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Culture

Essaouira prend ses airs andalous

Du 10 au 12 octobre, Essaouira vibrera au rythme de l’Andalousie. Emanation
de la suractive Fondation Alizés, le Festival international des Andalousies
atlantiques propose un voyage inédit.

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Au moment où une nuée de ténèbres s’abat sur le monde musulman, il ne serait pas inutile de rappeler combien cette civilisation était féconde, lumineuse, généreuse. Belliqueuse aussi, ou plutôt conquérante. Lorsqu’ils arrivent, à partir du VIIe siècle, sur les rivages de la Méditerranée, les musulmans ne songent qu’à agrandir leur empire. La Méditerranée du Nord leur échappe, mais l’Ouest, avec l’Espagne, et le Sud, y compris la Sicile, font désormais partie de leur domaine. Emmanuel Le Roy Ladurie, historien français, a évoqué l’invasion, pacifique celle-là, de l’Europe par la grande famille des cucurbitacées orientales, véritable folie du goût. Elles ne faisaient que rejoindre, dans le potager ou le verger européens, d’autres plantes, d’autres fruits, dont les noms dénotent toujours la paternité arabe : pêche, abricot, artichaut, aubergine, épinard, orange, pastèque…

Quand les Arabes illuminaient la civilisation européenne
Il suffit de consulter le livre capital de Juan Vernet, Ce que la culture doit aux Arabes d’Espagne, pour apprécier l’ampleur de l’influence arabe dans le domaine de la technique. En vrac, la voile, la carte nautique, le perfectionnement de l’irrigation et du jardin d’agrément, divers procédés architecturaux ou décoratifs, la conservation de la glace («sorbet» est un terme d’origine arabe).
Pure invention ou simple transmission, peu importe, l’essentiel est que les Arabes ont représenté un irremplaçable chaînon dans l’élaboration de la civilisation occidentale.
De cette imprégnation, souligne l’islamisant André Miquel, la langue française porte une marque non négligeable qui touche à des registres divers. En voici quelques-uns : calibre, ambre, gilet, jupe, coton, guitare, jarre, nacre, tambour, amiral, douane, récif, arsenal, sucre, sirop, nuque, masser, avanie, magasin, camphre, assassin, goudron, hasard, échec, alcôve, quintal, avarie, mesquin, tarif, matelas, timbale, tasse, matraque… Sauf pour les étymologistes, beaucoup de ces mots ne laissent pas transparaître leur ascendance arabe. Pendant que d’autres l’affichent clairement : cadi, alfa, arabesque, almanach, alambic, douar, émir, sultan, alcool, simoun…
L’apport dans le domaine scientifique se rappelle par d’autres termes : alchimie, zéro, chiffre, algèbre. Tout provient de la lointaine Bagdad. Gourmande et partageuse à la fois, la brillante capitale ouvre toutes les fenêtres sur le monde. S’inaugure alors l’ère des traductions. Du grec, directement en arabe ou par l’intermédiaire du syriaque. En Espagne, vont fonctionner de véritables laboratoires d’une autre traduction, celle des œuvres arabes ou repensées d’après le modèle grec.
Hormis la littérature, tout y passe : astronomie, zoologie, cosmographie, optique, chimie, physique, agronomie, botanique. Et surtout cette triade dont s’énorgueillissent les chercheurs arabes : mathématiques, médecine, philosophie. La première invente l’algèbre, généralise le chiffre indien, détermine pi, extrait les racines cubiques, pose les prémices du calcul intégral. La médecine travaille sur l’anatomie, la pathologie, la pharmacopée, l’hygiène et la chirurgie. La philosophie, elle, s’inspirant d’Aristole, s’interroge sur la possibilité ou non de concilier une vérité révélée, celle de la foi, avec une autre, celle de la pensée et de la science. Deux figures émergent, celles d’Avicenne et Averroès. Elles s’intégreront au patrimoine occidental.

En Andalousie se brassaient les ethnies et les cultures
Tout cela appartient au passé, il est forcément dépassé, diraient certains. On ne peut en disconvenir. Il n’en demeure pas moins que l’exemple donné, à l’échelle d’une histoire humaine, a une grande portée. «A méditer sur une Méditerranée des rencontres, écrit André Miquel, pour beaucoup, aujourd’hui, difficile ou improbable, qui pourrait penser que ce qui fut possible en des temps déchirés, où les rapports entre civilisations se posaient, naturellement et d’emblée, en termes conflictuels, ne saurait se reproduire à une époque où, quoi qu’on dise et voie, le concert des nations cherche obstinément à l’emporter sur leurs luttes ?». Cette œuvre partagée s’accomplissait en Espagne, en Andalousie. Nous rêvons toujours de Séville, de Cordoue, de Grenade parce que, là, un rêve a été porté à sa perfection : celui d’un pays où se brassaient les langues, les styles, les ethnies et les confessions. Et dans les vieilles familles fassies, on se passe encore religieusement, de père mourant au fils aîné, la clé de la maison perdue de Cordoue.
Certes, dans sa furie épuratrice, l’Espace a éradiqué le chameau et le palmier. Il n’empêche : elle conserve les traces et les signes d’une culture des rencontres. De ce fait, elle est toujours perçue comme un pays relais. Il est heureux que, défiant les temps qui courent et leur lot de crispations, la Fondation Alizés ait songé à célébrer rituellement l’Andalousie pendant trois jours. Reste le choix discuté du lieu : Essaouira. Des villes comme Rabat, Salé, Fès, Tétouan ou Chefchaouen n’étaient-elles pas plus indiquées ?
A cette question Oumama Aouad, directrice du festival, apporte un élément de réponse : «Essaouira n’a certes pas été au cœur de l’histoire d’al-Andalus. Elle n’a pris part ni à l’épopée arabo-musulmane dans la péninsule ibérique, ni à l’accueil des réfugiés juifs et musulmans andalous après 1492. Et pour cause, Essaouira-Mogador n’existe en tant que telle qu’à partir du XVIIIe siècle ! Dès sa fondation, la cité atlantique naît comme un lieu de rencontres d’ethnies et de cultures plurielles, à la fois marocaines (musulmane, arabe, juive, berbère et africaine) et étrangères (par la présence de nombreux chrétiens européens). Semblable à al-Andalus, qui a réuni dans une cœxistence, souvent pacifique, différentes communautés ethniques, culturelles et religieuses.»
Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! Colloques, concerts et dégustations gastronomiques nous transporteront dans ce paradis perdu que fut l’Andalousie. Un paradis qui pourrait être recréé, si les hommes cessaient leurs jeux de massacre


Programme
Vendredi 10 octobre
18 h : Ouverture
Spectacle de fantasia sur la plage
19 h : Cérémonie de bienvenue sur le port avec feux d’artifice et débarquement des musiciens espagnols et mexicains
19 h 30 : Parade-défilé des musiciens gnaouas, berbères, espagnols et mexicains, du port
vers la place Moulay Hassan
20 h : Concert inaugural: Bricuel, Souiri et Françoise Atlan
21 h 15 : Concert de Ketama (Flamenco nouveau)

Samedi 11 octobre
10 h-13 h : Colloque à Dar Souiri sur le thème: «La dimension atlantique de l’héritage andalou» Vernissage de l’exposition «La Route du Mudéjar : I‘art hispano-musulman, de la Méditerranée
à I’Atlantique» (présentée par l’Héritage Andalou)
16 h 30 : Parade-défilé de la Halle aux grains à la place Moulay Hassan
17 h 30 : Concert Gharnati d’Oujda et Françoise Atlan
18 h 45 : Concert «Son de madera» (mexicain)
20 h : Dégustation gastronomique andalouse
21 h 30 : Concert de musique et danse flamenco avec Curro Albaycin et Marina Heredia

Dimanche 12 octobre
10 h-13 h : Colloque: «La dimension atlantique de l’héritage andalou». Exposition des travaux de peinture, photographie et vidéo effectués par des jeunes Souiris dirigés par des artistes marocains et espagnols
16 h 30 : Parade-défilé de la Place al-Khaïma à la place Moulay Hassan
17 h 30 : Concert de fusion de musique andalouse avec Françoise Atlan, Briouel, Souiri et Gharnati d’Oujda.
19 h : Concert de Kiko Veneno (Flamenco Rock)