Société
48 associations en réseau font bouger les quartiers de Casa
Créé en décembre 2003, le Réseau des associations de quartier du Grand Casablanca (Résaq) en est à son deuxième forum et 102 projets ont trouvé financement.
La nouvelle génération d’associations de quartier, en plus
du développement local, s’investit dans un travail de sensibilisation
aux valeurs de citoyenneté et de démocratie.
L’Etat s’appuyant sur
elles pour faire passer de nombreux projets, elles réclament une contrepartie.

La naissance du Réseau des associations de quartier du Grand Casablanca (Résaq) le 28 décembre 2003 a marqué la consécration d’une alliance longtemps attendue entre des militants associatifs bénévoles éparpillés aux quatre coins de la ville blanche, en même temps que le triomphe du travail de proximité. Un tournant ? En tout cas le début d’un processus qui a de beaux jours devant lui.
La nouvelle génération d’associations de quartier part d’une conviction inébranlable : pas de démocratie au niveau national sans démocratie au niveau local, jusqu’au plus réduit : le quartier. Ce dernier n’est-il pas, au Maroc, la deuxième cellule d’éducation et de formation après la famille et avant même l’école ? C’est une communauté de citoyens soudés par le voisinage et la proximité, amenée à partager, comme un couple qui vit sous le même toit, bonheurs et malheurs. C’est dans le quartier que les mômes fourbissent leurs premières armes pour affronter la vie à l’extérieur de leur chaumière, shootent dans leur premier ballon, connaissent leurs premières amours et subissent leurs premiers déboires. Et en matière d’approche, d’instauration de dialogue, de sensibilisation de cette petite communauté, tous âges et sexes confondus, aux problèmes quotidiens qu’elle vit, l’association El Miter Bouchentouf pour le développement social (AMBDS), lancée en 1998 par Abdellah Zaâzaâ, est une pionnière.
D’autres militants associatifs, dans d’autres quartiers de la grande cité, font, sans se connaître, et avec plus ou moins la même détermination, ce travail de proximité. Travail tourné vers l’environnement, la propreté, la préservation du patrimoine écologique, vers le développement du quartier, mais pas seulement. Cette nouvelle génération d’associations s’investit aussi dans le travail de sensibilisation de la population de cette petite cité aux valeurs de citoyenneté, de démocratie et des droits de l’homme.
Les acteurs associatifs sont formés à présenter et défendre un projet de développement
Mais que peut une seule association, aussi déterminée soit-elle, quand elle reste repliée sur elle-même, au niveau exigu d’un quartier ? Si elle ne s’allie pas à d’autres associations de quartier, professant une identité de valeurs et de convictions, ou s’en rapprochant ? Tout au plus son travail sera-t-il un prêche dans le désert, si par chance elle ne succombe pas sous les coups de boutoir d’un environnement hostile : isolement et diminution des ressources. C’est l’asphyxie à coup sûr. Ainsi, pour éviter celle-ci, l’idée de s’ouvrir à des alliés a fait son chemin. Pourquoi ne pas créer un réseau d’associations de quartier au niveau de toute la ville de Casablanca qui constituerait un rempart contre l’usure, l’épuisement ou le manque des ressources ? A partir de 1998, les rencontres entre militants associatifs des quartiers de la ville blanche vont bon train. L’idée d’une alliance, sous forme d’un large réseau d’associations de quartier, est lancée mais se révèle une entreprise très ambitieuse eu égard aux moyens dont disposent ces associations. Elle se heurte en effet à un obstacle, majeur : Casablanca est trop vaste pour permettre une alliance entre toutes les associations en un seul réseau. Autant créer plusieurs réseaux plus restreints. Les militants associatifs font alors le choix d’un réseau régional regroupant Casablanca-Est, à savoir les quartiers de Roches Noires, Aïn Sebaâ, Hay Mohammadi, Sidi Moumen, Sidi Othmane, Ben M’sik, Aïn Chock, El Fida. L’association de Derb Bouchentouf, l’AMBDS, en sera en même temps le laboratoire, le catalyseur et le fédérateur, vu sa riche expérience et la personnalité de son initiateur, M. Zaâzaâ. L’homme a su séduire et son profil rassure – malgré ses prêches républicains et laïcs – les plus récalcitrants de ces acteurs associatifs. Son investissement corps et âme dans ce travail de proximité est, selon l’avis de ceux qui l’ont vu mener sa troupe, un gage de réussite.
Le 28 décembre 2003, c’est l’assemblée constitutive du réseau qui réunit 48 associations. Quatre-vingt représentants élisent un bureau exécutif de 21 membres et un comité de sages de 10 membres. A ce dernier est assigné un travail de conseil et ses membres sont conviés à émettre leur avis sur les comptes du bureau avant leur présentation à l’assemblée générale. Ils sont également habilités à jeter un coup d’œil sur les statuts et règlements internes des associations qui veulent entrer dans le réseau pour évaluer leur conformité avec les chartes internationales. Les sages sont aussi invités à faire des propositions susceptibles d’encourager la démocratie et l’éthique dans les relations entre les militants associatifs. Dans ce processus de constitution du Résaq, faut-il le rappeler, l’apport de la société Richbond, représentée par son patron, Karim Tazi, très impliqué dans le travail associatif depuis un certain nombre d’années déjà, n’a pas été négligeable : les locaux de sa société abritent le siège du réseau et toute son infrastructure de travail y est domiciliée.
Mais que fait exactement le Résaq ? En réalité, son action s’articule autour de trois axes qui constitueront son plan d’action : la formation, le financement et la communication. Et cette action, insistent ses promoteurs, veut s’inscrire dans la dynamique d’ensemble du mouvement associatif qui œuvre pour une société démocratique, l’état de droit et le développement durable. Former qui ? Les acteurs associatifs membres ou partenaires du réseau du Grand Casablanca et professant les mêmes principes, pour qu’ils soient capables de présenter un projet de développement et le défendre. Leur apprendre les techniques du travail de proximité pour orienter leur action dans ce sens. Inculquer aussi à ces acteurs associatifs une approche sociétale, à travers des tables rondes sur des sujets sensibles intéressant de près le citoyen du quartier et aussi divers que la démocratie, le droit, la laïcité, la gestion locale, la question amazighe. Objectif : unifier autant que faire se peut la vision des acteurs associatifs pour qu’ils parlent le même langage.
Mohammédia a monté son propre réseau de 32 associations
Un autre objectif du Résaq est l’intermédiation financière. Créer des espaces pour faire connaître les projets des associations. C’est dans ce cadre-là que se sont inscrits les deux forums entreprises-associations tenus en juin 2004 et septembre 2005, organisés en partenariat avec la CGEM – à travers sa commission Entreprise et proximité sociale (EPS) – et Richbond. Buts recherchés : ouvrir le tissu associatif de proximité sur le monde de l’entreprise. Des partenariats avec l’entreprise peuvent en effet apporter une aide financière précieuse au développement du quartier, à l’amélioration de son environnement et à la promotion des valeurs de démocratie et de citoyenneté en son sein.
50 projets ont été financés lors du premier forum, 102 ont pu trouver financement lors du deuxième. Quels types de projets ? Ils vont de la création de salles d’informatique, de bibliothèques et de l’enseignement de la langue amazighe jusqu’à la création d’ateliers de menuiserie, au lancement d’écoles de foot en passant par l’aide au théâtre, au cinéma et l’organisation de journées d’études sur la violence chez les enfants. Voire des journées de vulgarisation des dispositions du Code de la famille. Quelques associations de quartier n’ont pas attendu l’aide du forum pour se lancer dans ce travail. C’est le cas de l’association Intilaka de l’enfance et de la jeunesse de Sidi Bernoussi, initiée par Hassan Dafir. Cette association a lancé, depuis la promulgation du nouveau code, un slogan : «Faisons de la nouvelle Moudawana une véritable révolution sociale !». Succession de tables rondes et de cycles de formation destinés à la vulgarisation du Code personnel.
Tout le travail de ce réseau est donc orienté vers l’encadrement et le soutien des acteurs des associations de quartier de Casablanca, et tout le tissu associatif casablancais a le droit de profiter de ses services. Quelles sont les conditions ? : pas de service au profit d’une seule association. La ville de Mohammédia a pu même monter son propre réseau, fort de ses 32 associations de quartier. De même, le réseau n’a pas à intervenir dans le travail de développement local de l’association ou de l’ensemble des associations appartenant à une même aire géographique. Le développement local est du ressort des seules associations locales.
En plus de Richbond, qui a accompagné dès le départ son cheminement, d’autres partenaires, comme la CGEM, l’OCP et d’autres encore se sont associés en cours de route. Mais ce travail de réseautage a bénéficié aussi de l’aide d’ONG étrangères. Ainsi, le partenariat entre le Résaq et l’association Solidarité socialiste (Sol Soc) de Belgique est un bel exemple d’échange d’expériences et de ressources. Entre les deux ONG, un plan d’action quadriennal a pu être mis au point (2003-2007). Objectif: généraliser à tout le Maroc l’esprit de réseau d’associations de quartier. En 2004, Sol Soc a
pu contribuer à raison de 600 000 DH.
Reste une question, que ne manquent pas de se poser ceux qui suivent de près les choses de la cité : pourquoi le phénomène des associations de quartier, qui est loin d’être récent dans le paysage marocain, prend-il une telle ampleur ? Déficience des partis politiques ? Absence de l’Etat et des collectivités locales ? Tout travail de développement local, d’éducation et de formation, de loisir, et même d’inculcation des valeurs de citoyenneté, de démocratie doit être mené par les pouvoirs publics et les élus locaux, et ils ont tous les moyens pour le faire. Il y a certes, selon Hassan Dafir, membre du bureau exécutif du Résaq et responsable du volet accompagnement du réseautage et formation des acteurs associatifs, «des changements importants initiés par l’Etat, mais il n’y a pas ce travail de proximité pour les projeter au niveau local. L’Etat élabore des lois novatrices, comme le nouveau Code de la famille, par exemple, mais qui va vulgariser sa teneur au niveau de la population ? Les associations de quartier. D’autant que les élus locaux sont aux abonnés absents et ne pointent le bout de leur nez que pendant la période des élections».
Mieux, la société civile ne joue plus seulement un pouvoir de pression sur les pouvoirs publics. Désormais, l’Etat ne cache plus sa volonté d’en faire une courroie de transmission entre lui et la population. Ce n’est pas un hasard si c’est le premier ministre Driss Jettou en personne qui a lancé les travaux des deux forums Associations-entreprises, et si Abderrahim Harouchi, ministre de la Solidarité sociale, présent aussi lors du second forum, a promis de financer les projets qui n’ont pas trouver preneur dans le cadre de l’INDH. La société civile n’est plus un appendice dont on peut faire fi, mais devient un partenaire solide sur lequel l’Etat compte pour faire passer un certain nombre de projets au niveau de la population. Et M. Dafir n’hésite pas à parler d’ «exploitation» – le mot n’est pas fort – pour qualifier le comportement de l’Etat qui profite sans vergogne de ce tissu associatif, sans aucune contrepartie. En guise d’aide, les associations, «celles qui ont de la chance, reçoivent 1 000 DH par an de la commune», fulmine-t-il. L’Etat et les collectivités locales ne peuvent fuir leurs responsabilités, la société civile ne peut les remplacer. L’Etat a ses priorités, mais les quartiers ont les leurs et les associations ne comptent pas croiser les bras mais les défendre mordicus auprès de l’Etat, premier responsable, par tous les moyens légaux possibles. Quand l’Etat fait des efforts en matière d’aide au financement de certains projets, «les associations bénéficiaires sont triées sur le volet», accuse le cadre associatif. Le Résaq a d’autres projets en tête : on parle avec insistance d’une «Maison de la citoyenneté», espace de débat, de dialogue, et en même temps centre de documentation et de formation.
Actions du Résaq de juin 2004 à juin 2005
Trois ateliers d’analyse du travail de proximité (75 participants) et sélection de six formateurs pour ce travail.
– 2 cycles d’échange sur des questions sociétales (250 participants).
– Une rencontre sur les violations graves des droits humains.
– 3 ateliers d’accompagnement au montage de projets (200 participants), sélection de 100 projets sur Casablanca et Mohammédia pour le forum «Associations-entreprises» 2005.
– Coordination avec la CGEM du premier forum «Associations-entreprises».
– Accompagnement du réseautage des associations dans la région du Grand Casablanca (Casa-Est, Casa-Sud, Mohammédia, Casa-Anfa).
– Deux accompagnements au réseautage des associations de proximité (Fès, Azilal).
– Accompagnement du réseau Al Amal à l’organisation et la gestion d’une campagne de collecte de 50 projets à Al Hoceima.
– Organisation de l’atelier «Proximité et mobilisations citoyennes» qui s’est transformé en atelier permanent.
– Accompagnement à la création d’un réseau des jeunes des associations de quartier.
Résultats du forum de septembre 2005
Projets présentés : 166 (100 pour Casablanca et Mohammédia, 50 pour Al Hoceima et 16 pour Azilal).
– Projets ayant trouvé un partenaire : 93.
– Projets retenus mais en attente d’une confirmation officielle : 38 (28 par le ministère de la Solidarité Sociale et 10 par la Fondation Mohammed V).
Répartition des projets ayant trouvé un partenaire :
– Associations de quartier et rurales : 88
– Structure Action-Jeunes Résaq : 2
– Structure Résaq : 3
– Azilal : 1
– Casablanca-Mohammédia : 69
Abderrahim Harouchi, ministre de la Solidarité sociale, a promis de trouver une solution dans le cadre de l’INDH, pour tous les projets présentés au forum qui n’ont pas trouvé de partenaires.
