Culture
Sofia, victime et bourreau
Sorti en salles à la mi-septembre, le film «Sofia» de la cinéaste marocaine Meryem Benmbarek raconte les déboires d’une jeune femme tombée enceinte hors mariage. Dans ce film, Sofia n’est que partiellement victime puisqu’elle n’hésite pas à accuser à tort un jeune homme innocent.

«Sofia» surplombe les affiches des grandes salles de cinéma du Royaume. Le premier film de la cinéaste franco-marocaine Meryem Benmbarek est enfin arrivé, après des mois de teasing, une presse plus qu’honorable et un prix prestigieux à Cannes. Dans la catégorie «Un certain regard», Sofia a raflé le prix du scénario, avec une histoire cent pour cent marocaine et une thématique actuelle : le statut des mères célibataires. Du moins, c’est ainsi qu’on nous l’a vendue.
Société stratifiée
«Il s’agit davantage d’une histoire de classe sociale», nous corrige la réalisatrice lors de l’avant-première casaouie qui a connu la présence de plusieurs personnalités du monde associatif militant, dont l’incontournable Aicha Chenna. Si Meryem Benmbarek précise cela, c’est parce qu’en effet Sofia ne raconte pas tant les déboires d’une mère célibataire, que les manifestations d’une mixité sociale forcée.
Pour résumer le film, Sofia découvre dès le début du film qu’elle est sur le point d’accoucher. Découvrir est bien le mot parce qu’elle fait un déni de grossesse. Aidée par sa cousine riche, elle réussit à accoucher sans en piper mot à ses parents. Mais très vite, tout le monde est au courant, accablé et sans voix. Forcée de révéler l’identité du père, Sofia conduit sa famille auprès d’un jeune homme, issu d’un milieu très modeste, qui jure par tous les saints ne l’avoir jamais touchée ou fréquentée en dehors d’un café unique. Après une nuit passée au cachot, le même jeune homme endosse une responsabilité qui n’est pas de son fait. Quand la vérité finit par éclater et l’identité du vrai père est révélée, le pathos cède la place à la stratégie et l’on fait montre d’esprit froid et calculateur pour sauver les convenances sociales et les intérêts matériels.
Des trous dans la copie
Quand on sort de salle, c’est avec un sentiment mitigé. Surtout lorsqu’on y entre avec des a priori positifs, influencée par la bonne presse et le prix du scénario remporté à Cannes. Loin de nous, alors, l’idée de soupçonner des lacunes dans ce même scénario.
Les incohérences sont diffuses. Dès le départ, la cousine franco-marocaine arrive à faire accoucher Sofia dans un hôpital, dans le secret absolu. Bizarrement, l’hôpital informe les parents de cet accouchement censé être clandestin. Mariage sans témoins, oubli de la date du présumé rapport «forcé», etc. Mais le plus surprenant, c’est que ni le jeune homme accusé à tort, ni même le commissaire de police n’ont évoqué la possibilité de recours au test ADN pour prouver son innocence. Recours qui serait probablement refusé s’il était demandé par la femme, mais pas par l’homme qui pourrait ainsi s’en sortir facilement. Négliger ce détail passerait les lois au Maroc pour plus archaïques qu’elles ne le sont en réalité. Cela étant dit, le jeune homme aurait pu accepter le compromis par simple cupidité, ce qui aurait évité ce couac.
Mis à part ces détails, l’histoire reflète un fait social qui existe de toute évidence: mentir pour sauver les apparences, accuser à tort un innocent, fermer les yeux sur un crime pour de l’argent. Mais bien qu’on respecte le choix de la cinéaste de mettre en scène cet aspect déplorable de la société marocaine, l’on ne peut qu’être désolé que cela puisse conforter les allégations des conservateurs qui voient en les mères célibataires de viles manipulatrices, calculatrices et vénales, prêtes à tout pour arriver à leur fin.
