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Culture

Le Divan de tous les tourments

Driss C. Jaydane signe «Divan marocain» chez le Fennec, un deuxième roman plein d’onirisme et de sombre ironie.

Publié le

Roman Divan marocain 2014 04 02

Un narrateur inquiet, en proie à des sentiments lugubres, à des idées folles, à de cruels tourments, s’empare de vous dès la première page et, d’un pas fébrile, vous fait arpenter les catacombes de son inconscient. Cet homme aux yeux que l’on devine hagards, exorbités, cet homme à la respiration haletante, au souffle oppressé, s’allonge sur un beau divan fleuri et s’apprête à vous raconter son rêve, à mille années-lumière  du Songe d’une nuit d’été.  

«Songez qu’à l’origine, tous les ingrédients étaient réunis pour que ça donne un beau rêve!», s’exclame-t-il, stupéfait, à la page 77. Et pourtant. Pas un élan d’enthousiasme, pas un cri de joie n’interrompt sa logorrhée sinistre et hallucinée. Endolorie, sa tête n’arrive pas à s’arracher aux démons qui l’habitent, qui y font un tapage assourdissant.

Psychanalyse collective

Une mère, abrutie par l’amour, soumise jusqu’au ridicule, n’est jamais loin. Le père, surtout, s’abat sur chaque chapitre comme un implacable couperet, son ombre, froide et menaçante, plane sur chaque pensée ou presque. «Je sais bien que je suis encore sous le joug de ces deux-là, dont l’égoïsme, la légèreté et la violence, et la brutalité, et les rires, et l’appétit vorace, l’éternelle duplicité ont fait de moi ce que je suis», confie l’homme déconfit.

Mais qu’est-il, au juste ? Que sont-ils ? Car parfois, on a l’impression que plusieurs âmes se démènent dans ce corps, triturent ce cerveau surchauffé. Avons-nous affaire à un schizophrène livré à sa mouvante psyché, à son polyphonique calvaire? Ou est-ce plutôt une succession, une procession de gens meurtris, broyés par la vie ? Des chauffeurs, des éboueurs, des mendiants, des parents pauvres, des gosses de riches, tous impuissants face à leurs turpitudes, à leur suprême solitude ?

On ne le sait jamais vraiment. Mais tout ceci nous est, malgré tout, étrangement familier. L’onde de souffrance qui s’échappe de ce Divan nous rappelle quelque chose… des chiffres effrayants mais pas étonnants, près d’un Marocain sur deux atteint de troubles psychiques plus ou moins graves, d’après de très officielles études.

C’est peut-être cette société cruellement malade qu’a voulu sonder, décrire Driss C. Jaydane, d’une plume mélancolique et belle, trempée dans l’encre de la désillusion. Une plume onirique qui sait emporter le lecteur, le bercer de désillusions, malgré la gravité des mots, malgré la profondeur des maux.

«Divan marocain», Driss C. Jaydane. Éditions Le Fennec, 2014.
85 DH.