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Culture

CMOOA galerie explore l’art iranien

La photographie iranienne est à  l’honneur à  la CMOOA galerie à  Rabat.
Elle reçoit, jusqu’au 15 mai, Reza Aramesh qui zoome sur des photos connues et les reconstitue.

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Les photographies qu’expose actuellement Reza Aramesh à la galerie CMOOA à Rabat ont quelque chose de profondément cinématographique. Les images se prolongent, les scènes continuent de vivre dans notre tête, se font, se défont et se prêtent à plusieurs niveaux de lecture. C’est que les procédés qu’utilise le photographe iranien trouvent leur source dans le jeu et la reconstitution du réel. Des comédiens issus de l’immigration jouent à reproduire des photographies d’arrestations, de guerres… L’auteur de ces œuvres s’est nourri des conflits qu’il a vus, ou vécus, comme nous tous, à travers les médias et voilà qu’il nous propose quelques épisodes sans suite mais qui forcent le regard ! «Between the eye and object falls the shadow» est né d’un conflit, d’abord intérieur et ensuite d’une impulsion à agir.
Des arrestations de Palestiniens par des soldats israéliens, un Somalien blessé lors d’une attaque au mortier à Mogadiscio, des Coréens «soupçonnés d’être communistes», arrêtés par des soldats,  un corps inanimé à Falloujah (Irak)…. Pour recomposer ces scènes, le photographe s’est débarrassé de l’arme du crime, du sang… mais il a gardé intacte la douleur. Le résultat est surprenant. La violence est très présente, tout est dans le regard, dans les postures. La mort, les pleurs, les cris… on les entend, et voilà qu’ils deviennent retentissants ! De ces images quotidiennes auxquelles nous ont habitués les médias, il a pris position. «Nous avons vu tellement d’images, de sang, de violence, qu’elles ont fini par défiler sans qu’on en fasse attention, on s’y est habitué», observe-t-il. Ces réalités qu’on a fini par ne plus voir ont pris chez lui d’autres formes, se sont transformées en «actions».  «Je m’intéresse dans mon œuvre à des compositions poétiques et politiques pouvant être réalisées sur différents types de supports. Chaque œuvre d’art que je réalise est constituée comme une action. L’esthétique de mes photographies est souvent informée par mon intérêt profond pour l’histoire du cinéma, de la littérature et de la peinture».

Des actions contre l’oubli

Pour décor, l’artiste a choisi des palaces. Le luxe vient renforcer l’idée que le photographe se fait des conflits, car, dit-il, «les conflits, la violence, ce n’est pas une question d’idéologie, c’est juste des intérêts économiques qu’on cherche à sauvegarder. C’est mon intime conviction». En regardant les photographies d’Aramesh, une sourde inquiétude s’installe. On s’attend à ce que les otages soient libérés. Le seront-ils ? Mais de quoi ? Quel est l’objet qui les menace ? Ici un simple regard, plus loin, seulement une présence. Cette série de photographies convoque notre mémoire à éclipse. Car nous en connaissons tous l’origine. L’auteur ouvre les vannes aux souvenirs qu’on essaye d’élaguer. «Dans ma série de photographies Between the eye and object falls the shadow(2008), je puise mon inspiration dans les gravures Disasters of war (1810-1820) réalisées par l’artiste espagnol du XVIIe siècle Francisco Goya que je mets en contraste avec des images photographiques trouvées dans Reuters, dépeignant des conflits principalement dans la région du Moyen-Orient depuis les années 60 jusqu’à aujourd’hui, ces derniers étant reconstitués par des acteurs non professionnels, souvent enfants de l’immigration, au sein du cadre déconcertant des châteaux de l’idyllique campagne anglaise».
Reza Aramsh n’est pas seulement un photographe, c’est un conteur. Il raconte les conflits, les oppose, les compare et en décortique les mécanismes. «Chaque forme artistique est justifiée pour ce qu’elle essaye d’exprimer. Je ne passe pas de message mais ce sont mes observations, ma façon de voir les choses et mon interprétation du monde qui m’entoure». Dans l’uniformisation des tenues des acteurs, dans le choix monochrome du tirage, il y a pourtant bel et bien un message. «Les mécanismes de la violence sont tous les mêmes et cette dernière est inhérente à tous les peuples». Tous les travaux de l’artiste tournent autour des conflits, des éléments qui coexistent et qui sont «paradoxaux», conflits culturels, pauvreté, richesse… S’inspirant de l’opposition, l’artiste convoque les figures qui l’ont précédé et écrit des histoires en filigrane. Plus qu’un photographe, Reza Aramesh est un conteur extraordinaire.