Culture
Les «Andalousies» acte II, édition à ne pas rater
Son ambition : faire revivre, à une échelle plus modeste, les valeurs d’échange de l’Andalousie arabe. Colloques, conférences, expositions pour séduire l’intellect ; concerts de salsa, flamenco, gnaoua, arabo-andalou, tempos afro-cubains pour taquiner les sens… Les arguments du Festival
des Andalousies Atlantiques sont imparables.
Le Festival des Andalousies Atlantiques fait figure d’exception dans le lot des manifestations rituelles. Quand celles-ci s’articulent autour d’un genre (théâtre, cinéma, danse…), il choisit, lui, de surfer sur les vagues d’un patrimoine. Et pour se singulariser encore plus, il plante le décor de la célébration du patrimoine andalou dans une cité qui n’en est pas réellement marquée : Essaouira. Voilà qui ne laisse pas de surprendre, voire de soulever des objections. Rabat, Salé, Fès, Tétouan ou Chefchaouen ne seraient-elles pas plus indiquées, elles qui sont les principaux lieux de conservation du patrimoine andalou? Oumama Aouad, cheville ouvrière du Festival des Andalousies, va au-devant de l’objection : «Ce festival est né de l’idée que l’Andalousie ne saurait être enfermée dans un temps historique et un espace géographique limités. Jacques Berque avait précisé qu’il n’y avait pas une seule Andalousie, qu’il convenait de parler plutôt d’Andalousies, l’Andalousie ayant rayonné non seulement sur le sud de l’Espagne ou le nord marocain, mais aussi sur des régions atlantiques plus lointaines et même outre-atlantique, comme l’Amérique Latine. Ce festival a donc pour objectif de mettre en relief les ramifications de cet héritage, notamment dans sa version atlantique.» Quant au dévolu jeté sur Essaouira, il se justifierait par la vocation de cette ville à incarner les valeurs de tolérance et de fraternité cultivées dans le jardin andalou.
Andalousie. Le mot prend une résonance douloureuse chez tout Arabe. Nous ne cessons de gémir sur cette mer perdue. Nos livres d’histoire en dessinent, avec fierté et emphase, la prospérité, le rayonnement, la splendeur. Dans les vieilles familles de Fès ou de Tétouan, on se transmet encore religieusement, dit-on, de père mourant à fils aîné, la clé de la maison perdue de Cordoue ou de Séville. Les Occidentaux, quant à eux, rêvent de Séville, de Cordoue, de Grenade plus encore, peut-être parce que, là, un rêve fut porté à la perfection : celui d’un pays où se brassaient les langues, les styles, les ethnies, les religions. Nostalgie, nostalgie !
Tout pour exalter le legs fécond d’une période singulière
Mais plutôt que de s’abandonner à ce sentiment infertile, mieux vaudrait sans doute, en repensant l’Andalousie dans sa vocation de partage et d’échanges, se demander comment ceux-ci se sont faits entre une civilisation lisse et illuminée par la double tradition gréco-romaine et judéo-chrétienne et un peuple lointain devenu voisin – et suprême sacrilège – occupant d’une moitié de cette Méditerranée qui était une mer occidentale. Car l’exemple donné par l’Andalousie, à l’échelle de l’histoire humaine, est d’une grande portée. A méditer sur une Méditerranée des rencontres, pour beaucoup aujourd’hui improbable, qui pourrait penser que ce qui fut possible en des temps déchirés, où les rapports entre civilisations se posaient naturellement et d’emblée en termes conflictuels, ne saurait se reproduire à une époque, où quoi qu’on dise et voie, le concert des nations cherche obstinément à l’emporter sur leurs luttes?
Telle est la vue, en plus modeste, du Festival des Andalousies. En mettant en vive lumière des pans de la mémoire andalouse, en exaltant le legs fécond d’une période singulière, en faisant souffler l’esprit andalou le temps éphémère d’une rencontre, il entend imprégner les visiteurs des valeurs dont l’Andalousie était pétrie. «Par la musique, le chant, la danse, la peinture et les colloques, nous voulons ranimer et retrouver les pages les plus fortes et les moments les plus exaltants de la période andalouse, dont les messages et les enseignements nous sont aujourd’hui plus nécessaires que jamais», déclare André Azoulay. D’où l’inscription du festival sous les signes vivifiants du partage, de la rencontre et du métissage.
De ces vertus, les austères Almoravides et Almohades n’étaient pas dépourvus, et ils allaient les conquérir à coups d’épée. C’est ainsi qu’ils créérent, au cours des XIe, XIIe et XIIIe siècles, un immense empire qui partait du Sénégal pour s’étirer jusqu’à l’embouchure de l’Ebre et de la Méditerranée occidentale. L’intense relation qui s’instaura entre les deux rives donna naissance à un important métissage de cultures et de peuples dont les traces sont toujours présentes, sous forme de monuments et de vestiges. Des chevauchées almoravides et almohades, la Fondation Legado Andalusi reconstitua l’itinéraire, qui fera l’objet d’une exposition et d’une conférence lors de cette deuxième édition du Festival des Andalousies Atlantiques.
Quand Bajeddoub côtoie les danseurs de salsa
Enfant prodige d’Essaouira, homme à principes, chercheur vigilant, Haïm Zafrani a voué sa brillante vie et sa plume alerte à l’étude du patrimoine hispano-mauresque et de l’histoire du judaïsme marocain. En résulte une œuvre passionnante autant qu’érudite, que les plus beaux fleurons du champ intellectuel marocain éclaireront dans un colloque présidé par l’illustre Edmond Amran El Maleh.
Il n’y a pas que l’intellect qui sera sollicité, les sens le seront davantage, la musique étant le plat de résistance de ce banquet saisonnier. A cet égard, la 2e édition du Festival des Andalousies Atlantiques se distingue par l’exceptionnelle diversité de ses propositions artistiques : arabo-andalou, judéo-marocain, melhoun, salsa, flamenco… Inventé par des Roms venus du nord de l’Inde et installés en Espagne depuis le XVe siècle, le flamenco est vite devenu le symbole de l’identité andalouse avant d’être promu au rang d’expression nationale. A ce titre, il mérite bien un privilège quantitatif. Il lui est accordé. Il sera présent sous de multiples aspects: mêlé au jazz, au rock et à la musique arabe (groupe Radio Tarifa), accommodé à la sauce gnaoua (Pedro Soler, Inès Bacam et Majid Bekkas), offert dans sa pureté originelle, grâce au sublime Tomatito. Gitan jusqu’aux cordes de son exubérante guitare, ce dernier est un véritable enfant de la balle. A douze ans, il se fait déjà un surnom, car il s’appelle en réalité José Fernandez Torres. Et sa célébrité va grandir à mesure qu’il accompagnera les ténors du flamenco, tels que José Monge Cruz, Enrique Morente, La Susi, Pansequito, Vincente Soto… Aujourd’hui, il vole de ses propres ailes. Il «survole» serait plus juste. Nul doute que son concert sera un des moments forts de ce festival.
Des concerts acoustiques pour faire revivre les origines
De l’Espagne à Cuba, il n’y a qu’un pas, historique et culturel, que le festival n’hésite pas à franchir, en proposant de la salsa («sauce», en VO). Nées d’une rencontre entre la guitare des colons et le tambour des esclaves, les musiques cubaines n’ont cessé de sillonner le monde, revenant en particulier en Afrique, où elles ont enfanté, dès les années 50, la rumba zaïroise. Tout au long de leurs pérégrinations, les tempos afro-cubains ont fait l’objet de batailles de noms qui rebondissent sans cesse. La salsa est leur dénomination la plus communément admise. L’étiquette fut lancé dans les années 70 par les Cubains et les Portoricains, pour annoncer une nouvelle vague plus cuivrée, plus urbaine, plus sophistiquée. Il y a, dit Saul Escalono, musicologue, auteur d’un livre sur le sujet, tout un jargon de la salsa qui permet de cimenter une tribu : arroz («riz») y signifie fête, caramelos («caramels») y désigne une femme, azucar («sucre») sous-entend la stimulation, l’énergie. En argot cubain, une femme qui a de la salsa est une femme attirante. Ces métaphores reviendront sans cesse au fil du concert qui sera donné par la formation Guason. Palais délicats s’abstenir, avec celle-ci, la salsa est redoutablement piquante.
Au flamenco électrisant et à la salsa torride, la musique arabo-andalouse apportera un contrepoint tout en douceur et en sensibilité. Chabab Al Andalous, Anouar El Mohamedia, Touria Hadraoui, Bajeddoub et Karoutchi auront la tâche de faire revivre ce patrimoine lumineux. Ils s’en acquitteront sûrement avec brio, tant leur talent est indiscutable. Générosité, désir de partage et émotion en sont les traits dominants. A l’image du Festival des Andalousies Atlantiques, à qui l’on souhaite bon vent
Inventé par des Roms venus du nord de l’Inde et installés en Espagne depuis le XVe siècle, le flamenco est vite devenu le symbole de l’identité andalouse avant d’être promu au rang d’expression nationale.
A tout seigneur tout honneur, le flamenco sera privilégié durant le festival ; interprété par «Radio Tarifa» (photo), il flirtera avec le jazz, le rock et la musique arabe.
