Culture
Festivals, la saison se prépare fébrilement
Débutant le 5 mai pour tirer sa révérence le 23 juillet, la saison festivalière promet de foisonner d’événements emballants, inattendus ou carrément singuliers. Tour d’horizon des réjouissances.

Dédier quatre jours à la musique de chambre et à l’art lyrique n’est pas, apparemment, la manière d’attirer des files interminables de spectateurs. L’argument semble trop peu engageant pour donner envie à un public non averti de découvrir le «Printemps musical des alizés» (du 5 au 8 mai à Essaouira), festival auquel revient, depuis cinq ans, d’inaugurer les réjouissances printanières et estivales. Erreur, si l’on en juge par la séduction qu’il exerce aussi bien sur les mélomanes que les néophytes. Fruit de l’obstination du professeur, écrivain, penseur et esthète Mohamed Ennaji, ce rendez-vous annuel a, au fil de ses radieuses prestations, conquis un public peu versé dans l’art lyrique.
Ahmed Essyad, tête d’affiche du Printemps des alizés
Pour ce cru du printemps 2005, le festival n’a pas dérogé à son devoir d’excellence, d’abord dans le choix des artistes, tous de haut vol. Caractéristique encore plus emballante de cette édition, la diversité des genres : airs d’opéra, chants sacrés en langues mortes, prières persanes, mélodies juives, chants de poètes arabes autour d’Al Andalous, Requiem de Mozart, Psaumes de Leonard Bernstein et chants célébrant la Grande bibliothèque d’Alexandrie… Les amoureux de la musique de chambre seront comblés: quintette de Mozart pour clarinette et cordes, quatuors de Beethoven, trio pour piano, flûte et violoncelle de Weber, quintette de Boccherini pour violoncelle et quatuor à cordes, Introduction et allegro de Ravel pour harpe et autres instruments, concerto de Mozart pour piano et orchestre à cordes K. 595… Décidément, ce «Printemps…» nous met en appétit. Surtout en annonçant la présence d’une personnalité d’envergure : Ahmed Essyad. Peu connu au Maroc, d’o๠il a émigré en 1962, ce compositeur brillant et imposant fait les beaux jours des sanctuaires musicaux parisiens. La 5e édition du Printemps a eu l’heureuse inspiration d’en faire une de ses têtes d’affiche. Never More, Quatuor à cordes, Le Temps rebelle, pour flûte basse amplifiée sur deux hauts parleurs et piano, Les Eaux meurent en dormant, pour flûte en sol amplifiée et piano, ces Å“uvres ne manqueront pas de ravir un public qui aura fait, auparavant, connaissance avec ce compositeur grâce à la table ronde consacrée à son art et à la projection du documentaire biographique réalisé par Mustapha Hasnaoui.
En trois tours, Mawazine est parvenu à asseoir sa réputation de festival généreux. Et ce n’est pas sa quatrième prestation (du 18 au 25 mai, à Rabat) qui va en émousser l’image. Loin s’en faut. Il suffit d’en consulter le menu pour s’en convaincre. Pas moins de 47 spectacles en une semaine. Et la qualité est à l’avenant. Elle se manifeste dans la présence d’authentiques virtuoses: Oscar D’Leon, l’électrique Vénézuelien, n’est pas surnommé pour rien «el rey de los soneros» ou «el diablo de la salsa» ; Dona Inak, 70 ans et tous ses dons, est la reine de la samba brésilienne ; la Béninoise Angélique Kidjo, auteur du tube universel Afrika, marie comme personne les rythmes africains à ceux des Caraà¯bes et d’Europe; Lula est une jeune prodige qui embrase la scène avec sa réinterprétation pimentée de l’antique batuque capverdien ; Abdelwahab Doukkali déploie, depuis l’âge de seize ans, un talent lumineux dans la musique classique… «Mawazine» fait la part belle à des rythmes rares tels ceux de Kilandukilu (Angola), du Gwoka de Kan’nida (Guadeloupe), du Thayambaka (Inde), de l’Altaà¯-Khangha௠(Mongolie), des Peuls Wodaabe (Niger)… Il propose aussi quelques curiosités : la tradition des «Géants portés» (Belgique), les marionnettes à fils de Mandalay (Birmanie), les sonneurs de Bretagne (France), les marionnettes Bambara (Mali)… Voir défiler, précédés d’une fanfare, des personnages de huit mètres de haut, vêtus de costumes médiévaux et soutenus par trois à quatre porteurs, dissimulés à l’intérieur, n’est pas un spectacle qui court les rues. Enfin, «Mawazine», quatrième du nom, s’ouvre, au théâtre Mohammed V, mercredi 18 mai, par les hiératiques danses du Palais de Mangkunagran (Indénosie) et se clôt mercredi 25 mai sur un air de flamenco de José Fernandez.
«Tanjazz» VIe édition (du 24 au 29 mai, à Tanger) est entièrement voué au jazz, genre dont les amateurs ne sont pas légion. Les spectacles sont donc concentrés dans des lieux peu spacieux: Mandoubia, Chellah Beach, bar de l’hôtel El MinzahÂ… En dépit de ses modestes moyens, «Tanjazz» tient la route. Notons que les entrées (50 DH) ne sont payantes qu’à la Mandoubia. Pour le coup, les sponsors soutiennent de bon cÅ“ur le festival. Sauf qu’en contrepartie, ils exigent des têtes d’affiche, alors que Philippe Lorin, maà®tre d’Å“uvre de ce festival, souhaiterait en faire un festival de découverte. Cette fois encore, il compose, faisant dialoguer des jazzmen connus (Jeff Zima Trio, Louis Martinez Quintet,Â…) avec des talents en friche. Des spectacles toniques sont prévus sur la place Cano o๠se produiront les allumés Hoba Hoba Spirit et les Darga.
A Fès se produira l’immense Ravi Shankar
De Tanger à Tafilalet, il y a plus d’un millier à parcourir pour se laisser bercer par «Les musiques du désert» (du 26 au 29 mai) à Rissani et Erfoud. Neuf pays (Arabie Saoudite, Niger, Libye, Mali, Algérie, Sénégal, Jordanie, Mauritanie, Maroc) participeront, avec une diversité de genres : malhoun, ala, gnawa. Des chanteuses de renom, comme la Malienne Oumou Sangaré. On bougera aussi son corps, avec les danses El Khamlia (Merzouga/Maroc), Aqlal (Zagora/Maroc), Arda de Najd (Arabie Saoudite), Bororo (Niger), Guedra (Laâyoune/Maroc),Â…
«Jazz aux Oudayas» (du 27 au 31 mai à Rabat) plante son décor alors que «Tanjazz» en sera à trois jours de son épilogue. Parmi les moments forts de cette Xe édition : dialogue entre les sonorités jazzies du soliste français Nguyen Lê et l’ensemble gnaoua du maâlem Merchane ; prestations de grosses pointures du jazz tels que l’Italien Roberto Gatto, le Britannique Andrew McComack,… A suivre avec intérêt l’évolution des jazzmen marocains Barbati, Chraà¯bi et Ouahi. Pour la clôture, surprise, c’est le flamenco qui sera à l’honneur, avec le guitariste espagnol Gerardo Nunez accompagné du luthiste marocain Abid el Bahri.
On n’aura pas eu le temps de digérer cette orgie de sons que, déjà , le «Festival de Fès des Musiques sacrées du monde» (3 au 11 juin) installera ses pénates. 32 concerts, une centaine d’artistes pour cette XIe édition. Comme chaque année, le festival ouvre la saison des rendez-vous musicaux de l’été. Les dards du soleil n’ont jamais fait reculer les nuées de mélomanes ou les escouades d’accrédités venus d’Europe et d’ailleurs. Le festival de Fès demeure, avec «Gnaoua & Musiques du monde» d’Essaouira, et «Mawazine» de Rabat, le principal rendez-vous musical de l’année. Créée en 1994, la rencontre a toujours atteint les sommets grâce à une programmation raffinée. Quid du cru 2005 ? Sur le papier, cette XIe édition est la plus flamboyante de l’histoire. Teresa Berzanga et sa fille ouvriront le bal avant la prometteuse Asmae Lemnawar. L’Egyptien Saà¯d Hafid (psalmodies et panégyriques) occupera le Musée Batha samedi 4 juin, avant l’une des soirées les plus éblouissantes, le même jour, à Bab Makina, convoquant l’Indienne et chorégraphe Anurekha Ghosh, puis l’emblématique Ravi Shankar, en duo avec sa fille Anouskha. Maà®tre Hideki Togi (Japon), dimanche 5 juin et son Gagaku, l’ensemble kirghize Tengir Too (lundi 6 juin), The Lumzy Sisters (samedi 11 juin), ne devraient pas laisser insensible le nombreux public attendu. Kadhem Saher, dont on ne connaissait pas le feu sacré, fera sûrement tourner la billetterie.
Du recueillement à la transe, il n’y a qu’un pas et l’on se retrouve plongé dans la torride ambiance de «Gnawa & Musiques du monde» ( 23- 26 juin). Cette VIIIe édition fait la part belle à la musique gnaoua, conviant 21 maâlems, dont les illustres Mahmoud Guinea, Hamid El Kasri, Mustapha Bakbou, Abdeslam Alikane, unis dans un hommage au maà®tre ghiwanien Abderrahmane Paca. Présence palpitante de l’Egyptien Fathy Salama, inventeur du jeel, la pop arabe. Au programme également le poète-musicien réunionnais Danyel Waro, le duo sénégalais-suédois Elika (violon) et Sola (kora), le Singapourien Nantha Kumar, le bassiste guadeloupéen Etienne Mbappé,… Autres friandises : le groupe Thalweg, qui associe musiques maghrébines et celtiques ; le trio jazz Bozilo, composé du pianiste serbe Boyan Z, du batteur franco-algérien Karim Ziad et du saxophoniste français Julien Lureau ; enfin la vedette sénégalaise Youssou N’Dour, qui fera la clôture de Gnaoua VIII.
En regard des autres rendez-vous musicaux, «Timitar» (2-9 juillet), à Agadir) est encore un bébé, un bébé déjà prospère (budget de 8,5 MDH), qui fait accourir la multitude (500 000 visiteurs pour sa première sortie). «Timitar» après avoir conquis, s’attache à maintenir le cap. Il passe de 5 jours à 8, et prévoit 46 concerts et 400 artistes. De fait, «Timitar II» s’en tient à l’éclectisme. Musique amazighe, jazz, rap, ra௠et variété s’entrecroisent et communient. Servis par des artistes de haut vol : Ismaà«l Lô, Lotfi Bouchnak, Alpha Blondy, Rkia Demsiriya, Najat Atabou, Faudel, Amazigh Kateb,Â… Des soirées passionnantes en vue, dont l’ouverture, avec Nass El Ghiwane, est l’heureux augure.
Annoncé à maintes reprises, en fanfare, puis constamment différé pour être annulé en fin de compte, le «Festival de Casablanca» (du 16 au 23 juillet) va finalement se tenir. Se voulant multidisciplinaire (musique, cinéma, art urbain, spectacles de rue…), il n’assigne à la musique qu’une place parmi d’autres. Ce qui ne préjuge pas du soin apporté à la programmation. Celle-ci mise sur le mélange des genres: ra௠(avec Cheikha Rimiti), variété arabe (avec la Libanaise Elissa), rock (avec Hoba Hoba Spirit), chaâbi (avec Setati) et reggae (avec l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly).
Neuf festivals qui brilleront sous le ciel étoilé marocain.
Les ballets indonésiens du palais de Mangkunagaran ouvriront Mawazine, mercredi 18 mai, au théâtre Mohammed V, à Rabat.
