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Culture

«Dans un monde en tension permanente, faire le Concert pour la Tolérance en terre d’islam est indispensable»

Producteur du Concert pour la Tolérance, Yannis Chebbi nous parle de l’événement, de son organisation, son évolution et son utilité en pleine période de crise communautaire secouant le monde. Le temps d’un voyage entre le Maroc et la France, que d’émotions et de valeurs à partager…

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Yannis Chebbi

Est-il temps de faire le bilan du Concert pour la Tolérance ?
Après 13 éditions, je pense qu’il est effectivement temps, d’une part, de faire le bilan de l’événement, et, d’autre part, de réfléchir à la suite du projet, de son renouvellement et de son avenir. Comme vous le savez, l’événement a été créé à une époque où des tensions ont commencé à apparaître entre les communautés en France, en Europe et ailleurs, à la suite des attentats du 11-Septembre. On voyait bien qu’il y avait un clivage qui se créait entre le «monde musulman» et l’Occident «judéo-chrétien», comme on les appelle. Et il était, donc, approprié et bienvenu de concevoir un projet pour réunir des artistes de toutes confessions, de toutes origines, pour traiter cette thématique du vivre-ensemble, qui leur tenait à cœur et ce, dans un pays représentatif de toutes ces valeurs et qui incarne la tolérance que l’on souhaitait véhiculer.

Entre-temps, la situation a-t-elle changé ?
Les choses ont évolué. Les tensions se sont exacerbées, surtout après les attentats de Paris et le déchaînement médiatique qui a suivi en France. Le Concert pour la Tolérance continue ainsi à être utile, même si cela reste un événement d’entertainment. On n’a pas vocation à faire la paix sur la terre, mais tout simplement de rassembler des artistes et de communiquer à notre petit niveau autour de ces valeurs qui nous tiennent à cœur.

Y a-t-il des éléments que vous aimeriez changer à l’organisation ou à la production du concert ?
L’organisation est rodée, même si tout est effectivement perfectible. On souhaiterait bien évidemment pouvoir travailler largement en amont, mais la date d’octobre est légèrement problématique, puisqu’on sort à peine des vacances d’été et on fige la programmation courant septembre, c’est-à-dire vraiment in extrémis. En sachant que l’agenda d’un Soprano est booké un an et demi à l’avance, il faut pouvoir fixer ses objectifs beaucoup plus à l’avance. Néanmoins, les équipes du concert sont très professionnelles et rien ne se fait à l’arraché.

Sur quels critères se base le choix des artistes du Concert pour la Tolérance? Ces critères ont-ils évolué depuis la première édition ?
Il y a effectivement l’élément disponibilité qui rentre en compte. Il faut connaître et composer avec les agendas des artistes, à commencer par celui du parrain de l’édition Soprano, puis ceux des autres artistes invités, ce qui peut représenter une contrainte majeure. Puis il y a l’aspect artistique qui fait appel aux artistes forts du moment, effectivement, comme les Black M, Vita et Slimane, Dadju et les autres. Et c’est à ce niveau là qu’il y a une évolution permanente, lente et concomitante de l’évolution de la scène musicale française.

Essuyez-vous des refus parfois ?
Non et je rappelle même que les artistes ne perçoivent pas de cachet, ce qui, aujourd’hui, est un fait presque inexistant, à part à l’occasion des 130 ans de la Tour Eifel ou l’émission spéciale pour Notre Dame, à la suite de l’incendie. Il y a très peu d’artistes qui refusent ou rechignent à venir à Agadir pour le Concert pour la Tolérance, lorsqu’ils sont disponibles. Il y a d’ailleurs beaucoup d’artistes qui ont déjà fait l’événement plusieurs fois, à des périodes particulièrement rayonnantes de leurs carrières et qui n’hésitent pas à y revenir pour le plaisir et pour les valeurs. La seule difficulté, c’est la disponibilité.

Le mot tolérance est-il toujours approprié pour l’événement ?
C’est un peu la question piège, tant le terme a été galvaudé et que certains personnages sont les porte-drapeaux de ces valeurs. Mais la tolérance veut également dire le vivre-ensemble, l’ouverture, la mixité et plein de sujets plus que jamais d’actualité. Et puis le monde évolue, change et les porte-drapeaux de la paix et du vivre-ensemble n’ont plus pignon sur rue. Il n’existe plus de Gandhi ou de personnage de ce type pour prendre leur bâton de pèlerin et aller défendre ces causes. Il est toujours bon de rappeler ces valeurs-là, par tous les moyens possibles, surtout dans un environnement anxiogène.

Justement, comment les artistes et vous-même vivez cet environnement anxiogène ?
Je ne sais pas pour les autres, mais, personnellement, en tant que citoyen français de confession musulmane, je ne le vis pas forcément très bien. On se sent blessé et agressé. Les amalgames sont vite faits dans les propos de ministres et d’intellectuels. Sur certains sujets, tels que la question du voile chez les accompagnatrices scolaires en France, on sent un tel acharnement sur de pauvres dames qui ont contribué à l’éducation de beaucoup d’enfants français. Sur le discours sur les signes de radicalisation des musulmans, cela frôle le ridicule et l’absurde. C’est une drôle de période, en effet.

Pourtant, depuis le Maroc, on voit bien que la scène musicale française s’est fortement métissée !
Ça c’est tout le paradoxe de la société française, effectivement. Que ce soit dans la télé, sur la scène musicale ou dans le sport et même dans le monde des affaires, l’évolution est permanente. Dans les faits, la France est métissée, mixte et diverse. Donc la réalité change et dans le bon sens. Maintenant, la réalité politique est autre…

Organiser «La Tolérance» au Maroc veut-il dire quelque chose ?
Absolument. Comme je le disais, il était nécessaire d’être dans un pays qui défendait ces valeurs et les incarnait. Faire le concert en terre d’Islam était indispensable également, surtout dans un monde en pleine confrontation et en tension permanente. Nous sommes dans un pays connu pour son ouverture, pour l’intégration de la communauté juive marocaine qui est très importante, la fraternité avec les autres peuples. Et on sait que ce n’est pas évident à faire ailleurs qu’ici.