Culture
Le «Défilé des créateurs» a plu mais n’a pas innové
Ramadan inspirerait-il les créateurs ? Il faut croire. Stylistes et modélistes rivalisent de talent
et le montrent, au travers de différents défilés. Nous avons assisté à l’un d’eux, qui s’est déroulé mercredi 13 octobre, au forum du théâtre Mohammed V, à Rabat.

L’un des effets heureux de «Caftan» est d’avoir fait école. Preuve en est l’éclosion, par intermittence, de telle ou telle manifestation dédiée à la haute-couture marocaine. Sans prétention d’égaler le modèle, qui demeure jusqu’à présent inatteignable, mais dans le souci, humble, de mettre encore plus en lumière un raffinement peu accessible. C’est du moins le but avoué du «Défilé des créateurs», mitonné par l’agence Solutions, dont la responsable, Mina El Glaoui, en connaît plus qu’un rayon sur la question de la mode.
Six stylistes mis en selle par Caftan
Prudence oblige, afin de ne pas faire fausse route, Solutions s’est appuyée sur des valeurs montantes, adoubées et mises en selle par Caftan. Il s’agit de Najia Abadi, Lahoucine Aït El Mahdi, Samira Haddouchi, Nabil Dahani, Zahra Yaagoubi et Mohamed Lakhdar. Ces créateurs ont en commun d’être jeunes, d’avoir les dents longues et de s’être brillamment illustrés lors de «Caftan» 2004. Avec de tels atouts dans la manche, le «Défilé des créateurs» jouait sur du velours.
Pourtant, contre toute attente, l’assistance ne fut pas aussi nombreuse qu’escompté. Le prix des billets, 150 dirhams, ayant été jugé onéreux, seuls les vrais mordus s’en acquittèrent. Du coup, la salle était remplie surtout de convives triés sur le volet : quelques messieurs appartenant à la crème r’batie, des épouses de diplomates, de ministres et de hauts gradés. Tous avaient pris soin de se montrer à leur avantage, et ce n’était que mises impeccables, tailleurs de bon goût et caftans flamboyants. Les privilégiés se pavanaient à la première rangée, à portée de pied d’un podium étriqué (15 m de longueur, 2 m de largeur), faisant craindre que les mannequins ne se trouvent gênés aux entournures.
A 19 h 30, le défilé est annoncé. C’est à Najia Abadi que revient l’honneur d’ouvrir le feu. Elle ne s’en prive pas, offrant généreusement à notre regard djellabas, pantalons, caftans, robes, dans des matières nobles, sculptées, finement ciselées, audacieusement conçues. On est frappé par le souci de «transparence» de la styliste, qui fait imprégner ses créations en dentelle, en organza de soie ou en satin, d’une sensualité vibrante. Le public tombe sous le charme.
C’est la Marocaine libre qui inspire Samira Hadouchi
Sans se déprendre de la berbérité, sa muse première et sa première amarre créatrice, Lahoucine Aït El Mahdi la trempe dans les eaux du luxe et de l’élégance à l’ancienne, british surtout. En résultent des pantalons, des djellabas, des ensembles ou des jupes en soie, en taffetas, en satin ou en dentelle qui fleurent bon le doux mélange des époques et des cultures. Lahoucine Aït El Mahdi sort sous les applaudissements.
Samira Haddouchi prend le relais. D’emblée, on sent sa prédilection pour le caftan. Non point le caftan-carcan dont s’affublaient nos grands-mères, mais celui qui sied à la Marocaine moderne, libre et responsable. C’est à celle-ci que la styliste, réfractaire aux tabous, destine ses créations très inspirées. Ce soir-là, l’assistance a recueilli goulument ces gouttes de lumière, ceintes de majdoul. Une valse à mille tons, que dansent velours, soie, dentelle et satin.
Mohamed Lakhdar montre toujours la même prédilection pour le brocart
Tout en restant redevable au caftan traditionnel de lui avoir procuré une source féconde d’inspiration, Nabil Dahani a tôt fait de ne pas s’enfermer dans ses canons. De là, son obstination à créer des caftans-robes ou des robes-caftans, qui mêlent savoir-faire ancestral et lignes
de mise dans
les années cinquante.
Du grand art, tout en harmonie, en grâce et en glamour, comme en témoignent les créations présentées ici, où scintillent le fuschia, le vert bronze et le noir, mettant en valeur broderies fines et maâlem délicat. On goûte cette palette-là, cette sûreté de touche.
Nous quittons le sillage de l’actrice Audrey Hepburn dans lequel nous entraîne irrésistiblement Nabil Dahani pour nous embarquer dans l’univers de Zahra Yaâgoubi. Là tout est tendresse, noblesse et délicatesse. A sa manière, elle interprète le caftan de sorte qu’il prenne la forme de robes longues dessinées très près du corps, qu’elles moulent sensuellement. Tulle, soie, dentelle de Calais et velours moiré en sont les subtiles écrins. Le public admire, et le montre.
Aucune prestation ne secrète l’ennui, tant les jeunes créateurs ont su capter l’attention de l’assistance par leur ingéniosité, leur audace et leur ardeur. Autant de qualités que Mohamed Lakhdar, qui ferme la marche, porte très haut. Ayant découvert le brocart dans une obscure échoppe de Fès, comme on reçoit une révélation, le styliste n’a cessé de creuser ce sillon, en en faisant sa raison de dessiner. Du brocart à satiété, c’est à quoi nous avons eu droit. Nous ne nous en plaignons pas, loin de là. Car ces djellabas, pantalons, caftans et robes du soir rendaient merveilleusement la patte Lakhdar : un éblouissant sens des couleurs conjugué à un agréable métissage des tissus.
Six stylistes, six tendances délicates, au travers desquelles une nouvelle féminité se dessine. C’est délectable, mais ce n’est pas novateur. «Caftan» en est déjà l’emblème, et les créateurs présents au Défilé de créateurs n’ont rien sorti de derrière les fagots, se contentant de variations mineures sur les thèmes développés lors de «Caftan» 2004. Du coup, la manifestation perd de son intérêt et sa pertinence se trouve remise en cause. Il n’empêche que, pendant une couple d’heures, une légèreté oubliée a flotté dans l’air
Najia Abbadi a ouvert le bal avec des modèles finement sculptés où dominaient satin, organza de soie et dentelle, avec des effets de transparence remarqués.
