Culture
Essaouira : une fois de plus, le triomphe de la fusion
Résolument polyphonique, mêlant le reggae-ragga-funk-chaâbi, le celtique sauce kabyle, la musique égyptienne mâtinée de gnaoua soudanais, la VIIIe édition du Festival Gnaoua et Musiques
du monde (du 23 au 26 juin) a accueilli près de 500 000 visiteurs venus
de tout le pays et d’ailleurs,
qui ont communié dans la même transe.
Dimanche 29 juin. Dès le début de l’après-midi, la scène Bab Marrakech est envahie par une foule innombrable, bigarrée. Les festivaliers n’ont même pas pris le temps de se sustenter. C’est qu’ils ne tiennent pas à manquer, pour tous les banquets du monde, le concert de Youssou N’Dour. Les sauf-conduits se passent de main en main, au nez et à la barbe des agents de sécurité manifestement débordés sur leurs ailes, des clameurs ferventes s’élèvent, exaltant l’icône sénégalaise, les mouettes mêlent leur cri strident au vacarme. Un vrai charivari joyeux, bon enfant, coloré, qui s’amplifie à mesure que le groupe casablancais Darga chauffe le public par ses rythmes énergiques.
Youssou N’Dour est là et ces dames perdent leur quant-à-soi
A 16 h, Youssou N’Dour paraît, la foule lâche la bride à son délire. Une jeune sénégalaise en boubou jaune saute la barrière pour approcher l’idole, elle est vite maîtrisée par les policiers ; des dames de la haute société se dandinent sans retenue ; les notables se délestent de leur quant-à-soi. Il faut dire que Youssou N’Dour possède le pouvoir d’emballer le public, auquel il en fait voir de toutes les couleurs, passant, sans crier gare, du chant protestataire à l’invitation au recueillement (cf. son album «Egypte»). Près de deux heures de pur enchantement, au terme desquelles les centaines de milliers de festivaliers s’apprêtent, avec un pincement au cœur, à rendre Essaouira à ses habitants et à ses volatiles marins.
Les moins pressés s’installent à la terrasse des cafés pour commenter les spectacles offerts pendant ces quatre journées trépidantes, ou se déversent dans les ruelles de la médina, histoire d’en humer encore et encore les indicibles senteurs. La plupart sont jeunes. Adolescents aux cheveux teints en jaune paille (c’est tendance), jeunes filles nombril à l’air et tee-shirt à l’effigie de leurs idoles. Lors des concerts, ils oublient tout préjugé de l’âge pour côtoyer, coudoyer des vieilles dames en haïk ou des messieurs âgés en djellaba et turban. Nous retiendrons cette image éloquente d’une lolita française, militante du «Mouvement de libération des cigales» (sic), dansant avec une dame en djellaba et foulard. Elles ne parlent pas la même langue, ce qui ne les empêche pas de communier dans le rythme gnaoua.
C’est là une précieuse particularité du Festival Gnaoua et Musiques du monde, celle de transcender les barrières linguistiques, sociales, générationnelles. Ce n’est pas son seul atout. La polyphonie en est la vertu cardinale. Elle est incarnée au plus haut point par la VIIIe édition.
Musique Gnaoua, interprétée par 21 maâlems de haute volée, art celtique à la sauce kabyle (Thalwez) ; jazz métissé de rythmes maghrébins (Bozilo); melting-pot entre reggae, ragga, funk et chaâbi (Darga); blues engagé (Danyel Waro); musique égyptienne mélangée au gnaoua soudanais (Fathy Salama); flamenco (Jaleo); folk suédois et flot rythmique de la kora (Ellika & Solo), etc.
De 11 h du matin à l’aube le lendemain, un déferlement de rythmes
Mais pour s’enivrer de cette polyphonie, il faut être une force de la nature. Les concerts commencent dès 11 h du matin et se terminent à l’aurore. Pendant tout ce temps, la musique est omniprésente à Essaouira, sur la plage, sur les places Moulay Hassan et Bab Marrakech, au marché aux grains, à Dar Souiri, Chez Kébir, à la Sqala, dans les hôtels et chez les particuliers. Tel ce fidèle du festival qui s’est déplacé à Essaouira avec femme, enfants, amis et trois maâlems casablancais. Il ne rentrait des spectacles que pour s’en offrir un autre à domicile. C’est une manière de vivre intensément le Festival Gnaoua et Musiques du monde, dont cette édition fut encore plus splendide que les précédentes
Du «protest song» à l’invitation au recueillement, Youssou N’Dour joue sur toutes les cordes.
