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Culture

Le mécénat au secours du beau livre

Les beaux ouvrages sur les villes sont à  l’honneur. «Architecture du XXe siècle» et «Figuig», deux nouvelles parutions viennent confirmer la tendance.
L’impression des beaux livres en Italie est jusqu’à  30% moins chère qu’au Maroc.
Les éditeurs multiplient les coproductions, les partenariats avec les entreprises et les institutions.

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Si les beaux livres racontent souvent de belles histoires, l’histoire de fabrication des livres en est une très belle et elle est aussi (ou peut-être surtout) à raconter. Architecture marocaine du XXe siècle, Edmond Brion et August Cadet, qui vient tout juste de paraître aux Editions Senso Unico, a une longue vie, antérieure à son apparition et c’est cette première vie qu’il faut d’abord aborder. Le choix de ce livre ne s’est pas fait par hasard, il se justifie non seulement par une actualité, mais c’est aussi l’histoire, en images, d’un engagement. Cet ouvrage vient à juste titre réparer une injustice faite à deux architectes à qui l’on doit les plus beaux monuments du Maroc : Auguste Cadet (1881-1956) et Edmond Brion (1885-1973). Car même si la majorité l’ignore, c’est à ces deux architectes que l’on doit la conception du quartier Habous de Casablanca, Bousbir, et Bank Al Maghrib (Casablanca, El Jadida, Tanger pour ne citer que ceux-là !), le Palais royal d’Ifrane… Ceci dit on n’est pas les seuls responsables de cette ignorance, la faute, il faudrait peut-être la partager avec les deux architectes qui n’ont jamais voulu signer leurs ouvrages ! Pour réparer cette injustice, Gislhaine Meffre, la petite-fille de Brion, a fait un minutieux travail de recherche pour rendre à son grand-père et à son associé la place qui leur revient de droit, celle de deux grands hommes au génie architectural incontesté. La jeune femme de formation scientifique  a surtout une fibre artistique très développée qui lui a permis de transformer ses recherches en un livre d’art. Un travail qu’elle a effectué en compagnie de son mari photographe, Bernard Delgado. «Brion et Cadet ont toujours vécu dans l’ombre, ce qui ne m’a pas facilité la tâche», admet l’auteure, d’autant plus que «les archives familiales ont été détruites après la mise sous scellés de l’usine de mon père qui servait aussi de dépôt aux travaux des deux associés». Ce livre permet une petite virée dans des quartiers mythiques de Casablanca conçus par les deux associés, des lieux qui n’ont rien perdu de leur beauté ni de leur originalité et encore moins de leur fonctionnalité. Leurs secrets de fabrication sont à chercher dans les engagements humains des deux architectes qui se sont toujours associés aux Marocains pour accomplir leurs ouvrages. Ce qui leur a valu d’ailleurs les critiques de leurs concitoyens français. De cette complicité sont nés de véritables joyaux de l’architecture, comme peut en témoigner la touche inimitable de Moulay Ali Alami, dit Lahjouji, maître incontesté de l’art du zellige. «Brion et Cadet, comme quelques-uns de leurs confrères, vont démontrer leur capacité à construire des bâtiments dans un style en continuité avec celui du passé, suivant la volonté politique «lyautéenne». Lyautey insistait en effet sur une remise en œuvre de l’art traditionnel qui sera étudié, répertorié et référencé, et une restructuration des corporations d’artisans. Les architectes vont résoudre le problème en inventant une architecture moderne, à la plastique sobre et simple mais faisant appel à tout le répertoire des arts décoratifs marocains», indique Gislhaine Meffre. Cet ouvrage n’est pas seulement un livre sur l’architecture même s’il en a la rigueur. Il porte un certain regard. Ce n’est pas davantage une anthologie (Architecture du XXe siècle), c’est plutôt un livre vivant. L’auteur sert l’image et pas le contraire et restitue à l’histoire sa part occultée.

De beaux livres attendent acheteurs chez les libraires

Pour habiller ce beau livre de soie et de cuir, lui assurer une qualité de reproduction d’image irréprochable, le mécénat éditorial s’est montré indispensable. En effet, l’ouvrage n’aurait peut-être jamais vu le jour n’était-ce l’appui financier de la BMCI. Le livre coûte à la vente 1 800 DH. «Nous avons fait un tirage à
2 200 exemplaires, qui nous ont coûté aux alentous de 1,5 million de DH. Sans le soutien de la BMCI il ne ce serait pas vendu à moins de 3 000 DH», confie l’éditrice de Senso Unico Ileana Marchesani. Ce n’est pas la première fois que la BMCI met la main à la poche pour soutenir l’édition. Cela a commencé en 2000 avec Casablanca, portail d’une ville, de Jean Michel Zurfluh (éditions Eddif) ou encore Tanger de Mohamed Métalsi (éditions Malika, 2007), au total une douzaine de beaux livres ont vu le jour grâce à la Fondation BMCI.  Il y a quelques années, les éditeurs imprimaient autour de 5 000 exemplaires par titre. Ils ont, depuis, revu ce chiffre à la baisse. Aujourd’hui, ils ne dépassent plus les 3 000 dans le meilleur des cas. «Je tire actuellement autour de 3 000 exemplaires. Lorsque le livre est soutenu par une institution (engagement de préachat du tiers du tirage avec 50% de réduction),  je vends mes ouvrages au public à 650 DH avec une remise de 30% que j’accorde au libraire. J’essaye d’amortir le coût de production qui se situe autour de 500 000 DH», explique Abdelkader Retnani, éditeur de La croisée des chemins qui vient de publier un beau livre sur Casablanca et Un désert plein de vie. C’est devenu quasi systématique. Pour baisser les coûts de production de ces ouvrages, les éditeurs multiplient les coproductions, les partenariats avec les entreprises et les institutions. Certains tentent de réduire leurs prix de production en imprimant en Chine. ça ne se fait pas sans une grande prise de risque. Les éditeurs marocains, soucieux de la qualité de ces ouvrages précieux, se sont tournés vers les imprimeurs italiens. «Les Italiens sont maîtres dans l’art de l’impression et ils demeurent beaucoup moins chers que les Marocains qui essayent d’amortir plus vite leur matériel d’impression. L’impression en Italie a un prix de revient inférieur de 20 à 30% par rapport à celle effectuée au Maroc !». Autre détail important : «Les imprimeurs italiens accordent des délais de paiement de 120 jours contre 60 jours au Maroc», renchérit Retnani. Pour Ileana Marchesani, l’impression n’est pas seulement une question de machine. C’est d’abord une affaire d’hommes, de personnes qui aiment les livres, qui aiment lire, qui orientent, conseillent. «La machine ne peut en aucun cas remplacer l’homme. Les connaisseurs, c’est de cela qu’a besoin l’édition et pas seulement de machines super sophistiquées». A peine sortis de l’antre des grosses machines et des imprimeries, les beaux livres doivent trouver leur chemin vers les libraires. Le circuit de distribution de ces livres est des plus classiques. Cependant, il y a un petit changement, annonce Retnani : «Le ministère de la communauté marocaine à l’étranger est en train d’acheter des beaux livres sur le Maroc pour les rendre disponibles dans les instituts culturels marocains à l’étranger. C’est une excellente initiative», dit-il. Selon les éditeurs, les beaux livres sont appelés à un avenir au Maroc. Du moins, ceux qui proposent un angle d’attaque, une réflexion, un point de vue. «Quand il y a un propos sur un sujet, un beau livre trouve toujours son lectorat», estime une libraire à Casablanca qui ajoute : «On attend l’arrivée des touristes, ce sont eux qui achètent ces livres». Dans les librairies, de nombreux ouvrages traitent de la ville de Casablanca, de son architecture. Malheureusement, il arrive trop souvent que l’on multiplie des ouvrages génériques, qui semblent, de prime abord, interchangeables.