parler de façon rigoureuse, scientifique». Masculin parle sans crainte de sexualité, des «islamo-fascistes» ou de l’alcool, réalisant par exemple des guides «vins» ou un dossier «bière»!
Le choix éditorial de Version Homme est, lui, différent. «Le sexe est une force d’appel un peu facile. Vouloir à tout prix casser des tabous, définir son journal comme toujours à contre-courant, c’est une définition bien pauvre et un aveu d’absence de ligne éditoriale réelle !», lance le rédac chef du magazine qui nie vouloir viser un journal en particulier. «Expliquer comment faire une bonne fellation alors que tout le monde en a vu des centaines sur TPS, je ne vois pas l’intérêt ! Ces sujets n’ont pour seul mérite que de n’avoir jamais été abordés. On gagne un peu en notoriété sulfureuse, et après ?» Au magazine on reconnaît préparer une enquête avec un institut sur les habitudes sexuelles des Marocains, mais le mensuel refuse de céder à la tentation «à la FHM» qui présente chaque mois une recette pour «la faire grimper au plafond !». La rubrique «Version femme» se contentera de quelques portraits de femmes, d’une pin-up… plutôt couverte et de propos, il faut bien l’avouer, quelquefois un peu machos.
Pas de révolution, donc, chez Version Homme pour l’instant ni dans les mois à venir! Au 13e étage de la tour des Habous, on opte plutôt pour «le changement dans la continuité». Pour son rédac chef, «la formule marche bien. L’ossature du magazine ne va pas bouger et l’amélioration de ce qui est est préférable à la recherche d’une quelconque formule magique !».
Masculin, en revanche, semble encore en quête d’identité. Sa maquette encore maladroite est un peu à l’image du bouillonnement et de l’enthousiasme qui animent la rédaction. A l’écoute de ses lecteurs récemment sondés, le mensuel connaîtra quelques repositionnements légers : « Nous nous acheminons doucement vers un magazine de plus en plus généraliste, ouvert aux reportages, aux sujets de société, aux sujets psycho-couple même».
«Un troisième ou quatrième magazine masculin renforcerait notre légitimité»
Fait révélateur, la demande de sujets politiques a été constatée chez les deux mensuels. Reste à savoir si elle sera prise en compte. «En tout cas, ce ne sera certainement pas la politique politicienne que nous servent les quotidiens !», prévient Amale Samie de Masculin qui a encore en tête le feuilleton formidable des mois de campagne électorale, «des coups de poignard dans le dos, de la peau de banane en tube, des retournements, … cinq blagues par circonscriptions électorales,… stop!».
Et la version électronique, c’est pour quand ? «Nous n’en voyons pour l’instant pas l’utilité. En tout cas pas sous la forme d’une reprise de la formule papier qui ne ferait que concurrencer le magazine et mobiliser des ressources», dit-on chez Version Homme. Nous préférons attendre que le format papier soit «sécurisé» pour reprendre le jargon militaire US». En revanche, le magazine étudie la possibilité de diffuser, à l’étranger, pour toucher, entre autres, le public MRE qui s’est montré très demandeur cet été. Masculin, lui, étudie la question et nous pourrions bien voir une nouvelle formule en ligne dans les mois qui viennent…
Y a t-il encore de la place pour d’autres magazines masculins ? «Pourquoi pas un troisième, avec une forte personnalité ? Il y a de la place pour tout le monde !, assure Hicham Smyej. Un quatrième, un cinquième ne ferait qu’accroître notre légitimité. Regardez ce qu’est devenue aujourd’hui la presse féminine au Maroc !»
C’est peut être précisément du côté de cette presse qu’il faut chercher des réponses, sinon des recettes. Une presse qui, au Maroc comme à l’étranger, a beaucoup d’avance sur la presse masculine. Elle a su se spécialiser, s’améliorer qualitativement et, souvent, s’ouvrir pour ne pas faire sombrer le lecteur dans l’ennui.
Quoi qu’on dise, ces deux types de presse, féminine et masculine, ont des parentés. Ce sont des presses qui peuvent très vite tourner en rond si elles n’y prennent garde et lasser le lecteur, n’offrant plus que du bavardage, de la «psycho de cuisine», du people…
L’expérience de la presse masculine en France est, à ce titre, instructive. Les éditeurs, en France, ont cru, un peu vite, avoir trouvé la poule aux œufs d’or. Pourtant, en 2000, ça a été la débandade dans la presse mâle ! Toute la catégorie dégringole. Men’s health perd ainsi en un an 50% de sa diffusion. Seul Max verra une augmentation de ses lecteurs, tandis que M Magazine, pionnier du genre, amorce sa plongée pour se retirer définitivement il y a peu. C’est que cette presse est souvent perçue comme bien plus futile que la presse féminine, engagée, comme elle l’est au Maroc, depuis des années, dans un processus d’émancipation des femmes. A cette presse masculine donc de trouver ses combats : affirmation d’une virilité positive, redécouverte hédoniste du corps, expression d’une masculinité en crise… ? Les orientations de cette presse sont infinies. Elles pourraient même rejoindre – et pourquoi pas ? – le combat des femmes
Yann BARTE
Version Homme est édité par Omnimedia. Le mensuel emploie une dizaine de salariés dont cinq permanents à la rédaction. Le tirage est de 15 000 exemplaires (dont 1 000 abonnés gratuits et 2000 vendus à la RAM). www.versionhomme.com
Masculin est édité par Jasmédia SARL. Le magazine emploie 19 salariés dont 6 permanents à la rédaction. Son tirage est de 15 000 exemplaires.
www.masculin.ma