Culture
De l’espoir pour L’Batwar
Les éditions du Sirocco nous offrent un magnifique ouvrage sur la reconversion en friche culturelle des anciens abattoirs de Casablanca.

Une porte sombre et pleine de mystères se dessine sur la couverture. «Ouvre-moi !», semble-t-elle vous chuchoter malicieusement. Peut-être que l’Alice de Lewis Carroll refluera à ce moment-là dans vos souvenirs, peut-être avalerez-vous une pilule pour rapetisser et plonger avec gourmandise dans les dédales de ce (très) beau-livre, colorés puis monochromes. Comme pour souligner l’extrême fragilité d’un lieu précieux, au destin tour à tour radieux et incertain, longtemps abandonné, longtemps et peut-être toujours convoité, sans cesse arraché à la dévastation et à l’oubli par une poignée de passionnés : L’Batwar de Hay Mohammadi.
La Fabrique culturelle, la Gorna dans une autre vie, que l’on voit ici sous tous les angles imaginables : d’antiques photos de camions frigorifiques et d’engrenages rouillés y côtoient des images contemporaines d’écuries en ruines, d’arbres, de crocs de bouchers, de murs au jaune éclatant, mangés par des bougainvilliers fous… Des murs mais aussi des gens, ceux qui font la magie, la beauté brute et volcanique de l’endroit, des figures jeunes, rigolardes, grimaçantes, concentrées, contemplatives, pleines d’espérance et déjà de désillusions; des T-shirts à têtes de morts, des crêtes capillaires vertigineuses, des yeux gothiques dans des visages poupins… Au cœur de l’ouvrage, des dessins d’enfants, inspirés de cette architecture art déco et néo-mauresque, arracheront une larme d’émotion aux plus endurcis d’entre vous.
«Je vois dans L’Batwar un squat sublime où une part vivante de l’intelligence marocaine a pris ses quartiers et œuvre nuit et jour afin de le rendre vivable, ouvert sur son environnement, participant de l’universel», s’enflamme le poète Abdellatif Laâbi dans une élégante préface. «Il aurait fallu un Zola pour raconter les abattoirs de Casablanca», assure le journaliste Mohamed Sakib à Maria Daïf, la directrice de l’ouvrage, qui doit certes déplorer la défection du père de L’Assommoir mais qui s’est quand même entouré d’auteurs, de militants, d’architectes brillants et enthousiastes : dans le beau-livre, Jean-Louis Cohen raconte l’histoire de ces lieux «gigantesques et inutiles» d’abattage et de boucherie, du Meatpacking district de New York transformé en galeries de luxe aux abattoirs de Toulouse reconvertis en musée d’art moderne en passant par le Schlachthof de Francfort dédié aux spectacles de musique populaire et par nos abattoirs à nous, consacrés aux arts urbains. Dounia Benslimane et Aadel Essaadani, les défenseurs les plus acharnés de la Fabrique culturelle de Hay Mohammadi, y relatent la renaissance de L’Batwar grâce aux Transculturelles des 11 et 12 avril 2009, qui ont rassemblé 40 000 personnes autour d’une mosaïque artistique chatoyante, bouillonnante… L’architecte Karim Rouissi y donne un avant-goût du projet de reconversion imaginé par le Collectif des abattoirs, une sorte de cité multidisciplinaire faisant exister côte à côte les arts vivants, enregistrés, visuels, appliqués, urbains. Ce chantier aboutira-t-il ? «Soutenue par les pouvoirs publics, la Fabrique culturelle peut rapidement devenir cette pépinière de talents dont nous avons tous rêvé, affirme le réalisateur Ali Essafi. Cela dépend de la volonté des décideurs, mais aussi et surtout de l’engagement des artistes et des acteurs culturels de la ville. De tous ceux qui croient que l’accès à la culture est un droit humain, au même titre que l’école ou l’eau». Amen.
