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Culture

« Ymma », Rachid et les femmes

Sorti en salles le 25 décembre, le film tant attendu de Rachid El Ouali traite plusieurs sujets autour de la femme et de la modernité.

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Ymma Rachid El Ouali 2013 12 27

Ils étaient très nombreux à sacrifier la demi-finale du Raja pour les beaux yeux de Rachid El Ouali. Bien évidemment, l’avant-première nationale de son premier long métrage Ymma était programmée depuis longtemps. «À ce moment où l’on ne croyait pas que le Raja irait si loin», commentait l’acteur bien aimé des Marocains devant la salle bondée du complexe Mégarama. Collègues, familles, amis et journalistes étaient présents pour cette consécration de longs mois de travail pour l’acteur devenu réalisateur (et scénariste, producteur… mais c’est une autre histoire).

Fait intéressant : au commencement d’une cérémonie où les remerciements ont été adressés à tous les participants de près ou de loin à la réalisation de ce film, aux sponsors, aux CCME, aux muses et au destin, Rachid El Ouali a annoncé une future collaboration avec l’islamologue Rachid Benzine. Pour rappel, Ymma a été co-écrit par le réalisateur et auteur Hicham Lasri. Un premier point à mettre à l’actif du jeune réalisateur qui sait se faire aider.

Boujemâa, le conservateur féministe

Le deuxième bon point pour Rachid El Ouali, c’est que le film Ymma est autre chose que le succès commercial «Nhar tzad tfa do»? D’abord, Ymma ne se définit pas comme une comédie (fort heureusement). Ensuite, les sujets traités sont nettement plus concrets que dans le précédent long métrage. Plus sérieux également, ce qui donne au personnage principal Boujemâa une retenue appréciable, qui lui a d’ailleurs valu le prix de la meilleure interprétation masculine au Festival «Cinéma et migrations», en novembre dernier.

Pour résumer l’histoire, Boujemâa est un concepteur rédacteur dans une agence de pub à Casablanca. Comprenez légèreté, superficialité et vie mondaine. Célibataire endurci, il mène une vie solitaire, fuit l’autorité de son père et meuble la vacuité de son existence par un amour cybernétique avec une Marocaine de Corse. Une femme qu’il espère pareille à Ymma, la mère analphabète mais ô combien moderne et libre pour une femme de sa condition. Il refuse les avances des jolies filles qui lui tournent autour et préfère rentrer converser avec sa Maroco-corse jusqu’à pas d’heure, à en tomber de sommeil.
Le retour difficile dans le foyer patriarcal n’est adouci que par la présence de «Ymma» que l’on ne verra que l’espace de quelques minutes de tendresse, où les mots se font rares. Très vite, l’air devient irrespirable dans le village pour Boujemâa, qui ne se sent pas mieux dans la mégapole. Mécontent du mariage arrangé de sa petite sœur, il prend la route, étourdi par ses démons, ne sachant où aller, avant de rencontrer cette jeune Maroco-allemande partant rejoindre son mari en Corse. Se présente alors une occasion unique d’aller à la recherche de sa tchateuse mystérieuse dont il ne sait rien. Un long voyage où il partagera la route de nombreux personnages, sans jamais quitter sa vieille machine à écrire, symbole d’une tradition qui ne cède pas, elle, à la modernité.

Et «Ymma» dans l’histoire ? 

Ymma aura donc misé sur la femme comme sujet et complément. Dans ce film, Rachid El Ouali s’est entouré de femmes qui souffrent, qui luttent et dont les peines encombrent le destin des hommes tel Boujemâa. Des hommes qui ne sont ni machos, ni à la recherche de la compagne soumise et effacée comme laisserait entendre le cliché de l’homme oriental. Boujemaa, lui, rejette le mariage de sa sœur mineure à un parfait inconnu, voit d’un mauvais oeil la polygamie de son géniteur et la violence physique faite aux femmes. En milieu du film, la rencontre avec une Corse forte rétablit l’équilibre. Probablement une manière de faire un clin d’œil aux femmes violentes. La Maroco-corse rate l’occasion, quant à elle, de faire le bonheur de notre Boujemaa en se laissant prendre pour épouse par le premier venu, comme au bled. Un peu prévisible et cliché, mais peut-on briser les clichés sans tomber dedans ?

Pour ce qui est de l’histoire, Ymma est un film qui se défend plutôt bien, même si trop de problématiques féminines s’y bousculent, ce qui laisse peu de temps au traitement correct de chacune. Certains passages destinés à meubler le périple de Boujemâa étaient quasi inutiles. Le mariage marocain, l’histoire de Khadija la Marocaine sans papier ou encore du couple corse qui adopte Boujemâa quelques jours en mémoire de leur fils Julien: des minutes précieuses du film que le réalisateur aurait mieux fait d’exploiter dans une description plus détaillée de la personnalité d’«Ymma», personnage quasi absent, discrètement dépeint dans les répliques en off de Boujemâa, ou encore dans le développement des traits de caractère de ce dernier et de l’explication de son rejet de la modernité «superficielle» des filles de sa contrée. «Dites-nous ce qui cloche dans la conception de la modernité des Marocaines Boujemâa !», a-t-on envie de demander à Rachid.

Plus blanc que blanc

Tel un défenseur de l’art propre qui se respecte, Rachid El Ouali ne peut faire dans la subversion. Tout comme promis dans ses nombreuses interventions, Ymmaest un film grand public que l’on peut voir sans rougir à côté de père et mère. Il est vrai qu’il est inutile de clasher son père dans un langage vulgaire, d’appeler comme il est commun de le faire le jeune efféminé qui danse parmi les jeunes filles, ou de rouler une pelle à la charmante actrice à l’accent cassé. Non, nous avons compris le message. Tous les messages en fait, au détriment, peut-être, d’un peu de réalisme. Une petite touche d’abjection n’aurait en rien tacheté l’immaculée blancheur de cette comédie quelque peu aseptique. Mais c’est un choix qui se respecte, finalement, au vu du succès du genre et de la popularité croissante d’un Rachid El Ouali qui progresse notablement, faut-il le dire ?