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Culture

Youssou N’Dour, une idole sénégalaise

Le chanteur sénégalais Youssou N’Dour a réservé
la primeure de l’interprétation de sa chanson «Sant Allah»
au Festival des musiques sacrées du monde qui se déroulera à
Fès du 28 mai au 5 juin.
«Chanteur social», adepte du soufisme, défenseur de l’islam,
homme d’affaires,
portrait d’un grand de la musique africaine.

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Youssou N’Dour avait promis de réserver la primeur de sa nouvelle création au Festival des musiques sacrées du monde et il n’est pas revenu sur sa promesse, malgré de juteuses sollicitations. Bien sûr, Sant Allah («merci à Allah», en wolof) est disponible, depuis novembre dernier, au Sénégal, mais il sera chanté en public, pour la première fois, le 29 mai seulement, à Fès. Un cadre tout à fait propice pour cette pièce musicale sacrée.

«Sant Allah», un album «mise au point» qui magnifie l’image d’un islam ouvert

Le récent album de Youssou N’Dour n’a pas manqué de susciter des remous et d’alimenter la controverse chez ceux-là mêmes qui portent le chanteur sénégalais aux nues. Ce dernier vient en effet, dans cette composition, d’amorcer un virage à 180°, tournant le dos au fameux rythme m’balakh (prononcez mbalar) pour succomber aux charmes des sonorités orientales et consacrant son opus à Dieu. Youssou N’Dour refuse pourtant qu’on parle d’infidélité ou de changement de cap. Il s’agit, selon lui, d’une simple parenthèse procédant d’une nécessité intérieure. Affecté par la tragédie du 11 Septembre, ulcéré par ses infamantes incidences sur l’image de l’islam, il tenait à mettre les choses au point : non, chez tout musulman ne sommeille pas un terroriste; non, mille fois non, le Coran n’encourage pas à la violence ; oui, l’islam peut être ouvert. «Sant Allah est un album qui loue la tolérance de ma religion malmenée par une certaine idéologie, précise-t-il. Au moment où il y a un débat sur l’islam, le monde a besoin de savoir comment certaines personnes s’approprient cette religion».

Exaltation de la mystique soufie des Mourides

De fait, l’islam exalté dans Sant Allah n’est pas celui de ces illuminés rêvant de paradis voluptueux, mais celui de la confrérie des Mourides (à laquelle appartient la vedette), celui du soufisme, cette forme mystique de l’islam, qui prône la paix et la tolérance. C’est un islam qui rassérenne, chanté dans une voix fluide que berce une orchestration tout en violons, oud, flûte et percussions. Un bonheur d’expression musicale qui redorera sûrement le blason terni de l’islam, auprès des admirateurs de Youssou N’Dour. Et ils sont légion.
Au Sénégal, son pays natal, Youssou N’Dour n’est pas prophète, c’est un véritable saint. Il suffit d’évoquer son nom pour que les dithyrambes pleuvent dru. Ses multiples actions caritatives, en faveur des déshérités, des enfants victimes des mines antipersonnel, des naufragés de la vie sont abondamment égrenées, encencées, exaltées. Même l’insolente richesse dans laquelle vit le prince de Dakar ne parvient pas à émousser la légende. Youssou N’Dour possède en effet la radio 7 FM, le journal 7 Week-end, la boîte de nuit le Thiossane, la société Saprom, contrôlant la maison de production Jojoli et les studios d’enregistrement Xippi. Excusez du peu ! Et pour mettre davantage de beurre dans ses épinards, il ne rechigne pas à promouvoir le dentifrice Colgate. «Je gagne beaucoup d’argent, c’est vrai, grâce à Dieu. Mais je réinvestis l’essentiel de ce que je gagne dans la musique. J’ai construit un véritable studio d’enregistrement, qui a coûté un million de dollars. Je produis de jeunes artistes sénégalais. J’essaie de créer au Sénégal des structures de production comparables à celles que l’on trouve en Europe et aux Etats-Unis. J’aimerais que Jojoli devienne, pour l’Afrique, une maison de disques comparable à Virgin ou Sony. Le potentiel musical africain est d’une incroyable richesse. Et puis, c’est aussi pour moi une façon de rendre un peu de ce que l’on m’a donné».
Par ce dimanche de juillet 1999, un jeune colosse sénégalais se faisant appeler Tyson, boxeur de son état et gloire locale, fit une apparition sur le grand stade de Dakar. A événement exceptionnel, honneurs exceptionnels. Youssou N’Dour, après avoir chanté l’hymne de la Coupe du monde de football au Stade de France, tint à chanter l’hymne national sénégalais. Seulement, il ne le fit pas en français, comme il se devait, mais en wolof, manière d’insuffler aux présents la culture de leur pays. On interpréta ce choix comme un acte politique.
Le chanteur qui a mis son talent au service de la cause musulmane, l’homme d’affaires soucieux de promouvoir la musique africaine, serait-il aussi féru de politique ? Les hagiographes démentent. Youssou N’Dour ne s’aventurerait jamais dans les sables mouvants de la politique. Et s’il lui arrive de dénoncer, dans ses chansons, la mauvaise gestion gouvernementale, ce serait parce qu’il est avant tout un chanteur social, très près des gens et de leurs préoccupations quotidiennes.
On touche là du doigt le secret de la popularité de Youssou N’Dour, et le terme paraît faible au vu du culte qu’on lui voue. Un reportage paru dans Télérama du 16 février 2000 en donne l’hallucinante mesure. Bien qu’il n’ait que 44 ans, des légendes circulent, lui prêtant des pouvoirs surnaturels. A ses débuts, des hommes et des femmes, dit-on, se sont ruinés pour lui offrir, dans la plus pure tradition des griots, leur fortune. On raconte que, lorsqu’il apparaît, les femmes lui attrapent le bras, le touchent comme on touche un saint homme pour recueillir sa bénédiction. La chaîne de télévision française M6, tournant un sujet sur le chanteur, l’emmena sur le port de Soumbédioune, à Dakar, où il faillit être étouffé par la ferveur des pêcheurs et des poissonnières.

Au Thiossane, sa boîte de nuit, il refuse de chanter les morceaux formatés pour l’oreille occidentale

Mais, au Sénégal, la célébrité n’engendre pas seulement des privilèges, elle entraîne aussi des devoirs. Youssou N’Dour s’y plie avec une simplicité confondante. C’est ainsi que lorsqu’il séjourne à Dakar, il reçoit, tous les après-midi, un interminable cortège de personnes qui viennent juste le voir, en chair et en os, ou solliciter son aide. Le week-end, il joue au Thiossane, sa boîte de nuit, accompagné par son orchestre, le Super Etoile. «Le Thiossane, c’est ma maison, c’est l’endroit où je ne pense à rien d’autre qu’à la musique, où je me laisse aller, où je suis décontracté. Lorsque je voyage en Europe ou aux Etats-Unis, le Thiossane me manque, et, dès que je reviens, je vais y chanter». Et comme par un pacte tacite conclu avec ses admirateurs, il s’interdit d’y entonner ces chansons formatées pour l’oreille occidentale, telle Seven seconds (2 millions d’albums). Au Thiossane, il n’y a de place que pour le m’balakh, ce rythme wolof complexe et effréné, tel est le diktat du peuple. Vox populi, vox Dei, le roi du Sénégal applique à la lettre l’adage pour ne pas dégarnir sa couronne. «J’adore le m’balakh, mais il ne voyage pas : son rythme est l’inverse du rythme universel, les gens extérieurs au Sénégal ne le comprennent pas. Il faut donc le transformer afin qu’il devienne universel».
Chanteur, businessman, idole, héros national, saint homme, Youssou N’Dour ajoute à ces multiples facettes un dévouement pour l’islam qu’il pousse vertueusement jusqu’à interdire que son album Sant Allah soit diffusé dans les boîtes de nuit. Pas même au Thiossane