Culture
Les semailles et les moissons de Pierre Rabhi
Davantage qu’une pratique agricole, c’est une philosophie de vie que transmet Pierre Rabhi, penseur paysan, artisan de l’agro-écologie en France et depuis quelques années au Maroc, au Sénégal, au Mali ou encore au Burkina Faso.

C’est un vénérable vieillard, un bloc de plis et de nervures, au feuillage dense, jauni par le soleil. Pas spécialement beau, mais son silence laisse rêveur, son recueillement apaise. En Crète, l’olivier de Vouves résiste depuis trois mille ans au feu, aux maladies et à la folie humaine. Imperturbable malgré trois siècles de bouleversements. Trois éternités ! Et il donne toujours des fruits. Un miracle végétal.
Cet arbre me fait penser à Pierre Rabhi. Même allure voûtée, noueuse. Même sérénité, même incroyable vigueur malgré l’âge qui avance. Soixante-seize ans et des poussières. Et des fruits. Un miracle humain.
Jeudi 27 février, le petit homme au sourire immuable est venu s’enquérir de ses projets au Maroc : une ferme pédagogique à Dar Bouazza, un éco-village à Kramt Bensalem dans la région de Meknès, un centre de formation à l’agro-écologie à Douar Skoura dans la province de Rhamna… Des alternatives sérieuses et durables à l’agrochimie se façonnent dans ces hameaux, loin du pillage, du gaspillage, de la désolation. Au Maroc, mais aussi au Mali, au Burkina Faso, au Sénégal et au Cameroun, une pratique agricole, un enseignement millénaire et une éthique de vie se transmettent à travers «Colibris», le mouvement «pour la Terre et l’Humanisme», fondé par l’agriculteur, romancier et poète Pierre Rabhi.
Dans ces contrées souvent arides, de nombreux paysans abandonnent chaque jour la monoculture, peu rentable et extrêmement coûteuse : trop de pesticides, d’herbicides, de fongicides, une ruine pour les poches, un désastre pour la terre. Alors ils la requinquent, ils la ressuscitent, cette terre nourricière devenue stérile. Ils redécouvrent la matière organique, apprennent à fabriquer du compost, du purin d’orties, à produire leurs propres semences, à cultiver ensemble des variétés de plantes dont les besoins se complètent.
Saviez-vous par exemple qu’au Mexique, on faisait pousser maïs, haricots et courges sur le même sol ? Cette technique ancestrale s’appelle la «Milpa» : Grâce au haricot, l’azote nécessaire à l’épanouissement du maïs est fixé au sol.
La citrouille conserve, quant à elle, l’humidité de la terre et lutte contre l’érosion. Les insectes labourent, aèrent et fertilisent allègrement tout cela ; indésirables chez les adeptes des intrants chimiques, les micro-organismes sont ici de redoutables alliés. Même les plantes sauvages sont utiles, servent de fourrage pour nourrir le bétail. N’est-ce pas magique ? Voilà, entre autres méthodes astucieuses, ce qu’enseignent les adeptes de l’agriculture écologique aux populations démunies d’Afrique, pour les aider à retrouver leur autonomie alimentaire, à «sauvegarder leur patrimoine nourricier».
Une Nature sans intrants chimiques
Nous pourrions, grâce à l’agro-écologie, doubler la production alimentaire mondiale. Ce n’est pas un illuminé qui le clame, mais la très sérieuse organisation des Nations Unies. Non, la famine n’est pas une fatalité. Oui, nourrir neuf milliards d’êtres humains en 2050 sans recourir à l’agriculture dite «intensive» est tout à fait possible. C’est même la solution la plus viable, la plus sensée, pour écarter les pesticides et leurs méfaits aujourd’hui avérés sur la santé.
Une conviction qui anime Pierre Rabhi depuis les années 1960. «Ne pouvant produire sans épuiser, détruire et polluer, le modèle dominant contient les germes de sa propre destruction et nécessite d’urgence des alternatives fondées sur la dynamique du Vivant», écrit le poète paysan, qui se décrit dans son documentaire Au nom de la terre comme «un petit avocat, un petit thérapeute de la terre». Grâce à lui et à d’autres éveilleurs de consciences de par le monde, la transition agricole a commencé. Grâce à nous, elle pourrait transcender le stade expérimental, s’étendre, prospérer.
